J’écris. Le soir surtout, à la frontière de la fatigue. Je pose les doigts sur les touches du piano à mots silencieux pour découvrir ce que mon corps recèle de tristesse : je les laisse courir ; ils suivent les instructions d’une âme absente. Je teinte de gris les pages virtuelles d’une interface opale. Je relate la vie de cet intime étranger qui marche dans mes pas. Je comprends qu’il s’agit d’un journal.
Depuis longtemps, je note que la peau de mes paumes se ligue contre moi. Sans que j’y prête garde, elle déclenche par simple effleurement de la périphérie du clavier de troublantes sélections de texte, des disparitions. L’œil rivé sur la fenêtre grise, je répare, recommence. Parfois, je lutte contre l’envie de frapper avec mes poings cet instrument de torture aléatoire – je sens la rage prendre possession de moi – il n’est pas sûr que je résiste longtemps à cette pulsion. Ne serait-ce pas un suicide lent ?
Et puis, une pensée se lève : ce monde, avec son démiurge engoncé dans les circuits occultes de l’ordinateur, n’a guère de sympathie pour moi. Mes mains se font alors plus légères – les mots, pendant quelques instants, s’alignent régulièrement. Je poursuis le travail, déambulant par l’imagination dans des pays que je croyais oubliés. Mais très vite l’écriture perd son apesanteur. Une ombre efface mes traces sur l’écran.
La nervosité est un tremblement subtil, l’esquisse frileuse d’un désaccord intérieur. Je me sens à la marge de la vie, ni dans la mienne, ni dans celle d’un autre. Il y a peut-être dans cette marge des beautés à découvrir.
Dehors, un nuage respire dans l’air froid où ta main a déchiré le soleil.