Solitude

Certains silences happent en soi la parole – la vie s’y engouffre – la poésie de l’instant se fera-t-elle chair une dernière fois? Une main solitaire froisse l’enveloppe profonde de ce qui s’appelait auparavant « moi » – la douleur devient l’antienne de l’ombre intérieure.

Souffrir sans souffrir, se retirer à pas d’oubli, les visages de l’amour flottent dans le bleu dispersé.

Amour

L’amour donné peut-il être nommé, peut-il être au poème l’or des frondaisons, l’éblouissement de l’instant ?

L’amour donné est-il un visage qui demeure, au bord de notre mémoire fatiguée, là où nos mains cherchent l’absence de douleur ?

L’amour donné est-il demeuré entre nous, vent tournoyant, souffle que les perturbations dispersent ou rassemblent ?

L’amour donné peut-il faire retour en nous ou est-il pour jamais perdu – chant inaudible de l’oubli ?

L’amour donné peut-il s’étendre sur mon corps pour y accomplir la dernière nuit ?

Souvenirs

Poumons étouffés, trois cris  – venus de quel lieu ? – yeux fermés – rouge épais, palpitant – ne pas voir surtout derrière la tenture – souvenirs de la mort inutile. Moment originel.

Disparition – avec elle s’éloignent les choses – meubles dispersés, bois brillant, velours rayé de jaune – brume – plus personne ne chantonne, les murs se referment. Il faudra graver un nom, un seul, sur le marbre.

Ce n’est pas une solitude, ce n’est pas une peur, ce n’est pas une, c’est la perte. L’absence, absence répétée, aussi régulière que le sang qui goutte, absence de regard, absence de voix – dans la vie de l’enfant, rien.

Fin

J’ai rêvé, comme un papillon, d’une fin juvénile dans l’exaltation de blanches querelles : fébriles renflements, prières incandescentes, érotiques larmes jusqu’à l’aube infidèle. Je traversais la longue nuit de l’instant, noyant l’âge des suicides dans le lait amer du plaisir, sans subir le naufrage du héros : la mélancolie frottait sur ma verge ses seins alourdis de voluptueuses histoires. Je ne savais plus si je m’étais assoupi ou si la mort, déjà, avait léché mon visage vieilli.

Fantôme enfermé dans la prison brûlante de son corps, il m’a fallu jalonner l’existence de mots incendiaires – loi des solitudes. Aujourd’hui, ne reste que la pensée immédiate du vide. Le vent souffle parfois sur mon torse un dur silence de pierre. Je suis enfin nu dans les bras de mon ange.

Saisir

J’ai longtemps écrit pour fuir le regard vide du suicide, mes phalanges étaient des tiges à demi détachées du cœur battant des paumes.

J’ai longtemps écrit à l’envers de l’absence, l’eau noire de la première mort montait de chaque silence, elle noyait le nom que je traçais.

Mes mains ne savaient pas tenir, retenir, serrer; je m’efforçais de garder mon corps à flot, de le réchauffer sous la main des hommes, leurs doigts curieux, leur sexe tendu comme l’espérance.

Formuler et saisir sont choses équivalentes. Il m’a fallu la vie pour en faire une fleur qui ait l’odeur de ton amour.

Campagne

Couleur murale, passé ocre, brèches impatientes : la lumière a laissé sur les fermes abandonnées, quelques fenêtres interdites au présent. Tout autour, loin des rumeurs du trafic, l’antienne frémissante de l’eau qui roule sur les grains arrondis des lits cabossés. Nous nous tenons à portée de murmure dans les chemins creux, escortés par l’ombre des aqueducs, là où l’horizon irrigue l’azur du vol erratique des corbeaux.
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Le ciel s’est assombri à l’approche de l’orage, des feuilles grises et dorées se sont glissées entre les pointes de tes seins. La voûte du ciel s’est allongée sur nous – tu as posé sur mes lèvres un long baiser vertical. Je me suis enfoncé dans une odeur de limon – le sol, sans doute, s’est dérobé dans les mouchetures de ta peau – et des pierres ont planté leurs dents silencieuses dans l’argile épaissi de mon sang : nous avons mélangé nos rêves en attendant la douloureuse plainte de l’intime. Ce n’était pas la fin du jour ?

Grace à tes mains sur ma poitrine, je reconnais les dernières ondées du temps, mon corps est une maison de terre durcie par les battements de ton sexe. Elle s’écroule à chaque gémissement dans une jouissance de craie.

Plage

Mon corps est une eau douce tombant dans le ciel bleu de ton regard, il te durcit à son rythme; nous retrouvons, dans un seul cri, l’été secret et ses chemins odorants.

Ce sont tes mains sur mon visage qui ont conduit la pluie, guidé ses lignes le long des lèvres; ce sont mes mains qui ont trouvé la source.

Nous nous adossons à la pierre calcaire qui garde la chaleur des mers, nos gémissements résonnent dans les carrières oubliées, nous nous aimons dans les pages de plâtre.

Bois

Nous marchons sur l’aube aux frondaisons de marbre, nos pieds brûlés par la végétation rugueuse – verdure saccadée, peaux de salamandre accrochées aux fougères, encoches humides du sang des sacrifices – la douleur est un jeu perdu dans l’heure originelle. Pourrons nous atteindre la promesse de la clairière ?

Oraison du bois mourant aux rebords de brûlure, chuchotements des toits sur les troncs craquelés – chair consumée de nos mémoires heureuses. Peut-être sommes-nous devenus la nouvelle tourbe amoureuse du ciel.