Personnes

NOUS, somme de deux unités démultipliées, nos âmes dépliées comme des nappes destinées aux tables allongées, embrassant ceux que nous avons aimés, et qui restent en nous présents jusqu’à la fin du jour.

TU serais elle, par instants, tu serais elle lorsqu’elle fuyait et refusait de répondre, lorsqu’elle mordait dans les derniers fruits – elle a mené de front vivre et détruire – pour elle, il était impossible qu’il en fût autrement.

JE cherche, dans un continent de silence, l’ancien murmure, le métronome des origines, les premiers mots, les premiers pas, les frappes douces et régulières des doigts sur les touches noires et blanches du chant.

2 réflexions sur “Personnes

  1. Ce très beau poème, lu isolément pourra être interprété très différemment. Cependant, j’ai fait le choix de le rattacher au dernier poème intitulé « Nervosité ». De la même façon que « Sans toi » était composé de deux textes mis en miroir qui constituaient deux réponses au deuil d’une relation, « Personnes » et « Nervosité » explore la rupture intime en l’inscrivant dans une perspective temporelle et relationnelle.

    Le mot « personne » vient du latin persona qui signifiait à l’origine masque de scène que portaient les acteurs de théâtre antique, puis l’acteur lui-même, porteur de masque, enfin le personnage joué par l’acteur. C’est dans cette dernière acception que l’on doit entendre le titre de ce poème écrit avec un « s » terminal pour marquer le pluriel : « PersonneS »: il renvoie à la pluralité des facettes de la personnalité.

    Le texte fonctionne en entonnoir. Dans le premier mouvement, la narratrice évoque la déchirure intérieure à travers le prisme d’un « nous » renvoyant à « deux unités démultipliées », correspondant aux différentes facettes de sa personnalité, composées avec ceux qu’elle a aimés. Dans le deuxième mouvement, elle s’adresse à l’unité restante et lui demande de jouer à être l’autre, celle qui a disparu. Enfin, dans le troisième mouvement, la narratrice endosse le « je » pour épancher sa douleur face à la destruction d’une partie de son identité.

    Et pour cela, tout comme dans le poème “Nervosité”, la narratrice “cherche l’ancien murmure”, l’unité du moi, dans l’écriture. La même métaphore est présente dans les deux poèmes. Au “Je pose les doigts sur les touches du piano à mots silencieux” de “Nervosité”, la narratrice répond “Je cherche dans un continent de silence… les frappes douces et régulières des doigts sur les touches noires et blanches du chant”. Nous retrouvons l’idée de silence pour dire la solitude et la métaphore musicale du piano et du chant harmonieux donné par la régularité de la frappe. Les touches noires et blanches évoquent la complexité de l’identité, sa fragmentation. Les deux narrateurs cherchent dans l’écriture à (re) construire un récit pour faire tenir ensemble les éléments disparates de leur identité décousue afin de retrouver cette unité perdue (cf. Paul Ricœur). De ce travail créateur, quelque chose de neuf surgira, quelque chose d’inespéré contenant, qui sait, une possibilité de joie.
    « Il y a dans toute rupture l’espoir de se trouver et le risque de se perdre » Claire Marin

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