Archange

Мишель_Уэльбек

Je vous entends déjà me demander « Pourquoi choisir le mot archange à propos d’un poème de Michel Houellebecq dont ce n’est pas le titre ? ». Ce n ‘est pas seulement parce que dans un blog on est libre de faire ce qu’on veut. Au-delà du fait que le mot est présent dans le texte  (Où nos pères ont vécu sous l’aile d’un archange), cette figure représente ici la nostalgie de la protection paternelle, celle de l’ordre ancien du monde, jusque dans la littérature, qui est un des traits dominants chez Michel Houellebecq. En poésie et notamment dans ce texte, il revendique son caractère « inactuel » et les principes pré raphaéliques[1] que l’on retrouve par exemple dans son roman La carte et le territoire.

Comme l’écrit Juan Asencio dans son blog, à propos de ce roman  :

Houellebecq paraît nous mettre devant ce triste (et réjouissant) constat : les vieilles valeurs platoniciennes puis humanistes ont beau avoir été déchirées en mille morceaux, nous ne parvenons pas à les remplacer par de nouvelles, surtout si nous nous avisons de penser que la modernité est peut-être une erreur (cf. p. 348). La haine, il n’y a pas d’autres mots, que les imbéciles vouent à Michel Houellebecq s’explique assurément parce qu’il place, sous leur nez, l’antique nostalgie d’un ordre proportionné à l’humain, non point tentant de démembrer celui-ci comme le fait l’architecture, selon le romancier, du Corbusier (cf. p. 223), qui a visiblement inspiré les lignes inhumaines du bâtiment où le père de Jed s’est fait euthanasier (cf. p. 370). C’est bien le sens de la mention de l’école préraphaélite qui, selon l’écrivain, a tenté de lutter contre la dégénérescence de l’art après le Moyen Âge et surtout à partir de la Renaissance; le mouvement de réaction (autre vilain mot, ayant plongé dans l’oubli les textes de Jean-Louis Curtis, cf. pp. 168-9) entrepris sera de retrouver la spiritualité, l’authenticité, afin que les artistes ne se contentent point d’une «activité purement industrielle et commerciale» (p. 226).

Le poème est paru dans un recueil (La poursuite du bonheur) marqué par l’influence de Baudelaire, dont Houellebecq est un grand lecteur. Influence par le pessimisme, comme le souligne Thomas Clerc sur France culture.  Houellebecq, comme Baudelaire, écrit sur le mal, sur la laideur de la société qui l’environne mais il le met en parallèle (en opposition ?) avec la beauté. De plus il n’est pas un vrai nihiliste, puisqu’il place son espoir dans la littérature. il croit en la poésie. L’écriture est un acte plus fort que tout, même s’il dit le contraire, non sans mauvaise foi (c’est Thomas Clerc qui parle). J’ai d’ailleurs choisi un texte où le beau domine, mais la poésie de Houellebecq contient beaucoup de vers où l’atroce modernité est présentée en des termes beaucoup plus durs ou triviaux (par exemple, dans Hypermarché cette strophe :

Des banlieusards sapés et au regard brutal/Se croisaient lentement près des eaux minérales./Une rumeur de cirque et de demi-débauche/Montait des rayonnages. Ma démarche était gauche.

L’archange du texte de Houellebecq rappelle d’ailleurs ce qu’écrivait Charles Baudelaire sur Delacroix :

Le plafond est occupé par une peinture de forme circulaire représentant Lucifer terrassé sous les pieds de l’archange Michel. C’est là un de ces sujets légendaires qu’on trouve répercutés dans plusieurs religions et qui occupent une place même dans la mémoire des enfants, bien qu’il soit difficile d’en suivre les traces positives dans les saintes Écritures…la légende est indestructiblement établie ; elle a fourni à Milton l’une de ses plus épiques descriptions ; elle s’étale dans tous les musées, célébrée par les plus illustres pinceaux.

Mais si Houellebecq s’inspire de Baudelaire c’est aussi par la forme. Il revendique être « très XIXe siècle ». Comme le dit Thomas Clerc, il est très attaché à la forme fixe, au vers comme l’alexandrin. Dans Rester vivant, un de ses premiers livres, paru en 1991, Houellebecq écrivait: «La structure est le seul moyen d’échapper au suicide. […] Croyez à la structure. Croyez aux métriques anciennes, également.» Sa poésie, lyrique, réinstaure aussi de la narration. Il refuse, ici aussi, une partie de la modernité.

La Poursuite du bonheur, son premier recueil, est un retour radical à la versification, à l’alexandrin, aux rimes croisées et enchâssées, comme dans ce texte. Le poète parle à la première personne du pluriel. La première strophe évoque le monde contemporain. Houellebecq, qui dans ses entretiens déclare attacher la plus grande importance en poésie aux pauses de la ponctuation, lie au monde où « nous respirons mal » trois vers ponctués comme une liste, qui s’achèvent par un désintérêt, un abandon : « Et nous ne lisons plus les titres du journal ». Les deux strophes suivantes expriment le désir du retour au passé en deux mouvements plus fluides (« nous voulons retourner », « nous voulons retrouver »), puis la recherche de « quelque chose », encore une fois ponctuée (quelque chose comme une fidélité,/comme un enlacement de douces dépendances,/quelque chose qui dépasse et contienne l’existence). Un point-virgule marque un arrêt qui sépare le dernier vers de construction différente « Nous ne pouvons plus vivre loin de l’éternité », une éternité qui rappelle la religion, le passé, et bien sur la mort.

Il est vrai

Il est vrai que ce monde où nous respirons mal

N’inspire plus en nous qu’un dégoût manifeste,

Une envie de s’enfuir sans demander son reste,

Et nous ne lisons plus les titres du journal.

 

Nous voulons retourner dans l’ancienne demeure

Où nos pères ont vécu sous l’aile d’un archange,

Nous voulons retrouver cette morale étrange

Qui sanctifiait la vie jusqu’à la dernière heure.

 

Nous voulons quelque chose comme une fidélité,

Comme un enlacement de douces dépendances,

Quelque chose qui dépasse et contienne l’existence ;

Nous ne pouvons plus vivre loin de l’éternité.

 

Michel Houellebecq

Voici une brève biographie écrite par Murielle Lucie Clément

De son vrai nom Michel Thomas. Né à la Réunion en février 1958 d’un père, guide de haute montagne et d’une mère, médecin anesthésiste Michel Houellebecq a une demi-sœur née quatre ans après lui. Ses parents sont alors déjà divorcés et à six ans, Michel Houellebecq est confié à sa grand’mère paternelle, communiste, dont il adoptera le nom comme nom de plume. Interne au lycée Henri Moissan de Meaux, ses camarades le surnommaient « Einstein » en vertu de ses capacités d’analyse et d’argumentation. A seize ans, il découvre P. H. Lovecraft, écrivain de science-fiction sur lequel il publiera son premier ouvrage. En 1975, il s’inscrit à l’école supérieure d’agronomie et obtient son diplôme d’agronome en 1980. Dans la même année, il se marie. Son fils, Etienne, naît un an plus tard. À la suite de son divorce, il subit une forte dépression qui le conduit à faire plusieurs séjours en milieu psychiatrique. En 1985, il publie ses premiers poèmes dans la Nouvelle Revue de Paris. Michel Bulteau, le directeur de la revue, dirige aussi la collection des Infréquentables qu’il a créée aux éditions du Rocher. Il propose à Houellebecq une collaboration. C’est ainsi que Michel Houellebecq publie en 1991 la biographie de Howard P. Lovecraft, Contre le monde, contre la vie. Il intègre l’Assemblée Nationale en tant que secrétaire administratif. La même année paraît Rester vivant aux éditions de la Différence, puis chez le même éditeur, en 1992, le premier recueil de poèmes, La Poursuite du bonheur, qui obtient le prix Tristan Tzara. Maurice Nadeau publie en 1994 Extension du domaine de la lutte, puis en 1998 paraît Les Particules élémentaires chez Flammarion, suivi de Lanzarote en 2000, de La Possibilité d’une île en 2005 (Prix Interallié 2005) et de La Carte et le territoire couronné par le prix Goncourt en 2010.

Il faut ajouter à cette liste d’œuvres majeures le roman Soumission, paru en 2015, avec le succès (et les polémiques) que l’on sait. Michel Houellebecq a rassemblé en un seul livre de 450 pages (collection J’ai lu, décembre 2014), sous le titre Poésie, ses recueils antérieurs : Rester vivant, Le Sens du combatLa poursuite du bonheur, Renaissance, Configuration du dernier rivage.

Le travail poétique de Houellebecq est très lié à son travail en prose, ainsi qu’on le lit sur la quatrième de couverture

Juxtaposant librement prose, versets et versification classique (sous la forme de l’octosyllabe et de l’alexandrin), la poésie de Michel Houellebecq est, tout autant que son œuvre romanesque, fortement ancrée dans le monde contemporain. Elle lui sert d’ailleurs souvent de matrice. Ainsi, plusieurs poèmes du Sens du combat annoncent des scènes des Particules élémentaires, publié deux ans plus tard. « Si calme, dans son coma… » évoque la mort d’Annabelle, tout comme La Longue route de Clifden préfigure les chapitres terminaux. Et si la vie est rare, le bonheur y demeure cependant, dans Renaissance, tout autant que dans Plateforme, un horizon possible.

On peut ajouter que des poèmes tirés du roman La Possibilité d’une île (2005) ont été repris dans Configuration du dernier rivage, dans une partie sous-titrée « Les Parages du vide ».

Ces textes ont été mis en musique et chantés en 2014 par Jean-Louis Aubert, dans un album intitulé « Les Parages du vide ». S’agissant du dernier poème cité, Carla Bruni l’avait déjà mis en musique dans son album de 2008, Comme si de rien n’était. On peut comparer ici les deux chansons, toutes deux fidèles au rythme octosyllabique de l’écrivain.

Michel Houellebecq est d’ailleurs considéré comme un poète majeur, principalement à l’étranger, notamment en Allemagne.Il est d’ailleurs intéressant de relever sur google ou Academia que la majorité des articles et analyses sur sa poésie semblent être publiées dans d’autres langues que le français. Cependant, c’est en France qu’un grand honneur vient de lui être rendu avec la publication d’un numéro des Cahiers de L’Herne (le Cahier ne rend d’ordinaire pas hommage aux écrivains de leur vivant) qui lui est consacré et se propose de « rendre compte de la complexité d’un auteur et d’une œuvre qui n’ont pour ambition que de sauver une époque -la nôtre- de l’évanouissement ».

Michel Houellebecq y écrit sur son amour de la chanson, en liaison avec la poésie. On peut y lire notamment qu’il est touché par L’Aigle noir de Barbara dont il trouve la première phrase (Un beau jour/ ou peut-être une nuit) profondément poétique car elle est « totalisatrice » , caractéristique essentielle de la poésie selon lui : elle signifie « n’importe quand », « c’est une absolutisation du discours ».

Pour aller plus loin

Site officiel : association des amis de Michel Houellebecq

Lectures de Configuration du dernier rivage

[1] Article de Wikipédia

3 réflexions sur “Archange

  1. Merci pour la découverte ! Je ne connais pas du tout la poésie de Houellebecq mais j’avoue que ce poème ne m’a pas transportée. A mon goût, la structure ne suffit pas. Honnêtement, ça me donne l’impression d’une coquille vide. Pas franchement comparable avec Baudelaire… Désolée !

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  2. Pingback: Sonnet | lesensdesmots

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