Vacciner

Me voici vaccinée. Il s’agit cette fois de la double dose Pfizer, qui me donne droit à une protection et à un QRCode dans mon appli TousAntiCovid et donc à un pass sanitaire.

Enfant, j’ai été vaccinée sans mon consentement contre un tas de maladies. On voyait encore les adultes déformés par la polio et les parents nous racontaient cette époque où, régulièrement, un enfant de leur classe mourait de diphtérie. Le vaccin de la variole était marrant, juste un petit coup de plume qui laissait souvent une cicatrice (la maladie l’était moins). Le seul vaccin que je n’ai pas eu est celui contre la tuberculose car ma cuti ne virait pas et que finalement j’ai fait une primo-infection. On m’a montré les cicatrices : tu vois ça ? c’était des trous dans ton poumon ! Des trous ! Alors qu’on on savait tous, grâce aux cours de français, à l’opéra et au cinéma que quelqu’un qui crache du sang dans son mouchoir va mourir avec plein de trous dans le poumon. Régulièrement, on se faisait peur. Par exemple, dès qu’on s’écorchait dans le jardin. Vite, où en est-on du côté du tétanos ? Ça ne rigole pas le tétanos. Heureusement on avait un joli carnet de vaccination jaune, avec tous plein de cachets de vaccins. Comme j’ai voyagé par la suite, j’y ai rajouté le choléra, l’hépatite B, la fièvre jaune etc. Désormais, je suis adulte et responsable de mes actes. Majeure et vaccinée comme l’écrivait Gérard de Nerval dans Les Nuits d’octobre[1].

Ce verbe ne m’aurait pas inspiré si je n’avais pas lu, vu et entendu autant de propos contre le vaccin depuis quelques temps, ou plutôt contre le pass sanitaire qui énerve beaucoup ceux qui n’ont pas trop envie de se vacciner ainsi que des libéraux éclairés qui y voient encore une usine à gaz ou des opposants à Macron qui y détectent une pulsion dictatoriale. Il parait qu’il ne s’agit bien entendu pas d’être anti vaccin, bien sûr que non, c’est juste une opposition à ce vaccin là parce qu’on n’a pas le recul/parce que la maladie ne tue pas/ou seulement ceux qui allaient mourir de toute façon/parce qu’on a des traitements et que les hôpitaux et les médecins font exprès de ne pas les utiliser et de laisser mourir leurs patients (plus ou moins tôt)/parce que ça fait des profits pour Big Pharma qui aime organiser des maladies pour accumuler des bénéfices. Je résume.

Certains, estimant qu’il vaut mieux éviter le pass proposent que les non-vaccinés payent pour leurs éventuels frais d’hospitalisation, mais tout le monde trouve ça franchement injuste parce que pourquoi alors soigne-t-on les fumeurs gratuitement ? (quoique depuis quelques temps les fumeurs financent beaucoup l’État). D’autres ont proposé que seules les personnes « à risque » se voient imposer la vaccination. Mais on a hurlé à la discrimination: comme disait Groucho Marx tous les vieux sont des jeunes qui n’ont pas compris ce qui leur était arrivé; quand à Obélix il criait fort bien « Qui est gros ??? ». Bref. Certains proposent qu’on impose la vaccination obligatoire pour tous et qu’on en parle plus, c’est plus simple et plus clair. Il aurait suffit de faire preuve de pédagogie. On ne parle jamais autant de pédagogie que depuis la Covid. Nos gouvernants manquent semble-t-il surtout de pédagogie. Mais pas trop parce que ça devient vite de la démagogie. Sans compter qu’il est fort difficile de faire de la pédagogie de nos jours, les profs le savent: à peine a-t-on commencé à expliquer quelque chose d’un peu nuancé que trois vidéos sur YouTube et 60.000 tweets ont asséné que le vaccin tue. Et puis franchement les documentalistes des médias font-ils preuve de pédagogie en illustrant le sujet uniquement avec les photos et des vidéos de piqûre en gros plan ?

Notre monde est étrange. Les anticapitalistes défendent la liberté de consommer des drogues (parce que le commerce de la drogue échappe par miracle aux règles du capitalisme) et comme le chante Spider Z (je pense aux jeunes) « t’as peur de prendre l’avion, t’as pas peur de prendre des drogues dures »; ils se méfient des corps constitués mais se fient aux étoiles Google. Ils ont peur d’être fliqués mais sont tous sur TikTok, Instagram, Facebook, Twitter etc. De l’autre côté de l’échiquier politique on considère qu’il n’y a plus de respect de la loi mais dès qu’une loi est préparée, on fout la merde partout pour la contester. Il y a aussi un petit (tout petit) reliquat d’antisémitisme parce que le Président a été banquier chez Rothschild (ces gens-là sont partout et derrière tout comme chacun sait), ce qui permet des analogies plus que dramatiques entre le refus du pass sanitaire et l’étoile jaune. Certains de nos amis islamistes n’aiment pas les vaccins non plus et on tue souvent des personnes faisant les vaccins au Pakistan (ce qu’apparemment nos compatriotes veulent réactiver avec leurs menaces et guillotines). D’autres en Afrique ont estimé que la Covid est une maladie « de blanc » et on a pu lire qu’il s’agit d’une « colonisation épidémique ». On n’est pas sortis des ronces, je vous le dis.

Ma première rencontre avec un antivax remonte à la fin des années 1990. Une amie (à qui j’ai pardonné depuis) m’avait recommandé un homéopathe du 13e arrondissement de Paris, pour qu’il trouve un autre traitement que la kiné respiratoire pour les bronchiolites de mon fiston. A peine me suis-je assise, qu’il me demande si j’ai accouché sous péridurale. Ben oui, quoi, t’as accouché toi ? (Pardon c’était juste en voix off). « Eh bien voilà » triompha-t-il. « C’est à cause de ça ! ». Bizarrement, il n’a pas remarqué mon œil mauvais (il avait dû avoir zéro à l’option psychologie). Il m’a demandé si « en plus » mon fils était vacciné. En plus. J’ai dit oui, les vaccins obligatoires. De plus en plus horrifié, il m’a proposé de faux certificats de vaccination. C’est la première fois que j’en entendais parler. C’est tout simple me dit-il, pourquoi n’y avez-vous pas pensé ? Mais bon sang mais c’est bien sûr. Pourquoi n’ai-je pas pensé à truander les autres pour après me plaindre de l’irrespect des lois ? Je lui dis que j’avais eu plein de vaccins sans problème, y compris hépatite B. Ce qu’il y a, répliqua-t-il, c’est que votre corps supporte toutes les saloperies. Je ne sais pas à quelles saloperies il pensait (quand on parle piqûre on n’est pas loin de la pénétration) mais en fait, non, je n’ai pas supporté celles qu’il me disait ni le bisou qu’il a tenté à la fin de la consultation, sans doute pour faire passer les granules.

Je ne suis pas trop contente de me souvenir de cet abruti à l’eau de javel (mais il était sans doute contre l’eau de javel). Un type opposé à la péridurale refuse peut-être les vaccins parce qu’au départ la variolisation, l’ancêtre des vaccins, est venue d’une femme, Lady Mary Wortley Montagu ? Peut-être la variole, ou petite vérole, lui paraissait-elle finalement préférable puisque certains en guérissaient (bon avec le visage grêlé, mais trêve de discrimination) ? Peut-être avait-il une dent contre les vaches ? (Le vaccin contre la variole qui est le premier des vaccins a été fabriqué à l’origine à partir de lésions cutanées de vaches-la toute première vache qui a permis à Edward Jenner de produire ce nouveau vaccin en 1796 était nommée Blossom et ses cornes sont visibles au musée Edward Jenner à Berkeley en Angleterre) ? Peut-être est-il contre Louis Pasteur qui n’était même pas un médecin ? Ou alors c’était un authentique libéral, puisque le mouvement antivax a un côté libéral et a pris de l’ampleur au moment où une loi anglaise de 1871 a prévu une sanction très lourde contre les parents qui ne vaccinent pas les enfants. En France, grâce à notre talent pour manifester, la loi sur la vaccination obligatoire de 1880 a été rejetée et cette vaccination ne sera réellement imposée qu’après la Seconde Guerre Mondiale, un moment où on n’était plus focalisé sur les vaccins.

Bref, sur le sujet je n’ai pas viré ma cuti : je suis toujours vaccinée contre les antivax. Que ceux de mes amis qui ne sont pas d’accord me pardonnent. Et je vais m’arrêter là car on va me dire que je suis vaccinée avec une aiguille à phono comme nous le commente avec brio l’ami des Mots Surannés.

Et pour ceux qui s’interrogent, un bel article sur les vaccins contre la Covid de quelqu’un qui n’est pas aussi vacciné que moi. Restons capables de nuance (et d’humour).


[1] « Je suis majeur et vacciné ; mes qualités physiques importent peu pour le moment. Ma position sociale est supérieure à celle du saltimbanque d’hier au soir ; et décidément, sa Vénitienne n’aura pas ma main. » — (Gérard de Nerval, « Nuits d’Octobre », dans les Œuvres complètes, tome 5 : Le rêve et la vie – Les filles du feu – La Bohème galante, Calmann Lévy éditeur, 1881, p. 356

8 réflexions sur “Vacciner

  1. ouah! alors là, bravo, votre texte est magnifique, je suis terriblement jaloux de ne pas être capable d’en faire un aussi bien, aussi plein d’humour et aussi documenté. Comme je suis heureux que vous soyez vaccinée! Et l’histoire du petit bisou, ça ne s’invente pas, c’est incroyable!

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  2. Chère Aline dont le « corps-supporte-toutes-les-saloperiries », Merci ! ça m’a bien fait rire et c’est tellement bien résumé, condensé. Quant au petit bisou, il me rappelle une main passée sous mon pullover par un dentiste examinant mes caries… si, si, c’est vrai, ça ne s’invente pas non plus !
    Une vaccinée à qui tous anticovid vient de signaler un contact variant D… trop contente d’être vaccinée!!

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