Jazz

Pincements arrondis, cordes tendues, guitare
guitare, timbres forcés aux désaccords – mélodies
désenchantées – corps fertiles de cuivre et de bois,
lits fluides sur les herbes volantes.

Lancer entre tes lèvres mes blanches doléances
rumeurs acides qui gagneront ton cœur
jusqu’au terme du saignement.

Le ou les rythmes – quelque chose frappe chacun de nous
dans les grincements de l’air, sommes-nous à l’aube des ports ? –
sonorité des voyages sur les bateaux peints d’acier, rappellent
les cris que nous avons retenu (avant ce que tu sais).

Saigner pour disperser en soi la lumière
qui sèche en myriades de feuilles sur la peau,
étoiles d’ici, intimes à notre nature de pluie chaude.

Rien

Je cueille les mots avant de les entendre
Aux commissures de tes lèvres
Pour ne perdre rien, pour n’oublier
Rien de ce qui vibre longtemps
Pour gouter cette phrase
Feuille à feuille
Pour inventer le temps
Le temps de l’enfance toujours si long devant
Pour que tu ries de mes efforts
–Ton rire est une portée de notes
Une chanson qui bat sous ma peau

Réveil

Au réveil
L’émission reprend
Le filet de bruit
Comme un filament qui grésille
Dans la tête

L’eau de la rivière coule
Sur le lit rocailleux
Présence obsédante
Ni à l’extérieur, ni à l’intérieur

Soi vaguement
Dans le flux du monde
Pointe avancée de la vie
Qui souffre sans passé
Et se tait
Dans un murmure.

Séparation

À l’heure grave de la séparation,
nous avons souri,
regardant un instant,
le soir tombé sur le ciel
comme un jouet d’enfant renversé.

Nous nous sommes embrassés,
dans la bouche, toujours nue,
la première sensation,
j’ai respiré tes cheveux
pour en garder l’odeur de boucles.

Quand j’ai demandé pourquoi,
tu as demandé le silence,
une autre manière d’aimer,
la distance des corps
comme une promesse.

Il y a ici quelques rues
menant à nos retraites
de pierre et de ciment,
quelques lignes offertes
à l’ennui.

Ce soir, nous avons souri
en nous séparant,
à la main chacun pour soi
une chandelle.

Effluve

La vie m’est tombée des mains
Pareille à ces objets qui m’échappent
La conscience de la fin
S’allonge à mes côtés

Mais la douceur des draps
Me rend, dans un froissement
L’odeur de ton amour
Cette eau de toi en moi

Dans cette odeur je me borde
Éphémère mémoire
Elle se mesure à ce qui fuit

Dans mes paupières tremble
La fleur carmin
Parfumant le sommeil

Conscience

Qui suis-je, le jour durant, quand le souffle intérieur se pose sur les choses comme la buée sur les vitres ? Quand aucune conscience ne soulève le souvenir d’un homme, « Moi » n’est plus qu’une ombre portée sur un mur, les pensées volent dans un ciel sans couleur.

Peut-être que je dors en moi-même, avant de redéfinir le silence. J’attends la respiration vive qui soulèvera mon cœur. Ce soir, juste avant la nuit, mon corps aura retrouvé sa masse. Et mes mains caresseront tes seins nus jusqu’à nos premiers cris.

Chaque étreinte aura ton goût et ton odeur. « Toi » nommé, « Moi » ressuscité.

Charme

Je me suis habitué au charme de ton corps
Chacun de tes mouvements inspire la caresse
Tes gestes contiennent l’harmonie de tes joues avant la frénésie

Je regarde tes profils (les courbes que j’ai volées sur tes odeurs)
En moi montent les ondes qui dépassent ma force immédiate
Derrière se cachent les tourbillons, les spasmes du plaisir

Avec toi, j’apprends à écorcher les vagues endurcies de l’attente
Ton corps appelle l’éclat de la brûlure
Que j’ai eu tant de mal, dans d’autres sexes, à attirer sur moi

Je me suis habitué au charme de ton corps
Juste assez pour apprendre maintenant à m’en déshabituer
Demain, je serai, dans ton regard, vierge de souvenirs

En toi je veux semer le geste des agonies

Arc-en-ciel

Le soir est entré lentement par la fenêtre –
il a dissimulé ses fines gerçures dans le sourire de la lumière –
le velours de la lampe tremble

Pose doucement ta main sur ma peau, là où tu le veux,
lisse le drap des journées heureuses, des nuits malhabiles –
que nous importe

La peau est la mémoire de l’amour,
un arc-en-ciel posé sur la mort.