Départ

1998

Foules éparpillées, cercles de pas sans fin nous voici, dans le silence, innombrables

Où sont, désormais, les louanges anciennes, les baisers indisciplinés comme multitude de papillons fous ? Quand nous sommes-nous abîmés dans l’amour immobile ?

Nous dérivons chaque jour sans destination—je suis ici, aussi égarée que vous là-bas— sans savoir où déposer son cœur

Vous vous souvenez du fleuve qui nous emportait dans ses phrases érogènes : il irriguait en nous les courants sous-marins de nos chairs asphyxiées

Et je me rappelle le dédale de ta retraite sans étoile où je saurai un jour te visiter

Si le poème meurt, nous ne nous serons pas aimés

2023

La solitude a mordu ma peau de ses dents misérables – l’ennui embrasse aussi mal que les souvenirs brisés – je me suis retiré de toi pour éloigner les tourments

Aujourd’hui pourtant, je te protège encore de l’épaisseur de ton ignorance – que sais-tu vraiment de moi ? – dans l’attente de ton parfum amer

Tu es venue me prendre au pied de l’arbre du repentir – c’est toi qui bientôt griffera mon torse de tout le mépris du ciel

Et je me soumettrai à la loi de tes rythmes – tu as été redoutable avant de l’oublier – dans la paix du départ que tu m’as refusé

Je t’écouterai hurler toutes les années perdues

Jours

2002

Toi et moi sommes désormais
Tous les murmures du passé
Nos mots ont tracé les rides
Avec l’acharnement des heures

Les rosaces de nos cieux profonds
Sont empreintes de nos émois
Entailles de plâtre et de peau
Témoins de tous les au revoir

Je suivais tes gestes tendres
Ton calme hésitant et j’allais
En te cherchant, me retrouver

Sur nous un seul et même jour
S’était levé infiniment –
Le temps sans crainte s’est achevé

2023

Un seul jour se lève, passant d’un horizon à l’autre – dis-tu –
Un seul jour d’amour, au calme hésitant, un jour de sommeil
Adossé à la nuit ardente et aux histoires féroces
Que je lis debout dans tes yeux quand tu me regardes jouir

Jadis, jadis, l’air avait ton parfum de fleur femelle –
Je séjournais, au rythme de l’amour, dans une folie
Profonde comme dans une sylve– tu habitais les scansions du ciel

Arbre

1998

Frissonnements des ombres de l’arbre
À la fenêtre, branches prises dans
Tes mots, chanson apprise sur les
Lèvres, l’aveu à travers les feuilles

Des nervures de l’exaltation
La sève élaborée parcourt
Le chemin profond de nos ébats

Nous nous sommes encerclés de nos bras
L’un à l’intérieur de l’autre
Dans la fureur d’un centre de soi

2023

Il a poussé à chaque rencontre dans le voile de mes paroles, impatient de prendre racine en toi, quand il ne l’aurait pas fallu – certaines greffes sont indésirables

Il pousse chaque nuit dans le souvenir entêté des rêves – avons-nous vécu toutes ses joies, avons-nous fait l’amour si longuement ?

Il pousse à l’opposé du ciel – mes yeux se perdent dans des frondaisons folles qui me cachent le jour – que ferais-je aujourd’hui, sous la terre, des vibrations de lumière ?

Nuits

1994

Franchis le seuil bleu, porte ouverte sur mon sommeil
Débordé, plonge ton corps, loin, comme une joie,
Très loin enfoncée dans ma chair, avant mon cri
D’abord retenu, marque-moi de ton ivresse

Je suis la nuit ouverte par ta langue

2023

Je suis la ville couchée dans l’ignorance
Qui te retient d’entrer dans ma nuit
Les parfums amers du désir te cachent encore à moi
Bientôt je livrerai ta lumière sacrée à l’obscurité de mes doigts

Le temps existe par l’oubli de nos futures étreintes