Toucher

Porte béarnaise. Photographie personnelle

Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais j’ai l’impression que nous ne touchons plus que des boutons de souris, des pavés numériques, des claviers ou des écrans tactiles. Nous tapotons, nous cliquons. Il faut dire que le verbe toucher vient, parait-il, de tuchier, issu du latin populaire toccare, une formation onomatopéique, c’est-à-dire un mot créé à partir d’un son, celui du toc, suggérant l’idée de coup. Le verbe cliquer d’ailleurs est aussi issu d’une onomatopée (Et toc ! Le double clic viendrait ainsi de toc-toc ?). Toucher les écrans tactiles, cliquer sur les liens, c’est devenu notre principale activité manuelle, au point qu’il faut parfois acheter des logiciels d’automatisation des clics, outil extrêmement utile pour les jeux vidéos (je ne sais pas si vous avez vu la vitesse et la répétitivité des clics, on dirait des tics nerveux): un autoclicker peut ainsi imiter plus de cent mille clics en une seconde.

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Voix

1992

Chaque jour accordé fait écho
À la nuit, passe l’ange
Voluptueux entre nous, la gorge
Serrée, j’étouffe chez vous mes cris
Fous, nous entretenons le silence
Rassurant, ma bouche à votre voix

La nuit drapée s’accorde à la voix
Lente, dont j’emprisonne l’écho
Dans mon corps, vous soufflez au silence
Le plaisir, les caresses de l’ange
Vaincu, assurance d’un cri
Sourd, vos mains nues sur ma gorge

Le temps file sur le pli de la gorge
Le désir mordant sans appel la voix
Assourdie, restent le cri
Intérieur, et en mémoire l’écho
Sensuel au lieu clos du silence
Suspendu à l’étreinte des anges

Je te rejoins là-bas, mon ange
à l’heure dite, le couteau sous la gorge
Envieuse encore de ton silence
Anxieuse toujours du son de ta voix
Libérant dans mon sexe la femme en écho
Maternel, avant mon premier cri

Je réclame ton sexe dans ce cri
Et ton corps dans d’autres bras d’anges
Violents, coups de boutoir en écho
À ta douceur, dans ma bouche, ma gorge
Mouillée de fièvre jusqu’à ma voix
Déchue, abandonnée au silence

Appels, appels, miroir au silence
De Dieu, liturgie intime du cri
Vers l’azur, je retrouve ma voix
De plaisir, et la joie des louanges
Aux courbes caressées de ma gorge
Chants d’amour, sous les voûtes, en écho

Nos deux voix accordées font écho
Dans la nuit silencieuse, passe l’ange
Nu, j’étouffe son cri dans ma gorge

2023

Longtemps j’ai laissé le flux de mes
Paroles dériver dans les pages de
Journaux intermittents, captant la
Voix familière de celui qui
Murmure en moi comme un prisonnier

Murmures et faux-fuyants sont depuis
Longtemps les métaphores de ces
Voyages solitaires où la
Parole redoutée d’une femme
Joue sur mon silence contre mon cœur

Joues roses, visage de lune, tu
Murmures à mes lèvres la
Parole douce du premier baiser
Long, bien avant d’oser lever le
Voile sur tes hanches arrondies

Voix-off, la vie émergée de mes
Journaux allume dans le regard
Longtemps soutenu comme l’aveu
Murmuré, la foi aveugle d’une
Parole d’amour unie au silence

Paroles des corps impudiques
Voies qu’inventent nos mains quand tu
Murmures en moi pour éteindre le
Jour jusqu’à demain, la nuit pour jouir
Longuement malgré le temps des peurs

Longtemps après que la parole s’est tue
Les pages du journal secret gardent
La voix murmurée

Aparté (extrait)

Aparté est un roman d’amour épistolaire de Philippe Moron qui relate une passion adultère née à l’aube du confinement de mars 2020. Les deux protagonistes se sont créé des noms de fiction, Lou-Anne pour elle et Loup pour lui. Leur lutte est celle d’un amour absolu contre tout ce qui nous rappelle au raisonnable. Et ils ne resteront pas unis jusqu’au bout dans cette lutte. Le court extrait publié ici, fragment du journal intime de Loup, prend place après la rupture, qu’il appelle le déluge.

Philippe Moron : Les Amants enlacés

Tu n’as pas dit les mots des amants, les mots d’adieu qui restent pour la vie après la séparation. Tu n’as pas posé le dernier baiser, celui qui résume tous ceux de la passion. Tu n’as pas écrit la dernière lettre, celle qui absout la douleur du départ. Tu n’as pas porté l’anneau de l’union secrète avec la date de notre première nuit, celle qui annonçait des nuits plus belles et plus lumineuses, que nous n’avons pas eu le temps de vivre.

Peut-être es-tu heureuse maintenant, peut-être t’es-tu dissoute dans un rôle taillé pour une autre, peut-être as-tu fait disparaître ton âme derrière une colline ou une barrière de brume. Je ne saurai pas ce qu’est devenu celle que j’invente encore malgré moi, dans le lieu hors du temps où notre affection, sans nous, survit à la folie.

Je garde pour toi une barbe de trois aubes, et le frottement de mes éclats d’étoile pour abolir les jours séparés de tes bras. Mes mains sont blanches comme autrefois et mes veines bleutées. Dans tes nuits de doute, tu entendras mon âme battre et tu reverras ton visage dans mes caresses lentes : ne les as-tu pas espérées autant que moi, ton sourire et tes rides amères au coin des yeux ?

Les lieux où nous nous sommes enlacés ont disparu. Des Hommes les ont effacés pour toi – tu ne te souviens de rien. D’autres amants se coucheront dans des lits neufs, leurs corps défaits rejoueront nos batailles sur les champs immenses où les orages battaient au loin.

Je garde le couteau près de ma hanche, pour toi – tu sais trancher et rompre. Cette fois vise la gorge plus que le cœur, ne tremble plus, je m’armerai d’histoire, tu garderas silence. Quand je ne t’aimerai plus, tu fermeras mes yeux. Quand tu m’auras renié, tu m’aimeras enfin.

Dans ma main crispée, il y aura l’anneau que tu n’as pas porté.

Goût

1992

La nuit, toutes les nuits, je cherche le sommeil dans vos yeux gris, les lèvres surprises dans leur solitude.

Les parapets du lit s’arrondissent sous vos coudes repliés, là où reposent les ombres de vos mains.

Nous réalisons toutes les séparations en une seule arabesque lorsque vous écoutez couler mon corps désespéré dans votre bouche.

Je change mon propre goût jusqu’à tout oublier.

2022

Te déboutonner, lentement, déshabiller ton tissu de paroles, te forcer à endurcir ton âme,

T’obliger à me recevoir, à t’incarner en moi dans l’oubli du combat,

Rendre la caresse du temps sur ta peau vieillie par le sel de ma bouche,

Fourbir ma langue de cris atroces, te défaire sur le champ nu,

Puis espérer que tu souffres de mon absence, en m’inondant de toi jusqu’au dégoût,

Et brûler enfin les vêtements inutiles.