Feu

Là-haut, près de la fenêtre, les branches du faux-acacia tordues comme des torches dans l’air du soir. Une ombre s’élève en torsades laineuses vers les oiseaux qu’elle affole. Des images se dédoublent, aplaties dans l’âme du temps en feu. Ce n’est pas la fumée qui fait pleurer les yeux, mais la chaleur qui monte par bouffées incohérentes.

Flamber, encore, sans détruire le visage, se consumer à l’intérieur en laissant son cœur froid comme la cendre. Bientôt l’arbre roux retrouvera la tourbe du jardin : si le ciel devient bleu, je regarderai le monde chuter ; je foulerai la terre de mes pieds nus si la forêt, en moi, pousse.

Nos corps, eux, se passent de mémoire. Ils savent, dans le noir, marcher dans le présent.

Jaune

Cobalt le pas et l’instant, la distance entre nous abolie, l’arborescence du ciel que j’embrasse quand je m’adosse à toi

Jaune d’or l’odeur qui ressuscite, étamine de joie entre mes mains, feuilles de pluie sur mes seins

Indigo le timbre qui vibre entre nous, réfraction de l’ivresse, écho des nuits que nous avons vaincues

Blonde la lumière salée couchée sur la peau des amants endormis l’un à l’autre

Pas de porte

Dans l’arbre se mesure la maison, j’y cueille le silence, mots absents, feuilles noircies avant tout printemps

Le pas de la morte est resté devant, figé dans une ancienne boue, trace décomposée d’une violence

J’ai conservé des chapelets de perles bleues, ils psalmodient le ciel de l’espérance

Un souvenir est perché sur le toit, le hululement de la nuit nous attend.

Demain

Je vois tomber lentement la robe de toujours, je demeure nue, marionnette usagée, blessée par les caresses impatientes

La silhouette qui répond à mon nom s’éloigne, elle traque la source du torrent, ses pas sont ceux du temps

Naissance, partance, désespoir doux des hymnes de la chair. L’aube viendra affleurer les gestes courbes que le froid n’abolit plus.

Quelle comédie de ma vie ai-je joué jusqu’au bout, avec sur la langue le goût salé de ceux que j’ai aimés ?

Pourtant, je suis vivante jusque dans le creux liquide de la tombe.

Fil

Où ai-je laissé le fil de la pensée ?
Des murs d’eau ont remplacé l’espace
où les mots chuchotaient.
La mer, le ciel, le vent,
simples façades azur,
et l’étoile des sensations
A des relents de mort


Est-ce que la vieille tapisserie aux formules héraldiques –
chimère à sénestre, lion couché à dextre –
se laissera découdre ?
Sempiternels emblèmes, contes déréglés,
j’ai oublié la vie
dans une devise, là où
les mots descendent vers l’ombre.


Je sais la peur qui détrempe encore trop de couleurs

Adieu

Là, derrière quelques photos, dans un dossier où des mains ont placé d’autres clichés, il y a des dates, des mots pâles, des souvenirs à peine plus gros que la tête d’épingle qui perfore la chair à l’intérieur de l’âme, en laissant, sur les pommettes, quelques lignes de sang. Les doigts cherchent à retenir un sourire que le papier absorbe, les yeux, autrefois gênés de regarder ceux qui les regardaient, restent fixés dans le vide d’un éclair de xénon.

Les lèvres tremblent un peu dans l’air du soir. Les pieds se sont glacés. Le front est chaud de l’évaporation de la mémoire quand les mains cherchent d’autres images, celles que l’on a perdu derrière le rideau écarlate du temps.

La paix n’a pas de présent. Elle dort sous les baisers, les fleurs salées de la houle, les fumées de bateaux.

Après

Cette nuit, je me suis allongée contre un récif
Quel était cet objet entré dans ta poitrine ?
Avions-nous oublié le compte des années ?
Qui de nous ou du monde allait disparaître demain ?

Cette nuit, j’ai été de garde auprès de la mort
Mes ailes étaient sagement repliées
Et l’horizon déchiqueté par une ligne de crête
Aussi acérée et nue que notre dernier état

Au réveil, mes bras ont rassemblé
Ce qui s’était dispersé
L’odeur de ta vie et celle du monde autour de nous

J’ai posé au bord du lit
Une flamme brûlante de pétales
Pour vivre après

Ivresse

Et vint l’ivresse d’une naissance.
Du coup, du contre-coup la vie a tremblé.
Doute d’être né du présent,
Redondance des sensations nocturnes,
La peur suinte de chaque regard appuyé sur les vastes lits du monde.

Quand je serai à l’heure présente,
Je nommerai les choses.
Je n’aurai plus à chasser leurs ombres
Par la fissure de mon être.

Êve sera (enfin) rêveuse,
Elle nommera la nuit qui vient et qui va
Dans le clair-obscur de la maison commune.

La poésie voyagera sans bagage
Dans l’univers de la pensée.

Genève

Puisque la frontière brisée du Léman
Lisière lacustre du temps
Retient l’écho de pas anciens
Entre les quais de molasse grise

Puisque le bleu du Rhône et le limon de l’Arve
Sous les arches de ce pont redeviennent glacier
Marbre iridescent des tombes pour celle qui a
Posé son manteau, et sauté

Puisque je reconnais mes bras
Dans les nouveaux roseaux du Rhône
Barrières d’un ancien vertige
Retenir le corps qui fut ma demeure

Puisque Genève