Rivières

Certaines rivières sont le silence, enfoui dans tes yeux
elles sont la boue, la vase
le vide qui vient.
Tu es le virage, aperçu trop tard,
la perte d’équilibre.

Certaines rivières grondent
elles se préparent au sommet des rêves
elles emportent l’usure des jours.
Tu es le visage, fugace, espéré
aperçu dans un reflet de l’eau.

Certaines rivières charrient des phrases,
des lignes de pierres qui se heurtent, des blessures
elles saignent.
Tu es le bruit battant
de la pluie.

Certaines rivières débordent, me débordent
mais les saumons qui brillent en inversent le cours
le pêcheur attend, pilier d’un pont de fils.

Texte écrit sur la proposition de Laura Vazquez dans son atelier Certains mots vivent dans ma gorge – avec Audre Lorde & Schopenhauer.

En mémoire de Jérôme, défenseur des espaces naturels et pêcheur dans les gaves pyrénéens évoqués par le beau documentaire « La rivière » de Dominique Marchais.

Pluie

Les jours de pluie n’ont pas d’aube – ils perpétuent la nuit dans la respiration pure de leur naissance – les herbes, les feuilles, les branches se couvrent du souffle gris du ciel, elles retrouvent leurs natures d’ombres. Notre féconde imagination s’est endormie, la terre a rangé ses couleurs divertissantes, son baiser est froid comme une vérité oubliée. Une main d’acier caresse le front, là où la pensée, lorsque le soleil est au zénith, s’échappe dans les vapeurs du mensonge – nous nous tenons entièrement nus dans la main humide du temps.

Philippe Moron

Kamanche

Dans le bois du mûrier, sous la peau, la vibration retenue, deux octaves sans fin

La pulpe des doigts glisse entre les cordes, les ongles se font oiseau

La main repliée frappe la porte de nos jardins – corps tourné vers la ronde – le ventre reçoit la plainte

La nuit viendra
Tenir l’archet
Du murmure
Dans notre gorge
Battements rapides
Du cœur

Onde vive distordue en étincelles
Libérée des anfractuosités de la matière

Cri de détresse, timbre désemmuré
Signal de chair contre ma peau

Attendre sans attendre,
Dans ta bouche,
La dernière crispation
De l’espace
Note fauve
Conclusion
De toutes les feuilles
Tombées une à une
Sur ton ventre


Le Kamanche ( « petit arc ») désigne une famille d’instruments à cordes frottées d’origine iranienne datant du IXe siècle.