Sang

Corps de fille, corps de femme
Le bruit sourd de ton corps au dedans
Le sang des mots que tu as volés.

Et l’entaille où j’ai logé toutes les amours, vécues et imaginées.

Mains saisies, glissantes, froides
Oiseaux noirs dans le ciel d’une chambre
J’ai vaincu de mille manières et tout autant perdu

Mais les mots que tu gardes sont ceux du retour.

8 réflexions sur “Sang

  1. Ce très court poème composé de huit vers libres regroupés en deux tercets, chacun suivi d’un monostique donnant au poème une structure régulière semble s’adresser à un amant ou ancien amant. « Corps de fille, corps de femme » souligne comment le corps se transforme avec la découverte de l’amour charnel. Toutefois, le deuxième vers introduit une rupture avec les promesses de la vie de femme : l’utilisation de l’adjectif « sourd » souligne la distance émotionnelle et le silence entre les deux amants est renforcé par l’adverbe « dedans ». Malgré l’intimité physique, la distance psychologique demeure, car le corps de l’homme est ressenti comme un corps presque étranger, voire intrusif, comme s’il ne touchait pas le cœur ni l’esprit de l’amante, « sourd » renvoyant aux battements assourdis du cœur, siège symbolique des émotions et de la vie (les cœurs ne battent pas à l’unisson). Le vers suivant : « Le sang des mots que tu as volés » exprime explicitement les promesses non tenues, la douleur de la trahison. « Et l’entaille où j’ai logé toutes les amours, vécues et imaginées » évoque à la fois la blessure, mais aussi le sexe féminin et les « amours imaginées » pourraient être une tentative de combler le vide laissé par l’amant, une façon de tromper sa solitude et sa tristesse. Créer un lieu intime, un jardin secret dans lequel elle peut se retirer comme le suggère le verbe loger.
    Le vers suivant « Mains saisies, glissantes, froides » exprime l’échec des efforts pour créer un lien, une complicité émotionnelle et charnelle. Cela renforce le sentiment de solitude et de tristesse formulé dans le vers « Oiseaux noirs dans le ciel d’une chambre ». La métaphore complexe des oiseaux renvoie à plusieurs niveaux d’interprétations. Symbole de liberté et d’élévation, les oiseaux sont ici associés à la couleur noire et représentent les rêves déçus et perdus, les désillusions. Ils représentent aussi les pensées sombres et tristes qui obscurcissent le ciel de vie et le ciel du lit. Ils matérialisent aussi cette frontière qui barre l’accès aux désirs et aux rêves.
    Ainsi, le vers « J’ai vaincu de mille manières et tout autant perdu » dépeint un combat intime, qui l’a amenée à surmonter des épreuves, au cours desquelles elle a dû abandonner une part importante d’elle-même.
    Pourtant, le « mais » placé au début du monostique final, modeste conjonction de coordination, renverse la tonalité très sombre du poème. Les quatre lettres de ce mot contiennent tout l’espoir et le désir d’un futur à deux. Le « mais » introduit un contraste fort entre le passé et le futur, entre la rupture et la réparation. Le dernier vers laisse entrevoir une espérance, celle qui débouchera sur les mots du retour de l’amant. Des mots qui exprimeront son retour dans le présent de la relation.

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    • Merci chère L. pour ce commentaire. Les coups sourds sont pour moi une évocation de l’amour charnel perçu de l’intérieur comme par dédoublement, comme si je regardais et écoutait certains bruits de l’amour. J’aime beaucoup la façon dont vous interprétez ces « oiseaux noirs »…

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