Publier

Il parait que tout le monde et n’importe qui publie. Et tout le monde s’en plaint.

C’est qu’il faut publier.  Publish or perish, comme ils disent dans la recherche. Qui ne publie pas n’existe pas, n’a pas les postes, les bourses, les colloques etc. Les chercheurs dénoncent une pression managériale typique de l’époque mais tout a commencé en 1867 lorsque la Royal Society de Londres décide de lister dans le Catalog of Scientific Papers l’ensemble des articles scientifiques publiés de manière éparse depuis l’année 1800. Présentée par auteurs, cette bible savante offrait une possibilité inédite : celle de chiffrer facilement leurs productions respectives. Il existe désormais un logiciel dédié (non ?) Publish or Perish (PoP). Il permet d’obtenir des données bibliométriques entre autres sur les auteurs et autrices ainsi que les publications moissonnées à partir de différentes sources (principalement Google Scholar).

En littérature c’est un peu pareil finalement. Il faut publier ce qu’on écrit, il faut donner des nouvelles sur Facebook et Instagram tous les jours ou presque. La différence avec la recherche est qu’en littérature, il y a moins de postes, et qu’on avance dans l’obscurité. En histoire par exemple, on sait tout de suite ce qu’est un bon article, un bon livre. En littérature c’est une autre paire de manches.

Il parait que plus de 200.000 auteurs essaient de se faire publier chaque année, que 90% des livres vendus sont publiés par 10% des auteurs et que le taux de rejet en littérature est de 98-99%. Impressionnant. Quel est le critère ? La qualité, dit-on. Certainement, mais ce n’est pas suffisant. La qualité et l’adaptation à la ligne éditoriale de l’éditeur. Dites moi si, en regardant les sites des éditeurs, vous trouvez cette fameuse ligne. C’est souvent la ligne Maginot…

Pas peu fière de l’avoir franchie, me voici publiée dans une maison d’édition, L’Incertain. Une maison à compte d’éditeur. Ce n’est pas pour des prunes que j’ai travaillé bénévolement avec le Calcre ou Comité des auteurs en lutte contre le racket de l’édition et diffusé pendant plusieurs années l’AUDACE (Annuaire à l’usage des auteurs cherchant un éditeur) au Marché de la Poésie, avec Roger Gaillard. Et, comme je me laisse toujours embarquer dans des aventures éditoriales (je me souviens de Noésis par exemple), et que je suis à la retraite, me voici membre d’une maison d’édition. Publiée et publiant. Avec une ligne éditoriale, ce qu’on aime et qui ne perd pas le lecteur, avec des réponses aux auteurs, toujours. Pas toujours facile, mais il le faut. C’est grâce aux rares éditeurs qui répondent de façon personnalisée que j’ai persévéré (Merci au passage à Françoise Blaise, du Seuil, Dominique Gaultier du Dilettante).

Nous nous sommes dit, nous le petit groupe de L’Incertain, que, pour la planète et parce qu’on n’a pas d’argent (nécessité fait loi), on va faire de l’impression à la demande. Tout le monde sera content, notre compte en banque qui restera bas mais n’ira pas en négatif ; nos auteurs, qui seront publiés par une maison d’édition où l’on consacre le temps à les lire et leur répondre, avec un nombre potentiellement infini d’ouvrages et sans pilon (certains affirment qu’un livre sur quatre est détruit sans avoir été lu et au total plus de 140 millions de livres sont détruits tous les ans en France, après avoir été stockés à grand frais ) ; la planète (puisqu’il faut 500 litres d’eau pour fabriquer 1 kilo de papier, soit environ 150 litres d’eau pour 1 livre de 300g, 17 arbres pour produire une tonne de papier, 1 arbre pour 196 livres, et que l’empreinte carbone d’un livre est de 1,3 kg de CO2 en moyenne) ; les libraires qui dénoncent une surproduction telle qu’ils passent leur temps à remplir et à vider des cartons et qui pourront ainsi ne pas surcharger leurs rayons et simplement commander le livre demandé pour le vendre; tout le monde parce que ces livres qui ne sont pas sur les tables ne se périment pas en six mois, une nouveauté chassant l’autre.

C’était trop beau. Pour le compte en banque tout va bien, pour la planète non mais on fait ce qu’on peut (et pas un merci…). Par contre les auteurs demandent toujours « à combien d’exemplaires tirez vous ? ». A la demande autant qu’on en demande, « ah bon mais combien ? ». On aime nos auteurs et on finit par y arriver…On aime aussi les libraires, on y passe un temps fou et délicieux mais c’est parfois encore plus difficile. L’attitude de certains nous a franchement surpris, pour ne pas dire plus. Dans ma librairie favorite, très en vue au quartier latin, je me suis entendue dire par une responsable, avec une pointe d’agacement : « Ah non, nous ne commandons pas ces livres là ! Comment, c’est Gallimard-Sodis qui distribue ?? Non, ils ne font pas ça ! (Soupir) L’impression à la demande est la mort de la librairie de fond ». La mort de la librairie de fond. C’est la même libraire qui avait refusé de prendre en stock un exemplaire d’un beau livre, imprimé, lui, à 1000 exemplaires, d’un éditeur indépendant de province : « Vous comprenez, on croule sous les livres, alors … ». C’est vrai qu’ils croulent, mais plutôt sous les nouveautés des éditeurs qui n’ont pas un grand besoin de promotion. Cherchez l’erreur. Autre son de cloche à Tours où Daniel Pasquereau s’est fait pratiquement injurier par un libraire qui refuse l’impression la demande : « je refuse de commander ça ! ». Pourquoi ?  « Parce qu’un livre est un objet ! Il doit le rester ! En papier ! en librairie ! » Oui ? Eh bien il suffirait de commander. Bref. Et ce ne sont que les cas les plus violents, il existe aussi quelques réticences plus polies : « ah je ne vois pas, je ne crois pas qu’on puisse commander, voyons ah si c’est sur Dilicom, ah bon » (déception).

Mais que se passe-t-il ? C’est qu’il faut entendre le sous-texte. Impression à la demande sous-entend Amazon, un des leaders de ce marché. Nous on est chez BoD, mais le diable est dans les détails et personne n’a plus le temps de regarder les détails (d’ailleurs plus personne ne lit). En 2018, souvenez vous, des libraires ont boycotté un prix pour lequel avait été sélectionné un livre autoédité et publié chez Amazon, parce qu’Amazon va tuer les librairies. Ce n’est donc pas nous. C’est là que ça se complique encore un brin : « Nous voulons bien des auteurs autoédités était il écrit dans la lettre ouverte, mais pas chez Amazon ». Le journal de référence (Le Monde) nous dit pourtant que les libraires ne mettent pas en rayon d’auteurs autoédités : « les librairies, qui croulent déjà sous l’offre pléthorique des éditeurs classiques, ne diffusent quasiment jamais ce type d’ouvrages quand ils sont imprimés. Tout au plus, si un accord a été passé entre un distributeur avec des plateformes, ces livres peuvent être commandés chez certaines libraires. Ce qu’ont fait par exemple Books on Demand avec la Sodis (Madrigall) ou Bookelis avec Hachette. » Certaines.

Ah mais c’est notre solution Books on Demand avec la Sodis (Madrigall), sauf que ce n’est pas de l’autoédition. Voilà le deuxième sous-texte : impression à la demande égale autoédition et autoédition égale trop de publications, sous-entendu de mauvaise qualité. Parce que chez les grands éditeurs, il n’y a que de la qualité…et que les sous-entendus c’est la norme depuis qu’on ne dit que des choses qui font bien.

La conclusion de ce parcours m’a été fournie par une relation qui m’a proposé de m’aider pour la promotion de mon roman et de la maison d’édition. « Je vais en parler à une très bonne amie ancienne attachée de presse à la retraite qui pourra vous aider ». Je la revois : « Ah non, finalement ça ne l’intéresse pas, l’impression à la demande, ça ne l’intéresse pas ». Ah pourquoi ? « Et bien tu vois c’est un peu l’édition à la demande, euh l’autoédition euh le compte d’auteur. Ah non ? Renvoie-moi ton courriel… ». Le sous-texte, vous dis-je.

Un éditeur m’a confié un jour : « Si j’écris un livre, le titre sera L’homme qui marchait sur les livres ». Nous faisons le même métier sauf que nous marchons sur les approximations.

2 réflexions sur “Publier

  1. Ah, voici un article qui rassure dans ce monde « calculette ». Surtout venant d’une auteure reconnue. Merci Aline. Justement, j’interrogeais récemment un éditeur sur cette hiérarchisation des auteurs, sur le fameux sésame de l’édition qui ouvre vers la visibilité. Un leurre qui cache le pilon.
    Autoédité, je vends ni pire ni mieux, mais reste assez invisible. Heureusement il y a les réseaux sociaux.

    la revue numérique Hespérie que j’ai lancée il y a un an, où se côtoient auteur(e)s publiés ou pas, éclaire un certain nombre de poètes de l’ombre, dynamise leur écriture , est bien lue et diffusée, mais subit une forme de mépris des revues « papier » établies qui trouvent peu noble un format A5 accessible par toutes et tous sur tout support. Une forme de lutte des classes intellectuelle en quelque sorte.

    Oui, publiez, autoéditez, comme disaient Daniel Brochard et Patrice Maltaverne.

    merci encore.

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