Poétisthme 15

La revue en ligne Poétisthme est publiée par une maison d’édition associative et un collectif d’expérimentation poétique. J’ai eu le grand plaisir de voir un de mes poèmes et une de mes photographie publiée dans le numéro thématique 15, consacré à « Des mots pour photographier le réel ». Une bien belle expérience, engageant, comme toujours, un dialogue avec les auteurs et, cette fois, entre photographie et poésie.

Sur la double consigne de travailler le réel et d’ « épuiser » la photographie J’ai choisi un cliché du RER, pris un jour de panne, un soir d’angoisse, un moment d’épuisement de notre réel. Le titre de mon poème est Métadonnées et hors-champ, traduisant un mouvement, d’écran de smartphone à écran de smartphone, depuis les objets et techniques qui nous portent et nous enferment, vers l’élan poétique de l’humanité.

Je vous propose de découvrir ici les autres contributions et l’ensemble de ce numéro.

Saisir

J’ai longtemps écrit pour fuir le regard vide du suicide, mes phalanges étaient des tiges à demi détachées du cœur battant des paumes.

J’ai longtemps écrit à l’envers de l’absence, l’eau noire de la première mort montait de chaque silence, elle noyait le nom que je traçais.

Mes mains ne savaient pas tenir, retenir, serrer; je m’efforçais de garder mon corps à flot, de le réchauffer sous la main des hommes, leurs doigts curieux, leur sexe tendu comme l’espérance.

Formuler et saisir sont choses équivalentes. Il m’a fallu la vie pour en faire une fleur qui ait l’odeur de ton amour.

Campagne

Couleur murale, passé ocre, brèches impatientes : la lumière a laissé sur les fermes abandonnées, quelques fenêtres interdites au présent. Tout autour, loin des rumeurs du trafic, l’antienne frémissante de l’eau qui roule sur les grains arrondis des lits cabossés. Nous nous tenons à portée de murmure dans les chemins creux, escortés par l’ombre des aqueducs, là où l’horizon irrigue l’azur du vol erratique des corbeaux.
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Le ciel s’est assombri à l’approche de l’orage, des feuilles grises et dorées se sont glissées entre les pointes de tes seins. La voûte du ciel s’est allongée sur nous – tu as posé sur mes lèvres un long baiser vertical. Je me suis enfoncé dans une odeur de limon – le sol, sans doute, s’est dérobé dans les mouchetures de ta peau – et des pierres ont planté leurs dents silencieuses dans l’argile épaissi de mon sang : nous avons mélangé nos rêves en attendant la douloureuse plainte de l’intime. Ce n’était pas la fin du jour ?

Grace à tes mains sur ma poitrine, je reconnais les dernières ondées du temps, mon corps est une maison de terre durcie par les battements de ton sexe. Elle s’écroule à chaque gémissement dans une jouissance de craie.

Plage

Mon corps est une eau douce tombant dans le ciel bleu de ton regard, il te durcit à son rythme; nous retrouvons, dans un seul cri, l’été secret et ses chemins odorants.

Ce sont tes mains sur mon visage qui ont conduit la pluie, guidé ses lignes le long des lèvres; ce sont mes mains qui ont trouvé la source.

Nous nous adossons à la pierre calcaire qui garde la chaleur des mers, nos gémissements résonnent dans les carrières oubliées, nous nous aimons dans les pages de plâtre.

Bois

Nous marchons sur l’aube aux frondaisons de marbre, nos pieds brûlés par la végétation rugueuse – verdure saccadée, peaux de salamandre accrochées aux fougères, encoches humides du sang des sacrifices – la douleur est un jeu perdu dans l’heure originelle. Pourrons nous atteindre la promesse de la clairière ?

Oraison du bois mourant aux rebords de brûlure, chuchotements des toits sur les troncs craquelés – chair consumée de nos mémoires heureuses. Peut-être sommes-nous devenus la nouvelle tourbe amoureuse du ciel.

Absence

Je ne suis plus là mon ange, je me suis absenté. Tu n’as plus pour sentir ma présence que la caresse froide d’un souvenir. Ton dernier sourire m’a glacé : tu as noyé l’enfant qui voulait marcher avec toi dans le ciel. Il reste au fond de l’eau les ombres de nos corps faisant l’amour contre le courant qui t’a emporté.