
Fauvette à tête noire, oiseau partiellement migrateur
On attend que ses parents reviennent. Puisqu’ils étaient là, ils y seront à nouveau. C’est forcé. A défaut, on pleure pour les faire revenir. Ça marche souvent. S’ils venaient à disparaitre trop longtemps nous n’abandonnerions jamais nos recherches,
comme la petite Nina citée par Svetlana Alexievitch dans Derniers témoins : Notre papa n’est pas revenu de la guerre. Maman a reçu un papier comme quoi il était porté disparu…on a mis la maison sans dessus-dessous, en cherchant le papier qui parlait de papa. On se disait…Ce papier on va le déchirer et il en arrivera un autre qui expliquera où le trouver….
Devenus adulte, on ne cesse de revenir de lieux moins dangereux, plus prosaïques. Du bureau, du marché ou de l’école. Du RER ou des Antilles. De la plage ou de réunion. Parfois on ne revient pas de ce qu’on a vu. Alors on le raconte. Pour être sûr. On peut aussi, parce qu’on dit des sottises, revenir de Pontoise ou de Chaillot ou, pire encore, quand on n’est plus au courant, revenir du Congo. Quelqu’un qui découvrirait que nous sommes en campagne pour les élections présidentielles reviendrait du Congo.
Il y a pourtant des retours que l’on ne souhaite pas. Celui des grandes époques d’épuration sanglante par exemple : on appréhende le revenir du règne de Robespierre[1]. Celui des revenants, dont le nom nous indique qu’il est question des esprits des morts qui reviennent (seul Almodovar, dans Volver, parviens à rendre sympathique un fantôme). Il y a des retours désirés à tort, comme celui de Mathilde qu’est revenue pour le malheur de Jacques[2]. J’image que les végétariens n’aiment guère voir revenir un steak à la poêle, quoique de nos jours on fasse revenir du soja déguisé en steak.
Revenons à nos moutons : il y a de la deuxième chance dans revenir. Ainsi le fameux je reviens vers vous qui, après avoir exprimé le retour vers une personne que l’on avait quittée, tend aujourd’hui à relancer une affaire obscurcie par un long silence électronique. Quand le sujet revient sur le tapis il y a des chances (paradoxales) d’avancer. Et il faut sans cesse revenir sur son ouvrage pour qu’il ressemble à quelque chose, le modifier, le transformer, donner une deuxième façon à une même œuvre comme l’écrivait Delacroix : Ébaucher les chairs dans l’ombre avec tons chauds (…) et revenir avec des verts. L’essentiel est dans cette chance que les belles heures reviennent avant la fin. Le bonheur en partant m’ a dit qu’il reviendrait écrivait Jacques Prévert. Enfin, il vaut mieux revenir, même si c’est de loin.
Reste qu’il faut toujours partir pour revenir. C’est bien parce que l’amant est parti (et dans les temps surannés ce sont souvent eux car nous gardons le foyer) que Barbara chante Dis quand reviendras-tu ? Elle lui rappelle que tout le temps perdu ne se rattrape plus. Car revenir est un verbe géographique et chronologique. Tout à la fois. Ou en même temps. Le mot français vient du latin revenire, venir de nouveau, et aussi venir à son point de départ. L’anglais come back vient du français retourner, qui signifiait tourner en sens contraire, à l’envers puis revenir sur ses pas ou à un état initial. L’espagnol volver vient du latin volvere qui veut dire tourner, rouler, faire aller et venir, faire s’écouler le temps. Les volutes et les volubilis en dérivent. Revenir a donc à voir avec l’espace et le temps. La première suggestion de recherche google, après l’inévitable conjugaison, est en arrière. Revenant sur nos pas, revenons nous dans le passé ? C’est un grand débat que je ne pourrais pas trancher ici. Mais revenir n’est pas venir car on anticipe, on se souvient, on se prépare.
Dans cette attente amoureuse que Barbara ne veut pas éternelle, revenir rime avec souvenir (Si tu ne comprends pas qu’il te faut revenir/ je ferais de nous deux mes plus beaux souvenirs). Albert Mérat[3] lui, écrivait : Tu peux bien ne pas revenir/Si c’est à présent ton envie;/Mais redoute mon souvenir,/Qui, malgré toi, t’aura suivie. L’amour serait-il toujours une histoire de va-et-vient ? De façon beaucoup plus métaphorique, et moins triviale, Marcel Proust écrivait :
l’amour est trop grand pour pouvoir être contenu tout entier en nous ; il irradie vers la personne aimée, rencontre en elle une surface qui l’arrête, le force à revenir vers son point de départ et c’est ce choc en retour de notre propre tendresse que nous appelons les sentiments de l’autre et qui nous charme plus qu’à l’aller, parce que nous ne reconnaissons pas qu’elle vient de nous.
[1] Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, t. II, mort du duc d’Enghien.
[2] Brel pour les très jeunes.
[3] Albert MÉRAT (1840-1909) est un poète parnassien à la production assez abondante. Les dernières années de sa vie, il était bibliothécaire au palais du Sénat.
Tant de connotations et de polysémie dans ce mot, qui n’est pas court mais n’est pas non plus si long. Merci pour cette ballade de sens à sens.
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On peut penser à l’expression « revenir de loin », ou encore « revenir au score »… Revenir prend alors le sens de nouveau départ, nouvelle chance. Écrire n’est-ce pas revenir sur nous-même ?
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C’est vrai, écrire est revenir sur nous même…avancer tout en remontant le passé…
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En tout cas, c’est toujours un plaisir de revenir sur votre blog, Aline… (et je ne reviendrai pas là-dessus !) 😉
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Merci !!
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Le pire, peut-être : l’attente d’un revenir qui ne vient pas, le fantasme d’espérance qu’une disparition ne soit pas définitive, la tension suspendue vers la fin d’une absence dont on sait, au fond, le tragique sans seconde chance… mais qu’on ne peut accepter sous peine d’effondrement.
Ne revient pas ; ne reviendra pas.
Ne reste alors qu’à chavirer.
Cincinnatus
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Vous avez raison, j’ai moins axé sur la douleur même si je trouve l’extrait de Derniers témoins déchirant…
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Tout à fait !
Il me rappelle d’ailleurs Perec, entre autres W.
Cincinnatus
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J’adore revenir du Congo que j’essaye de ne plus utiliser dans cette époque premier degré qui me traite de vilain colonialiste quand je le fais. Et Barbara… Ah, Barbara…
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Rappelle-toi…
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