Cirrocumulus
Goûter
Le bout de tes doigts
Soir révolu
Brûlent les derniers atomes
De peau
Vase clos des sensations
Les morts exhalent chacun
Un souvenir
L’hirondelle
Soulève la houle
Du ciel
Toi, là-haut,
Tu es le sourire
Qui va bercer la nuit
Cirrocumulus
Goûter
Le bout de tes doigts
Soir révolu
Brûlent les derniers atomes
De peau
Vase clos des sensations
Les morts exhalent chacun
Un souvenir
L’hirondelle
Soulève la houle
Du ciel
Toi, là-haut,
Tu es le sourire
Qui va bercer la nuit
« Sourire » exprime la douceur nostalgique du sourire d’une maman. Il déploie son propos au rythme du mouvement imperceptible des cirrocumulus dans le ciel. Cette lenteur est accentuée par une écriture elliptique qui rappelle l’esprit du haïku par sa forme ciselée, soigneusement travaillée, saisissant la fragilité d’un fragment de souvenir ou de l’instant fugace. Chacune des cinq strophes, lue indépendamment, pourrait constituer un poème à part entière. La réminiscence de l’enfance et la figure de la mère sont les thèmes principaux développés dans ce poème. La nature, à travers le ciel et l’hirondelle, devient l’horloge perpétuelle du temps qui passe et souligne, par contraste, la fragilité et le caractère éphémère de la vie et des souvenirs.
Le poème commence par une épiphanie (« cirrocumulus/goûter/le bout de tes doigts/ »). La contemplation de la course des cirrocumulus, hauts dans le ciel, ces nuages inconsistants à l’aspect floconneux, provoque chez le narrateur la réminiscence d’une image d’enfance, bribe de souvenir aussi ténue et éphémère que les nuages eux-mêmes. C’est une révélation émotionnelle, marquée par le surgissement d’une image d’un goûter familial, où la sensation tactile du « bout de doigt » de la mère suggère une impression fugitive et légère. L’écriture fragmentaire amplifie l’effet « percutant » que l’observation du ciel provoque chez le narrateur et souligne le rapprochement qu’il établit entre les cirrocumulus moutonnés qui s’effilochent dans leur course folle – métaphore de la flèche du temps – et la mémoire. Cette brièveté de forme renforce également le caractère diffus et précis du souvenir de ce moment d’intimité tendre, arraché au flot du temps. Cela provoque en lui une prise de conscience aiguë de l’évanescence de la vie et des souvenirs qui sera développée dans la suite du poème avec les vers « Soir révolu/Brûlentles derniers atomes/De peau » et « Vase clos des sensations… ».
Le vers « le soir révolu » sert de métaphore pour exprimer la finitude de l’homme tout en reliant temporellement le premier couplet et ceux qui suivent. Il marque la transition entre l’après-midi évoqué à travers le goûter du premier couplet et le soir du second. Il souligne aussi le passage entre la réminiscence heureuse et furtive de l’enfance à celle de la prise de conscience de la fugacité des souvenirs et de la vie elle-même. Il symbolise également la fin d’un cycle, celui de la disparition physique de la figure maternelle. Les « derniers atomes de peau », l’ultime trace corporelle de la maman, s’effacent, « brûlent » dans le feu du soir. Le terme « révolu » souligne l’irrévocabilité de l’effacement du corps de la mère qui, autrefois, occupait l’espace par sa matérialité, sa densité physique pour ne laisser que des souvenirs de nature volatile et plus fragile dont la survivance repose sur la mémoire incertaine du narrateur soumise à l’érosion du temps.
L’adjectif « clos » souligne les limites de la mémoire, représentée par ce « vase des sensations ». La survivance de la mère repose uniquement sur la mémoire du narrateur et des vivants, dont le rôle consiste à trier sans cesse et à oublier, car sans oubli, il n’y a pas de mémoire. En effet, la mémoire ne peut saisir l’intégralité d’une vie passée (« les morts exhalent chacun un souvenir »). De plus, avec le temps, comme pour les corps et la matière des nuages, les souvenirs perdent leur consistance, se fragmentent pour se transformer peu à peu en éclats, bribes d’images et de sensations éphémères, jusqu’à l’oubli définitif.
Les deux dernières strophes tissent un lien subtil entre la nature et la mémoire. Le ciel symbolise l’infini et la permanence des éléments naturels et de l’univers. La comparaison avec l’océan (« la houle du ciel ») crée une sensation de mouvement perpétuel, une fluidité qui suggère que la mémoire comme les vagues océanes est en constante évolution, se transformant et se renouvelant sans cesse tout présentant une forme de permanence qui dépasse la temporalité de l’homme. Les cirrocumulus, légers et fragiles, visibles un instant, sont voués à s’effilocher et à se dissiper comme les souvenirs sont condamnés à disparaître. Devant cette prise de conscience du tragique de l’existence humaine, confronté à un infini qui le dépasse, le narrateur oppose une résistance à travers la très belle métaphore de l’hirondelle. Oiseau migrateur infatigable qui revient toujours sur les mêmes lieux de nidification et qui ne se pose jamais, elle offre l’image de la résistance face au temps et de la fidélité à la mémoire. Elle pourrait aussi incarner le rôle de messagère entre le monde céleste (éternité) et terrestre (celui des hommes). En soulevant la houle, elle crée un pont entre le monde des vivants et des morts, entre le passé et le présent permettant la transmission des souvenirs. Le narrateur, à l’image de l’hirondelle, tente de résister à l’érosion du temps en fixant les instants fugaces de ses souvenirs sur la page. Son écriture devient une lutte contre le délitement de la mémoire faillible, une tentative de les arracher du vide où ils glissent inexorablement.
Le poème qui se conclut sur la douce réminiscence du sourire maternel, évoqué avec beaucoup de tendresse et de douceur, apporte du réconfort au narrateur. Le souvenir furtif de ce moment passé abolit pour un instant les limites temporelles, permettant au narrateur un retour à l’enfance, bercé et réconforté par le sourire de sa mère. Dans l’innocence et l’ignorance du temps qui passe et du caractère périssable de la vie et des souvenirs, le narrateur (« berce la nuit ») jouit du sourire protecteur et réconfortant de sa mère, comme une barrière contre le temps qui s’écoule. Ce sourire qui résiste au temps qui passe et traverse la barrière temporelle symbolise l’amour éternel d’une mère envers son enfant. Il offre au narrateur un ancrage affectif dans un monde où tout est voué à disparaître.
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Chère lectrice, Sourire est né d’un ressenti, celui de la beauté et de la fugacité du monde (ici comme souvent, les « merveilleux nuages »), de la vie, et le désir d’aimer, de toucher, de sentir avec force et intensité, avec douceur aussi, tout ce qui est l’amour et les mots qui sont de l’amour. Tout ceci renvoie en effet au manque originel qui vous est apparu malgré tout. Le vide originel qui fait rechercher dans le ciel le sourire.
Je ne veux pas rester sur une note triste car, vous avez raison, le poème ne l’es pas. Il est un élan, celui de l’hirondelle…merci de l’avoir saisi au vol
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