Lieu

Nous n’avions pas de lieu
nous vivions sur les chaussées
glissantes, lisses, immenses
nous allions sans fin, nous allions ici
– nulle part.

Il fallut inventer l’arrêt
l’instant immobile
espace tenu par les bras
murmure d’océan et de branches
– sous nos pieds nus.

Éboulement

A propos de « L’éboulement du temps » de Matthieu Lorin, éditions Aux cailloux des chemins.

Ce très beau recueil se lit d’une traite, comme un récit (on notera d’ailleurs qu’il a un peu souffert dans le sac et le RER). Il parcourt la naissance et la jeunesse de l’auteur, alternant les textes en « je » où Matthieu écrit, et semble nous écrire, tant ce livre est un dialogue avec le lecteur, et des textes en « tu » , en italiques, où un autre observe l’auteur, souvent, croit-on deviner, une mère, un frère. De la naissance au jeune adulte, nous parcourons une vie.


Matthieu Lorin écrit des poèmes en prose, courts, de deux à trois paragraphes (rarement quatre). Il met « sur la même ligne de mire corps, souvenirs et monde concret » comme il le dit dans l’entretien mis en ligne sur le site de son éditeur. Il y a en effet une ligne tendue, permanente dans chaque texte et d’un texte à l’autre. L’auteur nous entraîne dans sa vision d’une enfance et d’une adolescence, intime, douloureuse, parsemée des « éboulements » du titre, jusqu’à la naissance de son propre fils, et un peu au delà. La ligne est aussi tendue d’un mot à l’autre, d’une image à l’autre, créant un effet de surprise et transmettant au lecteur toute la violence mêlée à la douceur et au mystère de l’enfance.

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Solitude

Certains silences happent en soi la parole – la vie s’y engouffre – la poésie de l’instant se fera-t-elle chair une dernière fois? Une main solitaire froisse l’enveloppe profonde de ce qui s’appelait auparavant « moi » – la douleur devient l’antienne de l’ombre intérieure.

Souffrir sans souffrir, se retirer à pas d’oubli, les visages de l’amour flottent dans le bleu dispersé.

Amour

L’amour donné peut-il être nommé, peut-il être au poème l’or des frondaisons, l’éblouissement de l’instant ?

L’amour donné est-il un visage qui demeure, au bord de notre mémoire fatiguée, là où nos mains cherchent l’absence de douleur ?

L’amour donné est-il demeuré entre nous, vent tournoyant, souffle que les perturbations dispersent ou rassemblent ?

L’amour donné peut-il faire retour en nous ou est-il pour jamais perdu – chant inaudible de l’oubli ?

L’amour donné peut-il s’étendre sur mon corps pour y accomplir la dernière nuit ?

Panorama

A propos de Panorama 1. Articles et entretiens 2005-2021, d’Étienne Ruhaud, illustrations de Jacques Cauda, Éditions unicité, collection Éléphant blanc.

Le titre de cet ouvrage dit bien son ambition et sa générosité. On ne peut manquer de remarquer le lien avec le nom du blog animé par son auteur, Page paysage. Les pages peuvent se contempler comme des paysages, et les paysages, à leur tour, se lire comme autant de pages, écrivit Jean-Pierre Richard, qui a inspiré le nom du blog. C’est la démarche du livre: parcourir la littérature contemporaine comme un paysage, à la fois immense et fragmenté.

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Souvenirs

Poumons étouffés, trois cris  – venus de quel lieu ? – yeux fermés – rouge épais, palpitant – ne pas voir surtout derrière la tenture – souvenirs de la mort inutile. Moment originel.

Disparition – avec elle s’éloignent les choses – meubles dispersés, bois brillant, velours rayé de jaune – brume – plus personne ne chantonne, les murs se referment. Il faudra graver un nom, un seul, sur le marbre.

Ce n’est pas une solitude, ce n’est pas une peur, ce n’est pas une, c’est la perte. L’absence, absence répétée, aussi régulière que le sang qui goutte, absence de regard, absence de voix – dans la vie de l’enfant, rien.

Miroir

La revue Miroir d’avril 2024 publie le texte que j’ai écrit sur une consigne d’écriture proposée dans les ateliers de Laura Vazquez : Écrire en s’appuyant sur les points de force éternels – avec Dorothy Allison. Il s’agissait d’écrire sur le mensonge, son cheminement et sa fin, le dévoilement. Mais, parfois, le mensonge est une absence, parfois, le dévoilement est difficile et reste dissimulé. C’est le sujet de mon texte dont voici un extrait:

A lire dans l’intégralité ici

À partir de l’impulsion des ateliers de Laura Vazquez, Miroir offre à lire plusieurs entrées de lecture :
– par date de parution (chaque 8 du mois à 20h03 à l’exception du mois d’août)
– par référence littéraire
– par consigne d’écriture
– par autrice ou auteur.

La revue est accessible gratuitement en ligne mais on peut acheter la version papier ici

Fin

J’ai rêvé, comme un papillon, d’une fin juvénile dans l’exaltation de blanches querelles : fébriles renflements, prières incandescentes, érotiques larmes jusqu’à l’aube infidèle. Je traversais la longue nuit de l’instant, noyant l’âge des suicides dans le lait amer du plaisir, sans subir le naufrage du héros : la mélancolie frottait sur ma verge ses seins alourdis de voluptueuses histoires. Je ne savais plus si je m’étais assoupi ou si la mort, déjà, avait léché mon visage vieilli.

Fantôme enfermé dans la prison brûlante de son corps, il m’a fallu jalonner l’existence de mots incendiaires – loi des solitudes. Aujourd’hui, ne reste que la pensée immédiate du vide. Le vent souffle parfois sur mon torse un dur silence de pierre. Je suis enfin nu dans les bras de mon ange.

Poétisthme 15

La revue en ligne Poétisthme est publiée par une maison d’édition associative et un collectif d’expérimentation poétique. J’ai eu le grand plaisir de voir un de mes poèmes et une de mes photographie publiée dans le numéro thématique 15, consacré à « Des mots pour photographier le réel ». Une bien belle expérience, engageant, comme toujours, un dialogue avec les auteurs et, cette fois, entre photographie et poésie.

Sur la double consigne de travailler le réel et d’ « épuiser » la photographie J’ai choisi un cliché du RER, pris un jour de panne, un soir d’angoisse, un moment d’épuisement de notre réel. Le titre de mon poème est Métadonnées et hors-champ, traduisant un mouvement, d’écran de smartphone à écran de smartphone, depuis les objets et techniques qui nous portent et nous enferment, vers l’élan poétique de l’humanité.

Je vous propose de découvrir ici les autres contributions et l’ensemble de ce numéro.