
« La mort viendra du ciel ».
J’écoute en moi siffler les bombes comme elles sifflaient dans la mémoire de ma mère, bien avant la fuite – je n’ai jamais su ce qu’elle voyait dans le sillage des avions – était-ce un ciel couchant semblable à celui-ci ? Où suis-je ?
Je parcours des yeux la nuit inversée, éclairée, comme un miroir de pluie, par l’ombre astrale des réverbères sur les bitumes détrempés, mon cœur battant au rythme des pas des danseurs que la rue a improvisés. Est-ce l’écho mélancolique de leur chanson qui m’a immobilisée ? Je reste debout, avec vous, sur cette place, surprise d’y entendre la musique de mes joies éperdues et non le feu de la mort que nous attendons ensemble.
Jadis, j’arpentais les rues sèches du pays des roses, du pays où s’enfante la guerre, faute de femmes libres à aimer – Il les a enfermées dans un linceul noir sans lequel elles seraient nues, roses de chair, pourchassées comme je l’ai été – ô les yeux acérés comme des couteaux ; ici, les avenues, les places devenues familières – le lait du plaisir entre les mains et les seins ronds des sirènes d’une fontaine, exposée comme une noire espérance ; là-bas le bouillonnement des fontaines de sang de Téhéran – sang des martyrs, sang des victimes violées et massacrées pour avoir levé un voile.
Dans ma mémoire, dans mes livres, sommeillaient tant de guerres du passé, de guerres lointaines et silencieuses. Mais il n’est pas de guerre lointaine, le ciel la transporte – leurs croyances, leurs drones, leurs avions – et les images sur les smartphones, de proche en proche, ré-enfantent la haine en propageant son souffle sur celles qui se sont libérées.
Le linceul noir est le titre d’une opérette écrite vers 1920 par Mirzadeh Eshghi, poète iranien, né en 1893 et assassiné à Téhéran en 1924. Dans l’opérette il assimile le voile à un linceul enveloppant les femmes qui, à l’instar des morts enfermés dans les tombes, privés de lumière et d’air, vivent dans les ténèbres. L’opérette s’achève par un appel à combattre le voile. « Tant que la femme est dans ce linceul », dit le poète, « la moitié du peuple d’Iran sera morte ». Cité par Chahla Chafiq dans « Le voile des femmes, miroir magique de la modernité mutilée », in Islam politique, sexe et genre. Presses Universitaires de France, 2011
elles seraient nues : expression désignant les femmes sans voile R.M. Khomeiny, (À la recherche de la voie dans les mots de l’Imam, la femme), ibid
Un texte magnifique, oppressif et oppressant: le linceul noir comme passage ou soie de réparation… y arriverons-nous un jour? L’enfantement reste la certitude absolue mais à quel prix? Ne privons pas nos mémoires d’air et de lumière au nom de TOUTES.
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Merci Vève pour ce commentaire. Oui cette image du linceul noir que j’ai empruntée à ce poète iranien dit si bien l’enfermement des femmes dans les ténèbres et hélas la crainte d’une guerre terrible. Oui nos mémoires même hantées ont besoin d’air et de lumière !
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J’ai été saisi par la force de ce texte. Merci.
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Merci à vous.
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