1993
Les fenêtres répètent une lumière
De cendre sur la ville
Nulle lune ne luit sur l’eau, le fleuve
Brille de son absence
Forêt de prime angoisse inscrite sur
Les façades du temps
La solitude se perd en silence
Dans le dernier jardin
Ta fenêtre est désormais un ciel
De mystère et le seuil
De ta porte le seul regard posé
Sur ma voix intérieure
Nos yeux se croisent encore sur des vitres
Où dedans et dehors
Se confondent, mais où nos deux voix restent
En pays étrangers
2023
J’ai plus de mots en moi que de souvenirs
Mon cœur, lassé d’attendre, a cessé de
Remonter le temps vers les prières d’amour –
Trop de promesses ont coulé sur les passions
Turbulentes, trop de sourires mensongers –
Il ne bat le pavé des rues qu’en échos
Des pas anonymes déposés chez moi
Naguère, j’ai éteint les lumières de la ville,
Je n’habite guère que les histoires anciennes
Aujourd’hui, je laisse au monde l’enveloppe d’un
Corps, et quelques paroles sans pensée
Au milieu de mon âme pousse une forêt
Au milieu de mon âme, pousse une forêt… c’est très beau
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Merci Alain !
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deux textes deux époques, le temps pour une forêt de pousser, j’aime bien cette organisation, l’emploi du temps qui ne s’éparpille pas, demeure fixe, stable, tuteur
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Merci pour cette lecture, très belle, de notre poème à quatre mains. L’image du temps comme tuteur, étayant une forêt qui pousse pendant les 30 années séparant les deux textes est forte et ancre la forêt dans la réalité. La forêt peut aussi représenter (comme dans les tableaux de Max Ernst) les peurs ancestrales, et le retrait du monde. Est-ce le moment où l’on cherche à les affronter en s’isolant dans les souvenirs?
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peut aussi faire penser à la symbolique du labyrinthe, le fil d’Ariane, la rencontre du Minotaure, peut-être pas toujours déplaisante cependant qu’on ne sait l’après , pas plus que ce que retire Ulysse de son expérience d’écouter le chant des sirènes
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Cette forêt qui pousse au milieu de l’âme est une belle image. Conclusion idoine pour des mots d’une grande densité, comme les arbres en quesiton.
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Merci Joëlle pour ce beau lien entre la densité des mots et celle de la forêt…le poème avance donc d’arbre en arbre, sous d’épaisses frondaisons…c’est l’image que cela m’inspire…
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Ce poème affiche la tonalité sombre et oppressante d’une nuit sans Lune, dans une ville déserte. Quittant définitivement le monde solaire du premier poème d’« Azur », les narrateurs tirent le fil du désir ou plutôt les « cendres » du désir (trait d’union entre les deux poèmes). Condamné à ne jamais se rencontrer, chacun raconte son désespoir (premier poème) et sa résignation (deuxième poème) face à la perte de l’être aimé et du désir.
Dans le premier poème, la notion de frontière et de lisière est présente à plusieurs niveaux. D’abord, on peut observer une opposition entre l’intérieur et l’extérieur, symbolisée par « les fenêtres » « seuil », « vitres » qui séparent les deux espaces. Le monde extérieur peut être interprété comme symbolisant l’absence de l’être aimé.De même, les fenêtres sont normalement des ouvertures vers le monde extérieur, des points de contact avec la réalité environnante. Cependant, dans le poème, elles ne laissent pas entrer la lumière ou la présence de l’être aimé. « Nulle lune ne luit sur l’eau, le fleuve brille de son absence » (oxymore) évoque également une frontière, une limite entre les deux éléments, l’eau et la lumière. Cette opposition entre présence et absence, entre « lumière » et « cendre », crée une atmosphère de séparation et d’isolement. Les reflets créent une illusion de proximité, mais maintiennent finalement les narrateurs dans des mondes distincts et étrangers les uns aux autres. Cela génère une angoisse profonde provoquée par l’esquive continuelle de l’objet du désir. L’être aimé se dérobe aux regards de la narratrice exacerbant sa solitude et son impuissance face à l’absence de l’être aimé.
Dans le poème de 2023, bien qu’empreint de tristesse et de mélancolie, le ton change reflétant une certaine résignation et acceptation, voire une désillusion profonde. Le narrateur déclare qu’il a “plus de mots en [lui] que de souvenirs”, ce qui peut être interprété comme une reconnaissance de la perte de sa mémoire et de son identité à mesure qu’il s’éloigne du monde des vivants. Le cœur du narrateur, “lassé d’attendre, a cessé de remonter le temps vers les prières d’amour” peut être interprétée comme une résignation face à l’absence de réponse à son désir. Le vers “Aujourd’hui, je laisse au monde l’enveloppe d’un corps, et quelques paroles sans pensée” souligne le détachement du narrateur vis-à-vis de son existence physique et de la parole. C’est aussi et surtout un renoncement définitif au désir charnel. Peut-on dire que le narrateur en exprimant ici son renoncement au désir, au manque qui le tendait vers l’autre se résout à quitter le monde réel ?
Le dernier vers “Au milieu de mon âme pousse une forêt” peut être interprété de mille manières. La cime de l’arbre s’élève vers le ciel, symbolisant la transcendance, la spiritualité et la mort. Le ciel est souvent associé au domaine de la transcendance et à la mort physique. Ainsi, l’image de l’arbre reliant la terre et le ciel suggère une médiation entre la vie et la mort, entre le monde des vivants et celui des défunts. L’image de l’arbre peut également évoquer la perpétuation de la mémoire et de l’identité du narrateur, même après sa disparition physique. Elles continuent de vivre et de se développer, symbolisées par la croissance de l’arbre, tout en étant reliées à la dimension spirituelle et transcendante représentée par le ciel.
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Merci chère lectrice pour cette analyse si riche. Elle relève très justement la tonalité sombre de ces textes et les oppositions entre présence et absence du texte de 1993 ainsi que le renoncement au désir du texte de 2023. Au fil de vos lectures, apparait aussi une narration qui vous est personnelle et nous sommes très heureux de voir ce texte poétique nous échapper ou nous dépasser et appartenir à chacun.
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