Insomnie

1993

La rue se jette dans les mots obstinés
De mon sommeil, une aiguille a transpercé
Ma nuit interminablement les minutes
Serrent mon cœur

Cadence, cadence, diastole, systole, transparence
D’un voile de minutes sans visage, mon cœur
Étouffe ses battements pour que, ailleurs
Dorment les morts

Le jour je n’ai qu’une voix pour t’épouser
Présent impénétrable, ton corps est une
Douloureuse joie, je n’ai plus assez de
Vie pour t’aimer

2023

J’ai épousé en noces blanches la nuit sans étoile
Souriant obstinément à chacun des regards
D’insomnie qu’elle pose sur moi dans une caresse
D’amour, de haine – ses doigts de liqueur n’en font aucune
Différence – à force de ne plus savoir souffrir
Je ne sens plus le mal, quand ses lèvres prennent mon sexe
Durci, la jouissance est une immense moucheture
Dans le ciel et l’azur une colère sans nom

La nuit se fend toujours de ton sourire blessé
Quand je foule en silence tes prières passionnées
Et le jour fige ma place imparfaite d’époux
Au passé inconciliable avec le désir

Aujourd’hui as-tu enfin, bel horizon fané,

La patience d’attendre, pour toi ai-je encore une voix ?

6 réflexions sur “Insomnie

      • Chère Aline, absolument.
        Je m’y retrouve mais, je me retrouve aussi dans un espace universel de communion et de partage, par-delà la complaisance du « moi, je »; et ce, par la grâce du vis-à-vis posé sur une scène ouverte. J’adore, et je vous en remercie.

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  1. C’est certainement le poème le plus sombre du recueil. Le premier poème est marqué par l’utilisation d’images liées au temps (les minutes, l’aiguille, la nuit interminable) et au cœur (battements interminables, étouffement) pour décrire la souffrance et l’attente (vaine). D’ailleurs, cœur et temps se confondent ; le cœur devient l’horloge qui décompte le temps et l’aiguille (souffrance) transperce le cœur pour le figer (temps arrêté) dans une attente éternelle (les mots du poème sur le papier). Le vers « cadence, cadence, diastole, systole, transparence d’un voile de minutes sans visage » par la répétition du mot « cadence » crée un effet rythmique qui vient rendre encore plus pesant le passage douloureux des minutes associé au battement du cœur. Ainsi, cette dilatation du temps qui rend la nuit interminable et où les minutes s’étirent indéfiniment crée une sensation d’oppression et amplifie la souffrance provoquée par l’absence de l’être aimé. Cette douleur est devenue si intolérable qu’elle désire étouffer « ses battements » de cœur pour ne pas réveiller le désir (« pour que dorment les morts »). Ce premier poème est un cri de désespoir. La narratrice est tiraillée entre un désir intense qui ne sera jamais assouvi, mais qui maintient le lien avec l’être aimé et la peur panique de ne plus désirer. Ici, le désir n’est pas vécu comme une puissance d’être (« Le désir est l’essence de l’homme », Spinoza), mais comme une force qui vide la narratrice de sa vitalité.
    Le deuxième poème peut se lire comme une réponse au cri de détresse lancé par la poétesse. En effet, il reprend des éléments textuels et les thèmes du désir et de la souffrance exprimés dans le premier poème, mais dans une tonalité plus ambiguë. Il explore également une dimension sensuelle et érotique du désir qui vient s’ajouter à celle de la souffrance. « j’ai épousé en noces blanches la nuit sans étoile ». Les « noces blanches » peuvent être interprétées comme l’affirmation d’un désir de lien charnel éternel et indissoluble entre les deux amants malgré l’absence (« nuit sans étoile »). Les deux derniers vers sont une supplique adressée à la narratrice. Il implore cette dernière de conserver le souvenir d’époux même “imparfait dans sa mémoire et de maintenir présent le désir qui les lie. Le poème de 2023 est un cri d’amour et de désir qui enjoint, supplie la narratrice de trouver la patience et la force de l’attendre. En lui demandant de conserver vivace son désir pour lui, l’être aimé a l’assurance de continuer d’exister pour la narratrice. L’être aimé montre qu’il a entendu l’appel à l’aide et le désespoir de la narratrice. Mais entendra-t-elle la supplique qu’il lui adresse à travers le temps, la distance ou la mort ? Et comment choisira-t-elle d’y répondre ?

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