
Élections présidentielles 2007, Montauban.
Comme beaucoup d’entre nous en ce moment j’assiste à des débats, je m’efforce de consulter des programmes, je pense à l’avenir ; je me prépare à voter. J’espère l’adhésion, le souffle, l’idéal. J’envisage le vote par défaut, le choix du moindre mal. Je me prépare à la déception, aux accidents. J’affronte des apostrophes, je participe à des diners où l’on oublie ce qu’on mange et parle météo pour éviter les tempêtes.
Les recherches google sur le mot voter ne concernent guère que les élections et pourtant on vote bien avant d’avoir atteint la majorité. Car voter c’est avant tout prendre une décision. Choisir. Et dès qu’il s’agit de décider, on apprend vite qu’il y aura toujours quelqu’un pour limiter nos choix. Par exemple, j’aurais voulu voter contre le jus d’orange quotidien (si bon pour la santé) que ma mère avait décidé de me servir dans une tasse en argent, certes agrémentée d’un charmant poussin, mais qui donnait une abominable acidité au jus. Elle en avait décidé ainsi et ma seule option a été de détester le jus d’orange pour le reste de ma vie (il a toujours le goût de la tasse). Vous me direz que face au parent on n’a pas encore vraiment le droit de vote, même s’ils vous font des propositions genre Charybde et Scylla : « tu préfères te calmer tout de suite ou te coucher sans manger ? ». C’est peut-être là que certains développent une allergie disproportionnée aux élections.
L’empire du vote ne cesse de s’agrandir et de se complexifier. La marelle ou l’élastique ? Quand on est deux, c’est à qui imposera son jeu, en boudant s’il n’a pas ce qu’il veut. On peut tenter de jouer une fois à ce que chacun souhaite, pour transiger, pour faire des compromis. Sur le moment le résultat n’est pas formidable car l’autre met une particulière mauvaise volonté à jouer à ce qu’il avait décidé ne pas vouloir jouer, mais l’apprentissage du compromis nous servira plus tard. On tente la stratégie du pile ou face, du tirage au sort que le perdant estime toujours extrêmement injuste. Mais c’est quand on est plus de deux, que l’on accède vraiment aux délices et aux complications du vote. Ballon prisonnier ou ballon vole ? Gendarme et voleur ou jeu du brigand ? Là, on peut réunir des majorités si on arrive à dégager la tendance dans le brouhaha généralisé, ce qui est loin d’être gagné. Où l’on voit que les difficultés du vote s’apprennent très tôt.
Certains vont jusqu’à dire que l’achat est un vote. On votait beaucoup Nestlé autrefois et Samsung aujourd’hui. Mais est-ce bien sérieux ? Le vote peut aussi être un choix de valeur, l’octroi d’un prix. Entre filles, on votait souvent pour le garçon le plus séduisant du moment, engageant de longues et précises évaluations de ses mérites et de tous les détails de son physique (ou presque, je vous vois venir). Ce vote avait tendance à engager une compétition sauvage dans laquelle tous les coups étaient permis pour être celle qui s’afficherait avec lui, écrasant ainsi toutes ses rivales.
Une fois étudiante, j’ai abandonné ces enfantillages (officiellement du moins). J’ai commencé à voter aux élections des représentants des étudiants et à accumuler des tracts avec des listes de revendications dont certaines ne me seraient jamais venues à l’idée. Et encore est-il plus facile de voter pour des représentants que pour des décisions. La première à laquelle on se confronte est souvent celle de la grève. J’ai appris la valeur du secret du vote et du décompte des voix à la faveur d’une assemblée générale de 50 étudiants dont 15 ont voté à main levée une grève générale à l’unanimité. J’ai vécu le choc syndical de ma vie quand un de mes premiers supérieurs hiérarchiques a consulté sa petite équipe sur la grève qu’il entendait faire pour nous obtenir des primes. Les décisions sont plus complexes dans les assemblées générales de copropriété et les Comités paritaires multiples et variés. On réalise que voter ne s’improvise pas lorsqu’on tente de le faire sans avoir lu en détail le gros dossier reçu la veille. Sans être parlementaire, on compatit à la difficulté de voter les lois et on craint les erreurs. Gustave Le Bon dans ses aphorismes du temps présent ne disait-il pas « Les législateurs voteraient bien peu de lois, s’ils pouvaient embrasser d’un coup d’œil leurs lointaines conséquences » ?
Pour en revenir aux élections qui approchent à grands pas, on entendait beaucoup « élections piège à cons » dans les époques surannées. Cela permettait des débats clivants sur les vertus comparées du système français et des régimes révolutionnaires à parti unique ou de l’action directe combinée à l’autogestion, elle-même assez férue de longs votes. Sans craindre la contradiction, beaucoup s’inquiétaient de ce que le régime giscardien (fasciste sans doute) n’avait pas l’intention de se conformer au « verdict des urnes ». A notre époque, il parait qu’on vote de moins en moins (ou alors avec ses pieds). « Quand les Verts voient rouge, ils votent blanc », comme l’a dit Raymond Devos. Pourtant, on vote sans cesse sur les réseaux sociaux, ça s’appelle liker, partager ou retweeter. Le vote est secret mais tout le monde ou presque dit pour qui il vote en public et les algorithmes ne l’ignorent pas. Mais nous ne sommes pas à une contradiction près.
Finalement, voter aux élections est-il le signe que nous vivons en démocratie ? Pas forcément puisque, lorsque voter a le sens de confier une mission à quelqu’un, au hasard celle de président de la République, « il s’agit de désigner le meilleur, or, en grec, les meilleurs, ça se dit aristoï ». Le vote à la majorité quant à lui serait même, selon Walter Lippmann[1] un ersatz de guerre puisqu’il consiste à trouver, dans nos sociétés civilisées, une place pour la force qui réside dans le poids du nombre. Si la majorité ne s’exprimait pas dans le vote, comme elle le faisait à la récré, elle s’exprimerait en nous mettant la pâtée. Et puis, sommes-nous assez informés pour voter ? Non, mais ce n’est pas si grave. Vous pourriez, vous maîtriser dans le détail tous les sujets actuels ? Une élection est une histoire pleine de rebondissements, un récit dramatique, une crise au cours de laquelle nous intervenons pour prêter main forte à celui ou celle qui nous parait à même de la résoudre. C’est là tout notre rôle. Et c’est beaucoup.
La première fois que j’ai pu voter, l’isoloir m’a rappelé le confessionnal. Et de fait (quelle intuition !), le vocabulaire du vote est d’origine religieuse : le mot isoloir peut aussi désigner un confessionnal, le suffrage est, d’après le dictionnaire historique de la langue française d’Alain Rey, « l’intercession d’un saint auprès de Dieu », le scrutin est « la cérémonie où les catéchumènes étaient interrogés sur la foi » et le mot vote, qui nous vient de l’anglais, est issu du latin latin classique, votum ( vœu, prière,promesse) qui désignait la supplication adressée à Dieu en échange d’une requête demandée ou exaucée. Votum devint vot puis veu au XIIe siècle, en passant par vovere (faire une promesse à une divinité). A l’origine d’ailleurs, le terme était employé dans les couvents, et signifiait donner sa voix au chapitre. Allons plus loin, voter est de même formation que votare « vouer, consacrer à un saint » et « faire vœu, s’engager ». Il y a de l’union et de l’amour dans le vote. D’ailleurs c’est de ce radical que l’espagnol a tiré la boda (le mariage). Après tout, abstention a pu être employé autrefois, bien avant les temps surannés, comme synonyme d’abstinence.
[1] LE PUBLIC FANTÔME (THE PHANTOM PUBLIC) de Walter Lippmann. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Laurence Decréau, texte présenté par Bruno Latour. Démopolis
Voter ou ne pas voter ; voter mais pour qui ou pour quoi voter ? L’idée de vote est aujourd’hui désacralisée, son importance oubliée. Vous le soulignez à juste tire : remplacé par le « like », pousse en haut, l’acte, le geste du vote a basculé dans l’insignifiance du spectacle quotidien.
Cincinnatus
https://cincivox.wordpress.com/
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Cette réflexion sur l’acte de voter est pertinente et se termine sur une note optimiste que je partage. Mais je ne peux oublier tous ceux qui s’abstiennent de voter ni les 18 % de Français tentés par un régime autoritaire. Certes, nous ne sommes pas dans une démocratie au sens strict, difficile à mettre en place dans un pays de 60 millions d’habitants, mais cela laisse songeur…
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C’est pour cette raison aussi que j’avais envie d’être optimiste…nous en avons besoin non ?
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J’avoue pour ma part naviguer entre optimisme et suspicion devant ces têtes d’affiche qui paradent dans des débats qui s’apparentent de plus en plus à des jeux télévisés. L’abstention grandissante signe un désaveu des politiques menées depuis toutes ces années et cela ne semble malheureusement pas donner lieu à une quelconque réaction de la part de nos hérauts médiatiques. On se retrouve finalement enchainé par l’idée de la nécessité du vote utile pour contrer le FN et l’on obtempère dans une forme de soumission qui peut s’apparenter à de l’aliénation.
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Je partage votre avis sur les débats qui s’apparentent à des jeux télévisés…
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Pingback: Le jeu de la Ve République : du totem télévisuel au prophète présidentiel – Le passage des mots
Merci pour cette citation !
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Il est vraiment bien, votre texte… Bravo pour tout ce que vous nous apportez notamment sur tous ces sens étymologiques. Ainsi voter c’est vouer à quelqu’un quelque amour… on comprend donc l’abstention. Alors, faudra-t-il en venir un jour au tirage au sort?
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Merci beaucoup pour votre commentaire ! A titre personnel je préfère voter…
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