Maigrir

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Maigrir est un verbe désagréable. Quand on ne le maitrise pas, c’est sans doute grave : on est malade, on s’inquiète. Quand on cherche à maigrir, c’est qu’on se trouve trop gros et on va y passer sa vie, malgré les promesses –perdez 2 kilos en trois jours- et les

innombrables techniques- le régime ananas, le régime militaire, la méthode Atkins, la méthode Weigh-Watchers, les calculs de calories ou d’index glycémiques, la réduction de la taille des assiettes ou la pose de la fourchette à chaque bouchée, la baie d’Akay, le jus de citron ou le vinaigre, le cumin (encore une épice miracle) et le miel bio (car ce qui est bio ne fait pas grossir)-.

Maigrir est toujours d’actualité. Avant de partir en vacances, on s’efforce de maigrir car le maillot ne pardonne pas, en rentrant on doit perdre les kilos des bonnes choses mangées en vacances, avant Noël on maigrit pour partir de plus loin et après pour perdre du poids (comme le dit Anna Gavalda : Tu fais quoi pour Noël ? – Je prends deux kilos), on maigrit avant le ski pour renforcer ses genoux car les kilos y comptent double et au printemps on mange des salades en espérant s’affiner (mais il faudrait éviter la sauce).

Maigrir est un verbe féminin. Dans la grande guerre de la parole inclusive, il faudrait écrire maigrir.e. Si quelques garçons tentent de maitriser leur poids ils cherchent plus souvent à s’épaissir en faisant du sport – non sans engloutir des quantités de bière et de frites sans souci- tandis que les filles s’efforcent de maitriser leurs rondeurs naissantes tout en cherchant les tenues qui les dissimulent.

J’étais une de ces adolescentes et je peux vous en parler. J’ai quarante ans d’expérience. Et je peux tracer une généalogie de cette lutte: ma mère a passé une partie de sa vie à concocter des menus basses calories ; sa mère était opulente et il ne s’agissait pas de la suivre dans ces égarements. J’ai réalisé assez vite qu’il y avait beaucoup d’inégalité là-dedans. Outre que les garçons peuvent manger de façon scandaleuse, certaines filles semblent nées pour être minces. Car on ne maigrit que quand on se sent gros. Mais on est mince. Par nature. Et cette nature dit de quel milieu vous êtes issu, quel héritage d’hygiène de vie et de règles apprises vous possédez. Mes ancêtres maternels, et notamment les femmes, qui n’avaient pas dépassé le certificat d’études, étaient trop gros. Mes ancêtres paternels, diplômés et aisés, restaient sveltes. Mince, pensais-je, j’aurais eu l’air intelligente, sportive, naturelle, de bonne famille et on m’aurait respectée. Cette différence ne se réduit guère depuis que les Trente glorieuses puis les crises sont passées par là. Ainsi ai-je croisé nombre de femmes très très maigres sur la 5e avenue et très grosses dans le Bronx. Même si on peut être soulagées que la période où il était définitivement exclu d’être ronde et moderne voire ronde et de gauche, la période où être Twiggy ou Jane Birkin était le marqueur de la rupture avec le monde de nos bourgeois de parents, est passée. Dit-on.

Maintenant, maigrir reste une obligation mais elle n’est pas politiquement correcte. Les librairies, les magazines,  You tube et le Web sont pleins de sites et d’applications pour maigrir (4000 sur Internet parait-il). C’est le premier verbe où la première page de recherche google ne contient pas de référence étymologique mais seulement des conseils pour maigrir. La preuve absolue de ce succès est que les sites Web les plus dangereux sont ceux qui sont consacrés à la santé et à la minceur. Le risque de « contamination » de l’ordinateur par des programmes spams et autres virus, ou d’utilisation des données d’identité pour des activités criminelles, est plus élevé sur ces sites. Mais on n’en parle qu’à mots couverts, entre copines. De toute façon ce souci de maigrir est celui d’une faible partie -riche- de l’humanité. Un effet de l’ultra libéralisme. Il est donc indécent d’en parler trop. Sauf si un médecin vous a permis de dire que vous devez maigrir pour votre santé. Là c’est vendable. Et surtout, on évite désormais de « discriminer ». Aujourd’hui, des compétitions minceur ont lieu sur les réseaux sociaux, on calcule son indice de masse corporelle (IMC), on admire Kate Moss ( Il n’y a que Kate Moss qui est éternelle) tout en condamnant l’excessive maigreur des mannequins. Les 183.000 vidéos You tube pour maigrir se terminent ou débutent souvent par un long laïus embarrassé et emberlificoté  suivant lequel il n’est absolument pas nécessaire d’être mince pour être heureuse, que les conseils donnés ne constituent en aucun cas un jugement sur votre physique ou sur le fait d’avoir des kilos en trop. Soyez vous-même ! concluent les intervenantes qui précisent parfois En ce qui me concerne je n’ai pas besoin de maigrir étant mince naturellement. Finalement, toutes les méthodes révolutionnaires et nouvelles réinventent le fil à couper le beurre:  manger moins et moins gras. Bref pour résumer avec Fred Metcalf : La plupart des régimes peuvent se résumer à cette phrase : si c’est bon, crachez.

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Vieillir fait de maigrir un verbe mixte. Les femmes que leur ménopause fait grossir (encore !) sont accompagnées par les anciens minces affamés qui prennent du ventre. La société Weight Watchers nous apprend que les hommes envisagent un régime vers 45 ans en moyenne. Mais, bonne nouvelle pour eux, il leur est plus facile de maigrir car ils ont plus de masse maigre – qu’on devine être tout le contraire de la masse grasse (berk)- ce qui leur permet de brûler plus de calories, et donc de perdre du poids plus rapidement. Quelle discrimination !

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De toute façon, des régimes sortent régulièrement pour vous dire qu’il faut sortir du diktat des régimes, que les régimes amaigrissants font grossir car le cerveau ne fait pas la différence entre la famine et un régime. C’est surtout qu’on doit maigrir toute sa vie quand on a tendance à grossir. En ce qui me concerne, je n’ai connu qu’une période, justement assez tard, où j’ai cessé d’en avoir besoin. Je ne m’en suis rendue compte que très lentement. Un diner copieux ne me faisait pas prendre deux kilos. J’ai pu manger une fois des frites sans grossir (c’est-à-dire que je me suis mise à retrouver le gout des frites). J’ai pu croquer dans la baguette toute chaude avant le diner sans prendre un gramme. Hallucinant. C’est ainsi que j’ai découvert vraiment ce que c’est que maigrir. Certains sont donc en paix avec la nourriture. Savourez ce plaisir. Car maigrir n’en est pas un, même si cela peut devenir une sorte d’exaltation. Maigrir est un verbe ennemi de manger. Et comme le disait Jeff Rovin : la partie la plus dure d’un régime, ce n’est pas de faire attention à ce que vous mangez. C’est de regarder manger les autres.

Vous remarquerez qu’il y a moins de nos grands auteurs pour parler de ce verbe. Non qu’ils n’aient jamais cherché à maigrir ( Marcel Proust aurait dit Il y a quelque chose plus difficile encore que de s’astreindre à un régime, c’est de ne pas l’imposer aux autres) mais peut-être en France préfère-t-on prétendre que tout ceci (être mince, savoir écrire) ne s’apprend pas (sauf pour les ploucs). C’est inné.

4 réflexions sur “Maigrir

  1. Le drame se joue autour de la minceur imposée par la société de consommation. Dès lors, la logique ne consiste aucunement en un équilibre du corps, mais en un amaigrissement de celui-ci. Le plaisir du repas peut s’avérer d’ailleurs comme un outrage salvateur fait à l’encontre d’un modèle de société qui prône la malbouffe comme un état de fait consubstantiel aux nécessités d’amaigrissement.

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    • D’après Georges Vigarello Les femmes « Au Moyen Âge émerge essentiellement une critique, d’ordre religieux, à l’égard du péché de gloutonnerie. Mais tout change à la période moderne (c’est-à-dire à la Renaissance puis au XVIIe siècle), avec l’apparition de l’idée d’efficacité. On reproche alors au gros d’être balourd. C’est celui qui n’est pas dans le coup, qui tombe de cheval, qui ne va pas assez vite. Puis, avec l’arrivée de la notion de travail, on attend des gens qu’ils aient une emprise technique sur le monde. Avec les Lumières, l’invention de l’électricité inspire une autre métaphore. D’un seul coup, le gros devient celui qui éteint les réactions. C’est celui qui n’est pas assez excitable, pas assez nerveux. Le rapport au gros change aussi avec l’évolution de la critique sociale, à la Révolution française et au XIXe siècle : le gras, signe de notabilité bourgeoise, de l’« enrobement satisfait », est pris pour cible par les démunis..Avec l’apparition des loisirs, l’obligation de se dénuder, et la place croissante des femmes dans l’espace public, le masque des vêtements n’existe plus, on se montre plus – d’où l’exigence nouvelle de la minceur..mais les contraintes physiques ont toujours existé dans l’histoire. La cour de Louis XIV, par exemple, était particulièrement normée. Le corset raidissait et handicapait les femmes, il les privait de monter à cheval, de s’asseoir. La nouveauté est que dans nos sociétés ces contraintes se sont déplacées sur le corps, puisque l’on peut de moins en moins faire illusion avec l’habit..http://madame.lefigaro.fr/societe/georges-vigarello-lexigence-vis-vis-corps-menace-notre-societe-180310-18636

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