Contemporain

 

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Pendule du grand père de Boris Vian, maison d’Edmond Rostand (Arnaga).

 

Je ne sais pas si vous êtes comme moi mais je ressens une certaine difficulté à définir le mot contemporain.

Les propositions google sont d’ailleurs « contemporain définition Larousse », « contemporain synonyme », , « contemporain Wikipédia », « contemporain  antonyme ». Plus grave encore, c’est un  mot double puisque est contemporain de qui appartient au temps actuel, par rapport au moment envisagé dans le contexte et qu’être contemporain est aussi être du même temps que quelque chose ou quelqu’un.

En français, dans la plupart des langues latines et en anglais le mot est d’usage récent, selon Lionel Ruffel

Issu du bas latin contemporaneus, qui signifie « du même temps », il apparaît sous sa forme actuelle durant le XVe siècle, puis connaît trois expansions d’usage qui correspondent à trois moments de crise philosophique et esthétique en Europe (la Renaissance, la Querelle des Anciens et des Modernes, les Lumières). Cependant, durant ces trois époques, son usage est limité, à la fois en extension et en signification. En extension, car le mot est assez peu utilisé ; en signification, car il demeure fortement lié à son sens premier de simultanéité d’époque, et notamment d’existence. Et dès lors, il s’emploie régulièrement pour évoquer les générations des grands hommes. …un mot beaucoup plus ancien, beaucoup plus traditionnel en un sens, beaucoup plus chargé sémantiquement lui a été préféré : le moderne. Dans cette optique, « moderne » a toujours désigné la nouveauté apportée par un présent, au regard de l’antiquitas. Et si dans les premiers temps, le mot de contemporain ne suscite aucun jugement négatif, les auteurs des Lumières vont commencer à pratiquer ce mépris du contemporain qui a paradoxalement accompagné son triomphe.

 

C’est ici que les Athéniens s’atteignirent, comme disait mon grand-père. Comment expliquer qu’aujourd’hui le terme de moderne ait été abandonné pour celui de contemporain et que nous revenions depuis quelques temps à des débats autour de la modernité  ? Et d’ailleurs, pour le dire comme google

Qu’est-ce que l’ « époque contemporain » ? (sic)

Pour les historiens, l’époque contemporaine se situe après l’époque moderne :

La période moderne (ou temps modernes) succède au moyen-âge vers 1492 (lequel succède à l’Antiquité qui elle-même..) et s’arrête au début de la révolution française en 1789, ouvrant l’histoire contemporaine.

Premier problème, il s’agit là de l’époque contemporaine pour les historiens français. En Espagne le point de départ de l’époque contemporaine est parfois la révolution française parfois l’indépendance des États-Unis, parfois la révolution russe d’octobre 1917. Aux États-Unis, l’histoire contemporaine commence autour de 1945. Avant il y a l’époque moderne divisée en Early modern (notre moderne) et Late modern (notre contemporain). Pour l’histoire africaine, la division contemporain/moderne est remplacée par histoire précoloniale (comptée en millions d’années), histoire coloniale (durant quelques siècles) puis histoire post coloniale, une périodisation qui remonte aux lendemains de la Seconde guerre mondiale où la colonisation apparaît comme un phénomène central. C’est dire combien la périodisation est une question de point de vue.

Silvia Sebastini   dans la journée de conférences à l’EHESS « Découper l’histoire, qu’est ce qu’une période historique » souligne que Voltaire et les historiens des Lumières ont créé cette idée de périodisation de l’histoire en lui donnant un sens progressif et progressiste. C’est une histoire qui se veut globale, universelle, allant vers un progrès par opposition à l’histoire biblique qui va vers la chute.

On peut aussi souligner que le découpage moderne/contemporain en 1789 laisse à penser que la modernité sociale (symbolisée par la Révolution française) succède et se trouve déterminée par la modernisation technique issue de la Renaissance. L’histoire suit ainsi un plan rationnel continu qui distingue dans le temps les deux types de modernité en les raccordant en un seul point : la date sacrée de la Révolution. Ceci a pour corollaire de cadenasser tout le débat historique autour d’un point d’orgue et de mettre de côté les relations entre l’Ancien et le Nouveau régime.

Cette question est essentielle pour comprendre les clivages idéologiques et historiques de notre monde (je n’ose pas écrire contemporain). Ainsi, en ce qui concerne l’islam, la question de la modernité est centrale et aussi ancienne que la confrontation entre l’Europe des Lumières et le monde arabo-musulman. Cette question relance celle de la distinction entre modernité technique et sociale ou politique. C’est ce qu’explique Jocelyne Cesari: l’entrée de Bonaparte au Caire en 1798 a constitué le moment symbolique de cette rencontre entre l’Occident porteur de modernité et les peuples de l’Orient musulman alors sous domination ottomane. Ce fut un choc pour le monde musulman : un occident militairement et scientifiquement puissant se révélait à lui qu’il ne pouvait continuer d’identifier au vieil ennemi chrétien parce que ce n’était pas le christianisme mais l’Age des Lumières qui inspirait son action. Cette confrontation allait susciter du côté musulman un examen de conscience et un souci de mise à jour. Cette réflexion sur la modernité se fera sous le mode non pas de la rupture mais du recours à la tradition, non pas du progrès mais de la renaissance. En 1880, le premier courant réformiste politico-religieux, la salafiyya illustrée par Djamal-al-din-al Afghani et Muhammad Abduh, fondait sa vision réformiste sur des prémisses opposées à celles des Lumières : aller vers plus et non pas moins de religion. La décadence était considérée comme une conséquence du despotisme des gouvernants et d’une interprétation superstitieuse de la religion. La supériorité de l’Occident était perçue comme uniquement matérielle et technique, le vrai progrès ne pouvant être que spirituel et éthique. La question de la rationalisation des données de la foi a été au cœur du débat et a donné lieu à une série d’exercices théoriques afin de démontrer qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre l’islam et les techniques ni même avec les principes politiques de l’Occident. Ce débat plus que jamais d’actualité connaît de nouveaux rebondissements avec l’installation de l’islam en Europe.

Avec la question du monde musulman et de son rapport actuel à la modernité (que google indique bien avec parmi ses premiers résultats « contemporain en arabe ») viens l’épineuse question « contemporain art ».

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Crédit: Les galeries pour tous

Bien entendu, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué, la date de départ de l’art contemporain n’a rien à voir avec celle de l’époque contemporaine, ni en France ni aux Etats Unis. Pour tout arranger, il existe aussi une rupture moderne/contemporain qui est tout sauf claire.  Comme le dit Jean Clair dans  « la responsabilité de l’artiste » (Gallimard, le débat, 1997) :

Autrefois il y avait le traditionnel et le moderne. Le Moderne rompait avec la tradition. Maintenant il y a le traditionnel, le moderne, et le contemporain. Si tout le monde perçoit et comprend que la danse contemporaine n’est pas le ballet classique, ou que Boulez ne fait pas de la musique classique, la différence entre l’art contemporain et l’art moderne n’est pas aussi claire aux yeux du profane.

De toute façon l’art contemporain n’a plus rien d’accessible au profane. J’avoue n’avoir pour ma part jamais bien compris ce que c’était et pourquoi je n’y comprenais rien avant d’avoir lu Nathalie Heinich dans Le paradigme de l’art contemporain. Structures d’une révolution artistique (Gallimard, 2014). Voici ce que j’en ai retenu

L’art contemporain … doit se comprendre avant tout comme une rupture avec l’art moderne qui, à partir des années 50, s’était imposé comme le nouveau sens commun de l’art. … Il s’affranchit non seulement des conventions de la figuration classique mais aussi de cette exigence constitutive de l’art moderne qu’est l’expression de l’intériorité de l’artiste, quelles qu’en soient les formes….Qu’ont en commun les quatre genres majeurs de l’art contemporain, le ready-made, l’art conceptuel, la performance, l’installation, une caractéristique qui rend l’art contemporain incompréhensible aux tenants du paradigme moderne ? C’est que l’œuvre d’art n’y réside plus dans l’objet présenté par l’artiste soit parce qu’il n’y a plus d’objet autre qu’un simple contenant (une feuille de papier, des murs) ou un rebut destiné à la poubelle ; soit parce que l’objet n’a de valeur ni même d’existence sans les récits dont il va être le point de départ… Autant dire que l’art contemporain est devenu, essentiellement, un art du « faire raconter » : un art du récit, voire de la légende, du commentaire ou de l’anecdote….un artiste qui n’a « qu’une » technique picturale est d’ailleurs rejeté dès lors qu’il n’y a pas de « discours critique » ou de « questionnement » c’est à dire une ambition théorique. C’est là le paradigme de l’art contemporain. Pour intégrer le monde de l’art il faut désormais obéir à ce paradigme, sinon on peut toujours être un « peintre du dimanche » ou autre artiste exclu des circuits de reconnaissance et des circuits marchands. Les paradigmes de l’Art contemporain, de l’art moderne et de l’art classique sont désormais totalement incompatibles… L’art contemporain forme un monde hautement cohérent mais en rupture radicale avec les formes de l’art familières au grand public et même au grand public cultivé.

Nathalie Heinich a parfaitement formulé, dans un livre par ailleurs très équilibré et très drôle ce qui m’a toujours isolée de l’art contemporain et que je me sentais trop incompétente pour dire, craignant, comme tous ceux qui s’approchent religieusement d’une œuvre qu’ils n’arrivent pas à apprécier, d’avoir l’air bête à manger du foin.

Raphael Enthoven  exprime bien ce problème d’élitisme dans Pourquoi l’art contemporain est-il élitiste ?

Enfin, et c’est le plus grave, parce qu’il est conceptuel et qu’il sacrifie l’émotion à la pensée. A la différence des beaux-arts, l’art contemporain demande qu’on le démontre. En ce sens, sous couvert d’avant-gardisme, il ressuscite l’esthétique platonicienne, selon laquelle le beau n’étant qu’un moyen d’accéder à la vérité, l’art n’est pas à lui-même sa propre fin, mais doit se mettre au service d’une cause plus vaste. Les œuvres d’art contemporain sont ainsi, à double titre, des objets de « spéculation »: si c’est au prix du marché qu’elles doivent leur valeur, c’est parce qu’elles s’adressent à l’intelligence, plus qu’à la sensibilité. « De nos jours, dit Hegel dans L’Esthétique, on ne vénère plus une œuvre d’art, et notre attitude à l’égard des créations de l’art est beaucoup plus froide et réfléchie. […] Dans ces circonstances l’art, ou du moins sa destination suprême, est pour nous quelque chose du passé. »

La rupture avec le sentiment et la recherche formelle a aussi joué un rôle dans les débats poétiques dont j’ai parlé à propos de Martine Broda.

L’art contemporain nous pose un beau paradoxe sur l’usage du mot: nous ne en sentons pas contemporains. C’est l’un des sujets du très beau livre de Michel Houellebecq La carte et le territoire.

Rester ou redevenir modernes ?

La période que nous vivons semble marquée par deux questions majeures sur la modernité et la contemporanéité, aux implications politiques essentielles.

L’inversion de la courbe

Dans The Time-Complex. Postcontemporary[1], l’Autrichien Armen Avanessian et l’Anglais Suhail Malik, estiment que la courbe du temps a changé et que désormais le présent est préempté par le futur. Pour ces deux auteurs, l’action et l’expérience humaines ont perdu de leur primauté dans l’élaboration aussi bien qu’à tous les niveaux de l’organisation sociale. Désormais, les premiers rôles sont tenus par les systèmes complexes, les infrastructures et les réseaux au cœur desquels le futur remplace le présent comme condition structurante du temps.

Nous ne sommes plus face à un temps linéaire, dans ce temps où le passé était suivi du présent et ensuite du futur. C’est bien plutôt l’inverse qui se joue : le futur a lieu avant le présent, le temps arrive du futur. Si les gens ont le sentiment que le temps est hors de ses gonds, ou que le temps ne fait plus sens, ou n’est plus ce qu’il était, la raison en est, je crois, qu’ils ont – que nous avons tous – des difficultés à vivre dans un temps si spéculatif ou au sein d’une temporalité spéculative.

Les auteurs en voient des illustrations dans tous ces phénomènes qui, ordinairement, débutent avec le préfixe « pré », une déduction anticipée du futur qui joue un rôle dans le présent : les frappes préventives, la police préventive, la personnalité préventive qui renvoie à la façon dont on arrive à obtenir, à partir d’un service commercial, un certain nombre d’informations et de renseignements sur ce que nous sommes susceptible de désirer sans l’avoir pourtant explicitement demandé. Les produits financiers dérivés constituent aussi une manifestation de l’opérationnalisation du temps-complexe spéculatif en ce qu’ils utilisent le futur prix inconnu d’un actif financier et les risques qu’il implique pour tirer des bénéfices au regard du prix actuellement pratiqué de ce même actif.

Cette inversion signifie-t-elle que toute référence au passé est inopérante ? Borges le disait, le contemporain est une bifurcation dans cette ligne de temps qui fuit, fléché. Le temps n’est pas que ce qui coule car dans ce fleuve il y  a de l’eau qui remonte, qui bifurque. Le tourbillon en est une figure intéressante. En 2008, le philosophe Giorgio Agamben dans son essai, Qu’est-ce que le contemporain ? écrivait que l’évocation du passé, le goût de l’anachronique ou du décalé est un signe de lucidité nécessaire à l’interprétation du présent: c’est le lot des véritables contemporains de se décoller légèrement de leur temps pour mieux le voir…. Conscient de l’impossibilité de saisir le contemporain, comme la modernité définie par Baudelaire (« le transitoire, le fugitif, le contingent »), Agamben prend pour exemple la lumière des étoiles que nous percevons si tard qu’elle a peut-être déjà disparu et la mode qui incarne ce changement perpétuel.

Toujours est-il que cette lutte entre passé et futur s’incarne dans un conflit politique majeur autour de la modernité.

Enjeux politiques de la modernité

L’appel à une modernité ou une contemporanéité prédictive, dans laquelle l’expérience humaine et l’héritage ne sont rien, est profondément anxiogène (en plus d’être exaspérante comme s’en aperçoivent tous ceux qui ont mon âge en entendant des jeunes enthousiastes réinventer l’eau chaude). Et elle joue un rôle dans l’un des courants d’opposition à la modernité qu’analyse très bien  Alain Finkielkrault dans Le mécontemporain: Péguy, lecteur du monde moderne ou dans son émission sur Les antimodernes, ceux qui, dit Compagnon, ne sont pas des réactionnaires parce qu’ils ont renoncé à toute réaction mais qui ne croient pas au monde moderne.

 

Un certain nombre de personnes et de courants critiquent la modernité et le monde contemporain en prônant un retour en arrière parfois présenté comme une nouveauté : souverainisme ou décroissance par exemple. Cette critique ancrée à droite prône un retour à un état antérieur et idyllique de la société, valorisant la simplicité et la pureté, ainsi que le recours au sens commun.

Ce mouvement a des avantages. Comme le note Brice Couturier, Mark Lilla, dans son dernier livre, The Shipwrecked Mind. On political reaction (La pensée du naufrage. Sur la réaction politique), écrit que les penseurs réactionnaires ont bien des choses à nous révéler sur ce que nous sommes en train de vivre. Car celui qui opte pour l’exil intérieur, refuse de participer, perçoit des changements dont la portée échappe aux contemporains. Le refus de l’époque confère une position d’extériorité. Et la nostalgie du passé donne d’utiles éléments de comparaison avec le présent. « Là où d’autres voient le fleuve du temps passer, comme il l’a toujours fait, le réactionnaire voit les débris du paradis flotter à la dérive », écrit-il dans l’introduction à son livre. Il ne manque pas d’inconvénients car il alimente des positions politiques plus extrémistes comme le populisme de Trump ou les positions du Front national : Je défends un « passéisme intelligent » contre des « élites hostiles » dit Marion-Maréchal Le Pen. Il n’est peut-être pas sans lien et sans écho avec la montée en puissance de l’islamisme et des formes radicales de retour à la vision la plus archaïque de la société.

A l’autre extrémité su spectre politique se situe le post-modernisme, système de pensée hérité des travaux de Jean-François Lyotard, Jean Baudrillard, Jacques Derrida et Michel Foucault adaptés et politisés dans les domaines du féminisme intersectionnel, les théories critiques de la race et des théories queer, tous mouvements désireux de « déconstruire » une société qui serait une construction culturelle des groupes dominants. Si cette approche a le mérite de repenser la modernité il présente aussi bien des travers et notamment celui d’alimenter l’autre extrémité du spectre politique, puisqu’il est dominant dans la gauche radicale. On en a une illustration récente avec la demande du CRAN de débaptiser les lycées et collèges Colbert.

Comme l’écrit Emmanuel Leroy dans Bruit Blanc, à propos des événements de Charlottesville

Le fait de ne pas contrôler l’Histoire nourrit chez l’homme post-moderne le sentiment qu’il ne s’appartient pas lui-même. Il cherche donc aujourd’hui à abolir l’Histoire, une tendance qu’il a développé à partir des mouvements de libération des mœurs. La Sociologie contestataire des années 60 et 70 a contribué à propager cette hantise de l’Inné, ce que Jacques Derrida a récupéré afin de construire sa thèse de la déconstruction sociale, très influente aux États-Unis. Ainsi, la Gauche américaine nie t-elle désormais le fait que l’esclavage fut “justifié” par un système de développement économique. La traite négrière est aujourd’hui traitée comme la manifestation d’une inclination immorale de l’Homme blanc qui aurait exploité cette main-d’œuvre par pure méchanceté.

On envisage donc de changer l’histoire avant de la connaître ou sans la connaitre ce qui est favorisé par la paresse intellectuelle grandissante vis-à-vis de la consultation des archives et du travail de temps long, remplacés par des concepts conçus en copié collé et surtout en adéquation avec l’air du temps. Comme le relève avec humour l’auteur du Blog « Un odieux connard » :

Du coup, revenons à cette histoire de statues. Une statue choque ? Une statue date d’une autre époque (c’est fou !) où on ne pensait pas pareil (honteux !) ? Une statue rappelle les-heures-sombres-de-notre-histoire ? Un soldat inconnu d’un autre siècle s’est battu pour d’autres valeurs que de savoir quelles terminaisons il faut mettre sur Twitter pour ne choquer personne ? Plutôt que d’abattre sa statue, on peut s’en servir pour expliquer un pan de l’Histoire. Comme ça, tout le monde en sort un peu moins con. Et tant mieux si ça choque : ça permet d’expliquer pourquoi et d’où vient un combat.

 

James A.Lindsay et Helen Plunckrose, dans un article stimulant même s’il n’est pas entièrement convaincant intitulé A Manifesto against the ennemies of Modernity   soulignent, et là je les rejoint, que ces deux tendances (post modernisme et ce qu’ls appellent prémodernisme), en opposition frontale, sont en interaction car ils partagent certains thèmes et constituent désormais, par un effet de tenaille, une menace majeure contre la modernité politique définie par le respect du savoir et de la science, le système politique représentatif et séculier, la défense prioritaire des libertés individuelles et l’équilibre entre les coopérations/compétitions individuelles et l’intervention régulatrice des Etats.

Ces deux tendances sont hostiles à la science et au concept de réalité objective (la vérité est liée à l’identité pour la gauche et elle est seulement le sens commun à droite), aux experts (qui sont supposés être des représentants de la « caste » ou de l’élite) à la prééminence de la liberté individuelle. Ils pratiquent la censure et l’occultation historique pour valoriser leur camp ou soutenir leurs revendications. Leurs acteurs, qui mobilisent les réseaux sociaux (non sans que cela ait une certaine ironie) et pratiquement l’entrisme dans les partis, associations et mouvements sociaux tendent à former une seule et unique menace car ils fonctionnent objectivement ensemble et sabotent le débat, en ne permettant plus l’émergence, toujours lente, de solutions aux dysfonctionnements, réels, de nos sociétés.

Deux solutions apparaissent aux yeux de ses auteurs. La première est de défendre la modernité par la création ou le renforcement d’un centre. Ce centre aurait notamment vocation notamment à casser les références historiquement clivées. Leurs développements sur ce sujet rappellent fortement, même si bien entendu ils ne l’évoquent pas, la réussite récente et la démarche d’Emmanuel Macron tant par l’effort politique à la réussite inédite de créer ce centre, que par sa réflexion historique dont l’un des axes est le refus de la « segmentation de notre histoire en épisodes clos sur eux-mêmes » :

J’ai parlé de roman ou de récit national parce que précisément je ne crois pas à la segmentation de notre histoire en épisodes clos sur eux-mêmes. Je n’ignore pas qu’il existe des filiations profondes dans notre horizon national. Les gens de gauche se sentent les enfants de 1789, de 1848, de 1905, de 1936, de 1968 ou de 1981. Les gens de droite s’ancrent, au choix, dans 1805, 1830, 1852, 1916, 1946 ou 1958. Je simplifie, mais c’est précisément au gré de ces simplifications que s’est construite une part des identités politiques de notre pays…Lorsque je prône le retour au récit national, c’est pour dire que 1805 naît de 1789, qui naît lui-même de courants profonds qui se sont formés sous l’Ancien Régime (qu’on pense au rôle des jansénistes dans la Révolution française), que Jeanne d’Arc est aussi une héroïne de la République, que Clovis n’est pas l’apanage d’une certaine tradition catholique, que la IIIe République naît dans le sang de la Commune de Paris. Que l’histoire segmentée mise au service des idéologies ne livre pas les clefs nécessaires pour forger les réponses au monde qui vient…. Comme Marc Bloch, je pense qu’il faut refaire le lien entre le sacre de Reims et la fête de la Fédération, entre Charlemagne et de Gaulle, entre Jeanne d’Arc et Jaurès, et même entre 1789 et 1793.

Les auteurs de l’article jugent cet appel à un nouveau centre voué à l’échec. Pour eux, les véritables centristes sont rares et seront donc faibles face aux extrêmes. De plus, la définition du centre prend appui précisément sur le clivage gauche droite qu’il s’agit à leurs yeux de quitter définitivement. Ils prônent donc une redéfinition du clivage politique en défenseurs et critiques de la modernité politique. Ils prônent pour cela l’incitation des citoyens habituellement silencieux à une action en politique hors des partis et dans tous les réseaux investis par les extrêmes (on peut aussi employer le terme radicaux) pour s’ opposer systématiquement, et fortement, à ce qui porte préjudice à la modernité.

Comme l’écrit Brice Couturier,

la recomposition promise passe-t-elle par une simple coalition des modérés des deux familles qui ont structuré notre vie politique ? Ou s’agit-il de redessiner le paysage en fonction de nouveaux clivages (partisans de « l’ouverture » ou du « repli », européistes versus souverainistes, libéraux versus étatistes, laïcs contre multiculturalistes…)?.

Peut-on ajouter modernes contre post et prémodernes ? L’avenir nous le dira peut-être. De toute façon, comme l’écrivit Gustave Flaubert, Le passé nous retient, l’avenir nous tourmente, c’est pour ça que le présent nous échappe.

 

 

A écouter

France culture, Les chemins de la philosophie par Adèle Van Reeth, « Que veut dire être contemporain ? » avec Jean-Clet Martin

 

 

 

3 réflexions sur “Contemporain

  1. Pingback: Contemporain — lesensdesmots | Charentonneau

  2. Très bel et riche article comme toujours !
    En sacrifiant l’émotion à la pensée, il me semble qu’on atteint parfois les limites de l’art…
    (Merci encore Aline et excusez-moi pour cette réaction tardive… (Un peu dans la lune, parfois !))

    Aimé par 1 personne

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