Nue

se dévêtir, se déshabiller seul, lentement,
abandonner au sol les bijoux et les bagues, les habits confortables d’une vie qui s’échappe,
sentir le froid mordre la chair sur le carrelage lisse d’une muraille nue,
sentir la faim tordre le ventre au milieu des vestiges d’une vie d’abondance,
regarder les signes du bien-être éparpillés dans des cartons cabossés, regarder dehors,
effeuiller en soi l’arbre malade qui s’endort sous la neige sale emmaillotée de glaise,
s’envelopper dans le vent lourd qui disperse les souvenirs, les paroles d’amour,
se rappeler les sensations du premier vide, en soi en dehors, dehors tout en soi,
se rappeler les regards des animaux gelés, les saisons assourdies de silence,
les pas sur les terres blanches, la solitude des bois,
se souvenir des enfants de l’hiver, des jeux orgueilleux, des morsures du plaisir différé,
sourire d’être soi, sourire de retrouver les traces de ses pas dans l’espace roux de l’automne,
sentir son ventre libéré se gonfler d’une encombrante vie

faire glisser un à un les mots sanglants sur la sève des pages abandonnées aux valses de l’air
suivre leurs mouvements effrénés, danser sur le crissement des souvenirs d’amour,
devenir flamme, feu de joie et salamandre,
traverser le rideau de l’absence
puis réinventer en soi la lente berceuse absente d’un passé inarchivé
retrouver celle que l’on a chantée, le cœur léger, aux marches du lit, pour l’enfant de l’automne,
écouter à nouveau les pas syncopés du clavier où s’accrochent les lettres dans la neige tôt venue
entrelacer ses phrases aux ramures d’une autre vie
laisser tomber celles qui n’ont plus la douceur de la peau
se dénuder, encre rouge revenue des présents oubliés,
libérer l’attente qui attend…

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