Noms

Noèse, noème, parfums d’exil aux visages intimes
Noèse, noèse, réminiscences de mes terres d’asile –
Y avais-je appris le langage des maux
Noème, noème, battements lourds des cœurs pétrifiés
Dans les coquilles sanglantes où se perdent les échos
Des précieuses histoires – ai-je cru y lire la mienne

Chants de l’amour, noms apprivoisés, voies défendues
Adresses secrètes dans la ferveur du silence –
Deux sexes désaccordés s’affamant de vertiges –
Art de livrer au plaisir nos corps à contre-temps
J’ai désavoué l’éclat amer des crépuscules
Inventant le prénom de chacun de nos baisers

Notre soleil s’est éteint en maudissant ses flammes
J’ai repeint le ciel aux couleurs de la solitude
Et j’ai chassé l’azur – nos enfants ne sont pas nés –
L’amour s’est tu dans le vaste champ de notre oubli
Retiré sur ses terres sombres, deux noms ensevelis

J’ai mordu nos lèvres jusqu’au sang
Pour imprimer notre goût dans ma
Chair fertile

J’ai brodé, sur les draps trentains le
Monogramme de nos initiales
Entrelacées

Je t’ai donné un nom pour gorger
De sens notre histoire morcelée :
Qu’il ne reste sur ses pages nulle
Tâche de néant

J’ai pris ta place dans ce fauteuil
Et tracé le senhal qui est tien
La signature qui nous unit
A jamais

Le mot occitan senhal se réfère à un nom d’invention employé par les troubadours pour désigner la femme à laquelle s’adresse leur désir. Il peut aussi dissimuler et désigner le signataire, son modèle latin étant signare, d’où vient signer

Argile

1995

Du marbre de la cheminée
Les vagues intimes retirées
Sur les coquillages immobiles
Nos corps enroulés sur eux-mêmes
Profondeur où les mots reposent

Sur le calcaire, les longues pluies
Souvenir des chaleurs marines
Reflet des vitres entrouvertes
Nos mains d’argiles ressemblantes :
Les images de nos solitudes

Couloirs sonores, chambres d’écho
Pages de plâtre de tous les murs
Au grand silence du zénith
Le froissement du lit ouvert
Sur les anciennes carrières de gypse

2023

Quais offerts, songes de retour
Asphalte brillant sous l’ondée
Miroir où nos peaux ont cherché
La danse incandescente des larmes

Le soir, la ville en nous dissoute
Respirer l’air des chemins
Voir la soie des fils que la lune
Tisse pour orienter nos pas

Les mots s’éboulent en agrégats
De terre – Argiles, sables, limons –
Détachés de la roche mère
Sur la peau durcie des années

Cristal

1994

Quand les jours inlassables auront traversé
Mon corps jeté, vidé, dans ces draps
Remontés sans cesse contre l’avance de la nuit
Dehors poindra le jour sec, et ocre

En dernier me quittera la charpente nue
Édifice de tant d’heures transparentes
Chapelle où luit tamisée
L’empreinte froide de ton corps, avide

La main défera le pli du tissu
Sur ta peau comme le lin froissé
Tu seras assoupi quand je toucherai les lèvres
De cristal dans lesquelles j’aurai goûté la vie

2023

Lumière tremblante dans l’aube de tes bras,
le souffle de carmin ensommeillé de colère
traverse l’abîme fendu comme un cristal
jusqu’à l’orée de tes cheveux parfumés de résine

L’écorce de ton corps craquelle sous les baisers
sanglants de cochenille – ma bouche s’engouffre
dans les absences du temps qui bat

La cime du silence réveille le lointain
jusqu’au bord de l’oubli scintillant sur les eaux des rivières

La toison primaire dont j’ai parfumé ma peau est devenue forêt – je t’appartiens toujours

Départ

1998

Foules éparpillées, cercles de pas sans fin nous voici, dans le silence, innombrables

Où sont, désormais, les louanges anciennes, les baisers indisciplinés comme multitude de papillons fous ? Quand nous sommes-nous abîmés dans l’amour immobile ?

Nous dérivons chaque jour sans destination—je suis ici, aussi égarée que vous là-bas— sans savoir où déposer son cœur

Vous vous souvenez du fleuve qui nous emportait dans ses phrases érogènes : il irriguait en nous les courants sous-marins de nos chairs asphyxiées

Et je me rappelle le dédale de ta retraite sans étoile où je saurai un jour te visiter

Si le poème meurt, nous ne nous serons pas aimés

2023

La solitude a mordu ma peau de ses dents misérables – l’ennui embrasse aussi mal que les souvenirs brisés – je me suis retiré de toi pour éloigner les tourments

Aujourd’hui pourtant, je te protège encore de l’épaisseur de ton ignorance – que sais-tu vraiment de moi ? – dans l’attente de ton parfum amer

Tu es venue me prendre au pied de l’arbre du repentir – c’est toi qui bientôt griffera mon torse de tout le mépris du ciel

Et je me soumettrai à la loi de tes rythmes – tu as été redoutable avant de l’oublier – dans la paix du départ que tu m’as refusé

Je t’écouterai hurler toutes les années perdues

Jours

2002

Toi et moi sommes désormais
Tous les murmures du passé
Nos mots ont tracé les rides
Avec l’acharnement des heures

Les rosaces de nos cieux profonds
Sont empreintes de nos émois
Entailles de plâtre et de peau
Témoins de tous les au revoir

Je suivais tes gestes tendres
Ton calme hésitant et j’allais
En te cherchant, me retrouver

Sur nous un seul et même jour
S’était levé infiniment –
Le temps sans crainte s’est achevé

2023

Un seul jour se lève, passant d’un horizon à l’autre – dis-tu –
Un seul jour d’amour, au calme hésitant, un jour de sommeil
Adossé à la nuit ardente et aux histoires féroces
Que je lis debout dans tes yeux quand tu me regardes jouir

Jadis, jadis, l’air avait ton parfum de fleur femelle –
Je séjournais, au rythme de l’amour, dans une folie
Profonde comme dans une sylve– tu habitais les scansions du ciel

Arbre

1998

Frissonnements des ombres de l’arbre
À la fenêtre, branches prises dans
Tes mots, chanson apprise sur les
Lèvres, l’aveu à travers les feuilles

Des nervures de l’exaltation
La sève élaborée parcourt
Le chemin profond de nos ébats

Nous nous sommes encerclés de nos bras
L’un à l’intérieur de l’autre
Dans la fureur d’un centre de soi

2023

Il a poussé à chaque rencontre dans le voile de mes paroles, impatient de prendre racine en toi, quand il ne l’aurait pas fallu – certaines greffes sont indésirables

Il pousse chaque nuit dans le souvenir entêté des rêves – avons-nous vécu toutes ses joies, avons-nous fait l’amour si longuement ?

Il pousse à l’opposé du ciel – mes yeux se perdent dans des frondaisons folles qui me cachent le jour – que ferais-je aujourd’hui, sous la terre, des vibrations de lumière ?

Nuits

1994

Franchis le seuil bleu, porte ouverte sur mon sommeil
Débordé, plonge ton corps, loin, comme une joie,
Très loin enfoncée dans ma chair, avant mon cri
D’abord retenu, marque-moi de ton ivresse

Je suis la nuit ouverte par ta langue

2023

Je suis la ville couchée dans l’ignorance
Qui te retient d’entrer dans ma nuit
Les parfums amers du désir te cachent encore à moi
Bientôt je livrerai ta lumière sacrée à l’obscurité de mes doigts

Le temps existe par l’oubli de nos futures étreintes

Vaisseaux

1994

Nous glissons sous l’étoile flamboyante
Du désir, à l’aplomb du ciel
Vaisseau bleu comme un plafond d’église renversé
Les flots effleurent mon cœur comme ta main, hier
Le silence et le respect des morts nous entourent
Tout ce qui miroite au milieu du monde
A la couleur de l’encre et du souvenir
Que je souffle sur l’horizon

2023

Miroir de l’horizon vacant
Chant anonyme, visage de pierre
Regret des caresses rendues aux absents
Les flots bercent la nuit bleutée

Sillon de joie, ô ma soie douloureuse
Vaisseau clandestin, je passe sous ton désir

Dedans

1995

L’angle de tes bras dans le repos
Le jardin jaune dans l’attente et
Le parfum captif qui déborde
Le cadre, toutes les fleurs d’un songe

Espace tremblant dans les hanches,
Ta voix, lente, à chaque parole
Vin d’or, de terre et d’ombre
Cordes et chairs mêlées, dedans

Les mots, au bord de ta voix
Dans ma bouche, vibrant à mes lèvres
Les boire près de leur source

Être près de tomber
Tenir au seul souffle
Accomplir le baiser

2023

Tu t’es déshabillée à chaque heure précédant un aveu sans visage – tu n’as plus consenti
Au chaste baiser de l’attente – mes mains scrutaient dans ton sourire la ligne de ton corps nu.

Sans le vouloir, tu as désarmé ma gêne – un mot suffisait à partager ton silence –
Accrochant tes mains aux rameaux d’osier du ciel

Je suis devenu le lit de fortune sur lequel, en te couchant, tu as ouvert la nuit
Face à l’horizon et aux lointains éclairs, à
L’orée du bois de chênes verts emprisonnant dans tes bras les mots d’amour refoulés

Un souvenir : la pluie de chaudes larmes m’a surpris au milieu de l’orage, j’aimerais perdre
Encore la vie dans le souffle uni à tes cris

Forêt

1993

Les fenêtres répètent une lumière

De cendre sur la ville

Nulle lune ne luit sur l’eau, le fleuve

Brille de son absence

Forêt de prime angoisse inscrite sur

Les façades du temps

La solitude se perd en silence

Dans le dernier jardin

Ta fenêtre est désormais un ciel

De mystère et le seuil

De ta porte le seul regard posé

Sur ma voix intérieure

Nos yeux se croisent encore sur des vitres

Où dedans et dehors

Se confondent, mais où nos deux voix restent

En pays étrangers

2023

J’ai plus de mots en moi que de souvenirs

Mon cœur, lassé d’attendre, a cessé de

Remonter le temps vers les prières d’amour –

Trop de promesses ont coulé sur les passions

Turbulentes, trop de sourires mensongers –

Il ne bat le pavé des rues qu’en échos

Des pas anonymes déposés chez moi

Naguère, j’ai éteint les lumières de la ville,

Je n’habite guère que les histoires anciennes

Aujourd’hui, je laisse au monde l’enveloppe d’un

Corps, et quelques paroles sans pensée

Au milieu de mon âme pousse une forêt