
Parce que les temps sont durs, comme on disait en temps surannés, parce que l’ambiance est morose, parce que le coronavirus nous coupe le souffle, j’ai pensé publier une poésie légère sur un des sujets difficiles du moment, l’oxygène.
En espérant vous faire rire, pour mieux respirer mais aussi parce que distance, recul et esprit critique restent plus que jamais nécessaire ne serait ce que pour ne pas confondre second et premier degré, délire et science….
Pour faire plaisir à l’ami Pierre, je commencerai par dire deux mots du titre du poème et de l’article. L’oxygène est un corps gazeux diatomique (O2) constituant en volume le cinquième de l’atmosphère terrestre et nécessaire à la respiration. C’est le troisième élément le plus fréquent dans l’univers et un élément constitutif fondamental de la matière vivante, au même titre que le carbone, l’hydrogène et l’azote. C’est aussi, quand on parle au figuré de l’air pur, non pollué et tout ce qui permet à quelque chose, à quelqu’un d’aller de l’avant, de progresser, de lui redonner du dynamisme, un souffle nouveau.
Dans le poème d’Alphonse Allais, la définition chimique et les propriétés de l’oxygène sont décrites avec beaucoup d’humour, auquel participent la présence des chiffres et des mots bizarres qu’affectionnent les savants. Ainsi sa densité par rapport à l’air ou ce défaut majeur de l’oxygène de brûler la matière organique (c’est pour ça qu’on doit l’étouffer avec une couverture, de préférence en laine). Il est vrai que le chlorate de potassium permet en le chauffant de fabriquer de l’oxygène, non sans risques, vous trouverez ça sur You tube. Enfin l’hydrogène qui fait monter les ballons à son époque est, parait-il, « une vraie piste d’avenir pour la transition énergétique en permettant le développement des énergies renouvelables décentralisées et l’explosion de solutions de mobilité verte. ». Cette phrase de jargon contemporain déprimante permet de comprendre l’incipit du poème : « Il est temps de mettre un terme à la fumisterie absurde qui consiste à faire faire des cours dans les facultés par des messieurs de noir habillés et très ennuyeux. ». Remplacez les messieurs en noir habillés et très ennuyeux par des engagé.e.s pour le climat habillé.e.s de façon non genrée et très ennuyeux.ses.
Mais que veut dire « Nous commencerons aujourd’hui un cours de chimie sur l’air connu de : À la façon de Barbari » ainsi que ce refrain Biribi/A la façon de Barbari/Mon ami! ? Et que vient faire dans la science cette faridondaine et ce faridondon ? Eh bien il s’agit de termes utilisés traditionnellement dans les chansons paillardes et poèmes satiriques réalisés sur cet air A la façon de Barbari mon ami. Je vous engage à aller l’écouter et jeter un œil sur cette tradition sur Theaville, un outil de recherche littéraire et musical sur les parodies dramatiques d’opéra au XVIIIe siècle.
On connaît aussi ce type de chansons sous le titre alternatif Air de la faridondaine, une oeuvre du célèbre chansonnier français Pierre Jean de Béranger (1750-1857). La faridondaine fait une belle rime sauf pour les sons en on pour lesquels on ajoute la faridondon. Pour écouter, cliquez sur le cercle dans la marge en suivant ce lien.
Voici un exemple ancien de ce type de poème
Je croyais être cette nuit
Dans l’île de Cythère
Et que je voyais dans son lit
Celle à qui je veux plaire
Plus belle sans comparaison
La faridondène, la faridon don
Que le Dieu qui nous fait languir, biribi
À la façon de Barbari mon, ami.
Comme ces pièces satiriques, le poème d’Alphonse Allais est rimé, en rimes embrassées.
Oxygène
Chronique scientifique Le Chat noir, n° 17, 6 mai 1882
Il est temps de mettre un terme à la fumisterie absurde qui consiste à faire faire des cours dans les facultés par des messieurs de noir habillés et très ennuyeux. Le journal Le Chat Noir s’est adjoint quelques professeurs distingués qui donneront à cette place une série de leçons attrayantes.Nous commencerons aujourd’hui un cours de chimie sur l’air connu de : À la façon de Barbari
L’oxygène a pour densité,
On en a fait l’étude,
1,1056 calculé
Avec exactitude.
Il entretient la combustion,
La faridondaine, la faridondon.
C’est lui qui entretient la vie
Biribi
A la façon de Barbari,
Mon ami.
On le prépare en calcinant
Le potassiqu’ chlorate;
Mais il faut chauffer doucement
De peur que ça n’éclate.
Les poumons quand nous respirons,
La faridondaine, la faridondon,
S’dilatent l’un et l’autre à l’envi,
Biribi
A la façon de Barbari
Mon ami.
Zéro, zéro, six, neuf, deux, six,
Telle est de l’hydrogène,
D’après Thénard et Regnault fils
La densité certaine.
Il sert à gonfler les ballons,
La faridondaine, la faridondon.
Il éteint aussi les bougies,
Biribi
A la façon de Barbari
Mon ami.
Alphonse Allais
Alphonse Allais est un journaliste, écrivain et humoriste français né le 20 octobre 1854 à Honfleur (Calvados) et mort le 28 octobre 1905 à Paris. Célèbre à la Belle époque, reconnu pour sa plume acerbe et son humour absurde, il est l’auteur méconnu des premières peintures abstraites : ses monochromes «Récolte de la tomate sur le bord de la mer rouge par des cardinaux apoplectiques», etc., présentés au Salon des Arts Incohérents, précèdent d’une génération le Carré blanc sur fond blanc de Kasimir Malevitch, généralement considéré comme le premier exemple en la matière. Il est aussi, bien avant John Cage ou Erwin Schulhoff, l’auteur de la première composition musicale minimaliste : sa Marche Funèbre composée pour les Funérailles d’un grand homme sourd, est une page de composition vierge, parce que « les grandes douleurs sont muettes ».
Parmi les nombreuses particularités de cet auteur emblématique de l’humour noir, on retiendra son appartenance au mouvement Fumiste. Le mot fumisme dont la presse du temps taxe la nouvelle vague a été enregistré par Littré, et est appliqué aux expressions esthétiques jugées inintelligibles d’un Mallarmé, d’un Rimbaud, de l’école décadente ou des peintres impressionnistes. Alphonse Allais et ses amis, membres d’une génération traumatisée par la commune de Paris et rétifs à l’ordre moral qui a suivi, s’en emparent pour le brandir en drapeau. Vers 1880-1885, l’appellation fait fureur. Le numéro 1 et unique du Je m’en foutiste rend compte des discussions savantes sur « le fumisme dans ses rapports avec la Littérature ». Willette publie sur une pleine page de la revue Le Chat noir (18 mars 1882) une bande dessinée intitulée « Pierrot fumiste », titre que Laforgue donne à la pantomime en trois tableaux qu’il rédige à la même époque. Allais était aussi membre du club littéraire Les Hydropathes[1], fondé par le poète et romancier Émile Goudeau. Le club se réunit d’abord dans un café du Quartier Latin (le Café de la Rive gauche, à l’angle de la rue Cujas et du boulevard Saint-Michel), puis dans divers locaux du même quartier, et disparut après une série de chahuts en 1880. La plupart des anciens membres du club des Hydropathes se retrouvèrent au Chat noir de Rodolphe Salis, ouvert en décembre 1881, dont Alphonse Allais fut l’un des piliers. Les Hydropathes introduisent en poésie des parlers de toutes espèces notamment ceux des différentes disciplines scientifiques.
Allais était autant poète qu’humoriste, il s’est essayé à diverses formes et entre autres à ce qu’on appelle le poème holorime, fait entièrement de vers homophones, où la rime est constituée dans la totalité du vers, comme dans ce poème fameux
Par les bois du djinn où s’entasse de l’effroi,
Parle et bois du gin ou cent tasses de lait froid
Au cours de sa vie relativement brève (il est mort d’une embolie à l’âge cinquante-et-un ans), il a écrit plusieurs milliers de contes, de nouvelles, de récits, de pièces de théâtre, de romans, de poèmes drolatiques, de fables moralisantes. Il maniera l’humour noir jusqu’au bout, puisqu’il ira jusqu’à annoncer sa mort, le 28 octobre 1905 à Paris en prédisant son funeste destin à son meilleur ami : « Demain je serai mort ! Vous trouvez ça drôle, mais moi je ne ris pas. Demain, je serai mort ! ».
Pour aller plus loin :
François Caradec a publié une biographie d’Alphonse Allais chez Fayard ainsi que Alphonse Allais, Par les bois du Djinn, Poésies complètes, Poésie/Gallimard, 2005.
site des Amis d’Alphonse Allais, une association et une académie dont l’un des plus éminents membres était le regretté Alain Rey
Alphonse Allais et son drôle de Noël dans l’émission Autant en emporte l’histoire du 20 décembre 2020.
Sur ses œuvres monochromatiques et la marche funèbre
[1] le nom Hydropathes (étymologiquement : « ceux que l’eau rend malades »), était peut-être une référence à la valse intitulée Die Hydropathen, de Joseph Gungl, ou un jeu de mot sur le nom du fondateur : Goudeau, c’est-à-dire « goût d’eau », pour des gens qui n’aiment pas beaucoup l’eau… cela donne « hydropathes » : — Pourquoi votre société a-t-elle pris le nom d’Hydropathe ? demandait-on à l’un de nos confrères : — Parce qu’elle a Goudeau, et tient ses séances à l’hôtel Boileau
Merci Aline, excellente idée rafraichissante malgré le froid.
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très drôle, ce poème, et peu connu, j’aime les écrivains qui osent parler de la science, surtout de façon humoristique.
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Et merci pour la découverte de Théaville !
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je l’ai découvert moi aussi en écrivant l’article! Heureuse que cela vous intéresse !
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