Noms

Noèse, noème, parfums d’exil aux visages intimes
Noèse, noèse, réminiscences de mes terres d’asile –
Y avais-je appris le langage des maux
Noème, noème, battements lourds des cœurs pétrifiés
Dans les coquilles sanglantes où se perdent les échos
Des précieuses histoires – ai-je cru y lire la mienne

Chants de l’amour, noms apprivoisés, voies défendues
Adresses secrètes dans la ferveur du silence –
Deux sexes désaccordés s’affamant de vertiges –
Art de livrer au plaisir nos corps à contre-temps
J’ai désavoué l’éclat amer des crépuscules
Inventant le prénom de chacun de nos baisers

Notre soleil s’est éteint en maudissant ses flammes
J’ai repeint le ciel aux couleurs de la solitude
Et j’ai chassé l’azur – nos enfants ne sont pas nés –
L’amour s’est tu dans le vaste champ de notre oubli
Retiré sur ses terres sombres, deux noms ensevelis

J’ai mordu nos lèvres jusqu’au sang
Pour imprimer notre goût dans ma
Chair fertile

J’ai brodé, sur les draps trentains le
Monogramme de nos initiales
Entrelacées

Je t’ai donné un nom pour gorger
De sens notre histoire morcelée :
Qu’il ne reste sur ses pages nulle
Tâche de néant

J’ai pris ta place dans ce fauteuil
Et tracé le senhal qui est tien
La signature qui nous unit
A jamais

Le mot occitan senhal se réfère à un nom d’invention employé par les troubadours pour désigner la femme à laquelle s’adresse leur désir. Il peut aussi dissimuler et désigner le signataire, son modèle latin étant signare, d’où vient signer

Citadelle

1991

Citadelle de mots, fusion de langages, tu tournes sans cesse en toi-même les phrases douces qui bercent l’enfant immobile.

Elles l’entourent, le protègent et l’encerclent, elles déroulent avec elles le silence qu’elles remplacent autour de l’enfant, de la femme.

Tes mots ont entrouverts mes bras et mes lèvres, je me suis enivrée d’une phrase sans fin, jour après jour, louange et blessure, déferlante infinie.

Les noms que tu essaies à nos désirs muets engendrent sous ton regard cette femme qu’ils désarment et pénètrent.

2022

Je suis la citadelle dont tu souffles les échos dans la fusion des temps, hier et aujourd’hui de nouveau réunis, aussitôt séparés.

Tu tournes en nous les phrases charnelles que j’enroule autour de mes lèvres, pour te protéger de la mort et m’encercler avec lui.

Tes paroles réveillent chaque jour la blessure que nous tenons secrète, il nous écoute gémir et nous enivrer de notre gémellité fausse.

Nous devenons une femme sous son regard et ses mains, toi l’enfant douce du silence et moi la femme attentive à la berceuse oubliée.