
Helmut Newton pour YSL et Vogue, Le Smoking, 1975
Fumer tue. C’est entendu. En gras. On dirait des majuscules. Les majuscules, c’est toujours pour vous crier dessus. On apprend ça sur les réseaux sociaux.
Lorsque j’étais plus jeune, fumer c’était Marlboro. Un cow-boy viril, un paquet en rouge et noir et un gout prononcé de tabac blond. Il nous revient toujours alors qu’on en a gouté plein. Par exemple, les Royale Menthol, un truc de fille (beurk disaient les garçons), vert et blanc, qui laisse une odeur un peu fraiche comme un parfum léger, voire inexistant pour les allégées. Les Camel, pour faire comme si vous fumiez des joints, avec le désert et son inévitable dromadaire. J’ai eu ma période Gauloise (la goldo) avec sa gitane stylisée, pas trop olé-olé, puisque bleutée. C’était la cigarette des vaches maigres, pas chère, au paquet qui s’écrase dans le fond du sac. Certains garçons allaient jusqu’aux Boyards papier maïs, dont la couleur déteignait sur les moustaches, non ? Il y avait aussi les cigarettes iraniennes avec leurs morceaux de bois dedans qui flambaient d’un coup. Surprise assurée.
Nous les filles on se trouvait grandes en fumant. Les parents étaient souvent contre, mais ils fumaient ou avaient fumé. On s’enfermait dans la chambre, toutes lumières éteintes, écoutant du hard, par exemple Uriah Heep (The Park ou Easy Living, pas du tout la même ambiance) avec nos Royale Menthol. On parlait entre deux hurlements du chanteur, en regardant la fumée. Elle était légère comme la vie que nous espérions. Elle était l’air que respirent les adultes. Une deuxième naissance, la première inspiration de l’autre monde. Bien sur son odeur était âcre mais il fallait s’y faire.
En vieillissant, j’ai fumé le cigare. Le cigare a l’avantage de ne compter que du tabac et de ne pas pouvoir être inhalé. Donc je ne fume pas, je crapote. le cigare me rappelle mon grand père et les vacances quand, après le repas, les femmes s’installaient au salon pour le café tandis que les hommes se regroupaient autour du billard, avec l’armagnac et le cigare, puis devisaient on ne peut plus sérieusement de bandes, de boules et de queues.
Maintenant, tout le monde vous regarde de travers quand vous fumez. On ne peut plus fumer que dehors, mais le moindre vent léger qui emporte les volutes blanches vers la table d’à côté vous vaut une toux ostentatoire, ou un air mourant et tortionnaire à la fois (il y en a qui font ça très bien). Les paquets sont couverts de maladies, impuissance, infertilité, cancer. Le cow-boy a la gorge ouverte, le menthol le poumon carbonisé, la Gauloise n’en parlons pas. Le paquet « neutre » est là. Je croyais que ce serait sans marque. En fait c’est le cancer qui a grossi. Et la couleur uniformément brunâtre (olive, officiellement). Cela me rappelle que j’ai du conserver quelque part de beaux étuis à cigarette de mes grands-pères.
Tu fumes ? Cette question signifie désormais souvent « tu fumes du cannabis ? ». Autrefois on disait « tu as fumé la moquette ? ». La publicité non officielle pour cette belle feuille verte qui fait si naturelle et bio remplace celles des cigarettes supposément bonnes pour les poumons, il y a bien longtemps. Maintenant on parle de dépénaliser ou légaliser le cannabis. Un débat un peu fumeux. Mettra-t-on un paquet neutre ? La belle feuille verte pourrait-elle être toute noire et recroquevillée ?
Le problème avec fumer c’est que contrairement à boire, fumer n’envoie pas de messages immédiats d’arrêt. On n’est malade que bien trop tard. Il est donc encore plus facile de fumer sans discontinuer, quoique l’on sache des risques, car ce que l’on sait et ce que l’on sent est bien différent. Alors, bien sûr, fumer de temps en temps ce n’est pas plus grave que boire du vin au repas (j’ai dit du vin pas la bouteille). Mais il est plus difficile de fumer avec modération.
Il y a donc désormais la cigarette électronique. Les sites qui la vendent reprennent les visuels années 50 de la cigarette joyeuse et insouciante. Le capitalisme a une capacité d’adaptation qui force l’admiration. La cigarette électronique, c’est un peu comme une version numérique du Canada dry. Elle est belle comme un fume cigarette, son nom sonne comme un nom de cigarette mais ce n’est pas une cigarette. C’est un clearomiseur¹ avec une batterie. Presque un smartphone qui se fume. D’ailleurs il se recharge avec une clé usb, sur l’ordinateur ou le secteur. Il existe même des e-pipes et des cigares électroniques. Mais on ne les fume pas, on les vapote. Et malheur au Larousse qui a défini vapoter comme «L’action de fumer une cigarette électronique» ! L’ Association indépendante des utilisateurs de cigarette électronique et tous les défenseurs de l’e-cigarette a émis une protestation solennelle: ils se battent depuis de nombreux mois pour qu’une réelle distinction soit faite entre vapoter et fumer. Nous voilà bien.
¹ partie supérieure de la cigarette électronique. C’est lui qui va contenir le «e-liquide» et permettre sa vaporisation. Il est composé d’un embout buccal (également appelé drip tip), d’un réservoir et d’un atomiseur
On ne sait pas si LE vapotage est meilleur pour la santé, ce dont je doute mais question écologie ce n’est pas top… bel après
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A reblogué ceci sur mariannewaeber.
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Je trouve cet article particulièrement intéressant. Merci de ce partage!:-)
Agréable journée à vous!
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essayer pour voir, sur tous les paquets de clones, remplacer le mot fumer par le mot état
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Dans le fond, ce n’est pas faux. J’ai arrêté de fumer il y a maintenant trois ans. Je n’ai jamais retouché une cigarette….mais je vapote. Et il ne me viendrait pas à l’idée de dire je fume ma vaporette.
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