Amour

L’amour donné peut-il être nommé, peut-il être au poème l’or des frondaisons, l’éblouissement de l’instant ?

L’amour donné est-il un visage qui demeure, au bord de notre mémoire fatiguée, là où nos mains cherchent l’absence de douleur ?

L’amour donné est-il demeuré entre nous, vent tournoyant, souffle que les perturbations dispersent ou rassemblent ?

L’amour donné peut-il faire retour en nous ou est-il pour jamais perdu – chant inaudible de l’oubli ?

L’amour donné peut-il s’étendre sur mon corps pour y accomplir la dernière nuit ?

Argile

1995

Du marbre de la cheminée
Les vagues intimes retirées
Sur les coquillages immobiles
Nos corps enroulés sur eux-mêmes
Profondeur où les mots reposent

Sur le calcaire, les longues pluies
Souvenir des chaleurs marines
Reflet des vitres entrouvertes
Nos mains d’argiles ressemblantes :
Les images de nos solitudes

Couloirs sonores, chambres d’écho
Pages de plâtre de tous les murs
Au grand silence du zénith
Le froissement du lit ouvert
Sur les anciennes carrières de gypse

2023

Quais offerts, songes de retour
Asphalte brillant sous l’ondée
Miroir où nos peaux ont cherché
La danse incandescente des larmes

Le soir, la ville en nous dissoute
Respirer l’air des chemins
Voir la soie des fils que la lune
Tisse pour orienter nos pas

Les mots s’éboulent en agrégats
De terre – Argiles, sables, limons –
Détachés de la roche mère
Sur la peau durcie des années

Cristal

1994

Quand les jours inlassables auront traversé
Mon corps jeté, vidé, dans ces draps
Remontés sans cesse contre l’avance de la nuit
Dehors poindra le jour sec, et ocre

En dernier me quittera la charpente nue
Édifice de tant d’heures transparentes
Chapelle où luit tamisée
L’empreinte froide de ton corps, avide

La main défera le pli du tissu
Sur ta peau comme le lin froissé
Tu seras assoupi quand je toucherai les lèvres
De cristal dans lesquelles j’aurai goûté la vie

2023

Lumière tremblante dans l’aube de tes bras,
le souffle de carmin ensommeillé de colère
traverse l’abîme fendu comme un cristal
jusqu’à l’orée de tes cheveux parfumés de résine

L’écorce de ton corps craquelle sous les baisers
sanglants de cochenille – ma bouche s’engouffre
dans les absences du temps qui bat

La cime du silence réveille le lointain
jusqu’au bord de l’oubli scintillant sur les eaux des rivières

La toison primaire dont j’ai parfumé ma peau est devenue forêt – je t’appartiens toujours

Départ

1998

Foules éparpillées, cercles de pas sans fin nous voici, dans le silence, innombrables

Où sont, désormais, les louanges anciennes, les baisers indisciplinés comme multitude de papillons fous ? Quand nous sommes-nous abîmés dans l’amour immobile ?

Nous dérivons chaque jour sans destination—je suis ici, aussi égarée que vous là-bas— sans savoir où déposer son cœur

Vous vous souvenez du fleuve qui nous emportait dans ses phrases érogènes : il irriguait en nous les courants sous-marins de nos chairs asphyxiées

Et je me rappelle le dédale de ta retraite sans étoile où je saurai un jour te visiter

Si le poème meurt, nous ne nous serons pas aimés

2023

La solitude a mordu ma peau de ses dents misérables – l’ennui embrasse aussi mal que les souvenirs brisés – je me suis retiré de toi pour éloigner les tourments

Aujourd’hui pourtant, je te protège encore de l’épaisseur de ton ignorance – que sais-tu vraiment de moi ? – dans l’attente de ton parfum amer

Tu es venue me prendre au pied de l’arbre du repentir – c’est toi qui bientôt griffera mon torse de tout le mépris du ciel

Et je me soumettrai à la loi de tes rythmes – tu as été redoutable avant de l’oublier – dans la paix du départ que tu m’as refusé

Je t’écouterai hurler toutes les années perdues

Jours

2002

Toi et moi sommes désormais
Tous les murmures du passé
Nos mots ont tracé les rides
Avec l’acharnement des heures

Les rosaces de nos cieux profonds
Sont empreintes de nos émois
Entailles de plâtre et de peau
Témoins de tous les au revoir

Je suivais tes gestes tendres
Ton calme hésitant et j’allais
En te cherchant, me retrouver

Sur nous un seul et même jour
S’était levé infiniment –
Le temps sans crainte s’est achevé

2023

Un seul jour se lève, passant d’un horizon à l’autre – dis-tu –
Un seul jour d’amour, au calme hésitant, un jour de sommeil
Adossé à la nuit ardente et aux histoires féroces
Que je lis debout dans tes yeux quand tu me regardes jouir

Jadis, jadis, l’air avait ton parfum de fleur femelle –
Je séjournais, au rythme de l’amour, dans une folie
Profonde comme dans une sylve– tu habitais les scansions du ciel

Arbre

1998

Frissonnements des ombres de l’arbre
À la fenêtre, branches prises dans
Tes mots, chanson apprise sur les
Lèvres, l’aveu à travers les feuilles

Des nervures de l’exaltation
La sève élaborée parcourt
Le chemin profond de nos ébats

Nous nous sommes encerclés de nos bras
L’un à l’intérieur de l’autre
Dans la fureur d’un centre de soi

2023

Il a poussé à chaque rencontre dans le voile de mes paroles, impatient de prendre racine en toi, quand il ne l’aurait pas fallu – certaines greffes sont indésirables

Il pousse chaque nuit dans le souvenir entêté des rêves – avons-nous vécu toutes ses joies, avons-nous fait l’amour si longuement ?

Il pousse à l’opposé du ciel – mes yeux se perdent dans des frondaisons folles qui me cachent le jour – que ferais-je aujourd’hui, sous la terre, des vibrations de lumière ?

Vaisseaux

1994

Nous glissons sous l’étoile flamboyante
Du désir, à l’aplomb du ciel
Vaisseau bleu comme un plafond d’église renversé
Les flots effleurent mon cœur comme ta main, hier
Le silence et le respect des morts nous entourent
Tout ce qui miroite au milieu du monde
A la couleur de l’encre et du souvenir
Que je souffle sur l’horizon

2023

Miroir de l’horizon vacant
Chant anonyme, visage de pierre
Regret des caresses rendues aux absents
Les flots bercent la nuit bleutée

Sillon de joie, ô ma soie douloureuse
Vaisseau clandestin, je passe sous ton désir

Azur

1993

Je demande au soleil de brûler ma peau
Comme je brûle de toi

Cris du plaisir – sonorité du spasme
Mémoire de la chair dans la chair
Rencontre sans parole et sans mot –
Je charge chaque ombre de nos corps
Comme la gravure de nos caresses sur l’azur

Ma peau diffracte la lumière des jours heureux
Là où se trouve mon cœur
Mon sexe est l’horizon du monde

2023

Je garde en moi les mots que perd ma mémoire
Ma voix brûlée d’azur consume les images
De ses vies discordantes à l’heure finale
Où des larmes de feu lèchent les chairs fragiles
De mes souvenirs – cris des suppliciés tournés
Vers le ciel – réclamant la dispersion de leurs
Cendres dans notre sang.

J’ai demandé au passé rongeant les jours
D’éteindre son baiser sur mes perceptions
Et de lever la peine de mon cœur
Jusqu’au nœud maternel du silence

Insomnie

1993

La rue se jette dans les mots obstinés
De mon sommeil, une aiguille a transpercé
Ma nuit interminablement les minutes
Serrent mon cœur

Cadence, cadence, diastole, systole, transparence
D’un voile de minutes sans visage, mon cœur
Étouffe ses battements pour que, ailleurs
Dorment les morts

Le jour je n’ai qu’une voix pour t’épouser
Présent impénétrable, ton corps est une
Douloureuse joie, je n’ai plus assez de
Vie pour t’aimer

2023

J’ai épousé en noces blanches la nuit sans étoile
Souriant obstinément à chacun des regards
D’insomnie qu’elle pose sur moi dans une caresse
D’amour, de haine – ses doigts de liqueur n’en font aucune
Différence – à force de ne plus savoir souffrir
Je ne sens plus le mal, quand ses lèvres prennent mon sexe
Durci, la jouissance est une immense moucheture
Dans le ciel et l’azur une colère sans nom

La nuit se fend toujours de ton sourire blessé
Quand je foule en silence tes prières passionnées
Et le jour fige ma place imparfaite d’époux
Au passé inconciliable avec le désir

Aujourd’hui as-tu enfin, bel horizon fané,

La patience d’attendre, pour toi ai-je encore une voix ?

Coupe

1993

J’ai rêvé être la coupe 

Vide où se concentrerait 

Ton parfum 

Je suis la page écorchée 

Par tes silences et tes phrases 

Si soudaines 

Mais quand ton sexe vit en moi 

Je resserre bras et jambes 

Pour t’étreindre 

Et pour m’emprisonner, seule ?

.

2023

J’ai tenu si longtemps un voile
De pudeur sur le désir
Redoutable d’ensemencer
Ta langue, buvant la coupe
De tes paroles feutrées, tu
Devinais sous l’apparence
L’éperon endurci battant
Ta coulpe silencieusement
Confessée, mon seul mot d’amour