Kamanche

Dans le bois du mûrier, sous la peau, la vibration retenue, deux octaves sans fin

La pulpe des doigts glisse entre les cordes, les ongles se font oiseau

La main repliée frappe la porte de nos jardins – corps tourné vers la ronde – le ventre reçoit la plainte

La nuit viendra
Tenir l’archet
Du murmure
Dans notre gorge
Battements rapides
Du cœur

Onde vive distordue en étincelles
Libérée des anfractuosités de la matière

Cri de détresse, timbre désemmuré
Signal de chair contre ma peau

Attendre sans attendre,
Dans ta bouche,
La dernière crispation
De l’espace
Note fauve
Conclusion
De toutes les feuilles
Tombées une à une
Sur ton ventre


Le Kamanche ( « petit arc ») désigne une famille d’instruments à cordes frottées d’origine iranienne datant du IXe siècle.

5 réflexions sur “Kamanche

  1. Ce poème à quatre mains est inspiré du ghazal, une forme de poésie lyrique qui s’épanouit en Perse à partir du XII siècle. Les deux auteurs ont composé chacun un texte de treize vers qui se répondent en miroir. Les quatre premiers vers de chaque texte forment deux distiques qui évoquent la poésie ghazal et dépeignent l’instrument de musique, le kamanche, le geste du musicien et la mélodie qui s’en dégage. Le poème crée ainsi une atmosphère enveloppante et propice à l’éveil des sens et aux émotions des amants. Il devient musique en l’absence de la présence physique de cette dernière. Le corps de l’instrument (la peau), tout comme le jeu du musicien (le jeu de l’archet, tout comme le pizzicato des doigts : « La pulpe des doigts glisse entre les cordes, les ongles se font oiseaux ») se font métaphore de l’amour. La métaphore est filée, puisque le jeu renvoie aussi bien au geste du musicien qu’à celui des deux amants engagés dans une symphonie charnelle (« onde vive distordue en étincelle, libérées de la matière »). La musique intensifie les sensations et abolit les frontières (« timbre désemmuré ») entre les sens et brise les réticences et les limites (« La main repliée frappe la porte de nos jardins »). L’ouïe et le toucher s’entremêlent, facilitant la fusion et les corps se fondent dans une onde mélodique et rythmique (« signal de chair contre ma peau »).
    La seconde partie du poème à quatre mains s’éloigne de la forme traditionnelle du ghazal tout en préservant son essence, en célébrant de manière ardente l’aspect charnel de l’amour. La mélodie envoûtante du kamanche intensifie les sensations des amants, tandis que le rythme impulsé par l’instrument dicte le tempo aux corps, dépeignant ainsi la passion des étreintes ( « Battements rapides du cœur »). Sous l’influence enivrante de la musique, tant le lecteur que les amants ressentent une cadence poétique de plus en plus saccadée et syncopée jusqu’à atteindre son apogée final.
    La musique impose sa structure syntaxique au poème. Les mots se brisent en fragments, jetés comme des souffles spasmodiques sur la feuille de papier comme les notes s’agrippent à la portée dans un rythme syncopé (« Dans ta bouche, la dernière crispation de l’espace »). L’écriture devient alors extase (« note fauve-conclusion de toutes les feuilles tombées une à une sur ton ventre »).

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    • Merci pour cette belle analyse ! La métaphore est tout à fait juste; le texte tente aussi de rendre compte du son particulier du Kamanche, le son « de l’intérieur » essentiel dans la musique persane qui était d’autant plus fort quand les cordes étaient en soie et non en acier comme aujourd’hui, des gestes du musicien: la tenue de l’archet comme à l’époque baroque, l’instrument tournant sur lui-même (grâce à la pique), mettant ainsi en contact les diverses cordes avec l’archet qui reste parfaitement perpendiculaire, le glissement des doigts…

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