1992
vulve ensommeillée, languissante de toi
de toi dont elle vole la douceur,
vulve maternelle,
de toi qu’elle retient tout entier,
vulve d’amante,
de toi dont elle prend la mesure,
vulve de femme,
de toi dont elle vide l’absence,
vulve de patience
2022
lenteur de langue
solitude des doigts
main ronde, entière
glissée de latitude en latitude
je tourne autour d’elle
déclivité rampante
chuchotement de peau
joie onctueuse, pincement
le grain de l’attente dans un cri
J’aime l’érotisme du mot vulve, ici. Donné tout cru, anatomique.
Bref, j’aime l’érotisme des mots techniques.
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Merci chère Anouche ! Je suis très heureuse de ce que tu écris là. J’ai découvert d’ailleurs à cette occasion que ce mot rare en poésie, remplacé par d’autres mots, à été employé par une poétesse galloise médiévale, Gwerful Mechain (1460–1502), la seule dont on sait qu’une œuvre substantielle a survécu, connue pour sa poésie érotique, et notamment le poème « Cywyd y Cerdor », une « Ode à la vulve » (mot souvent traduit à tort par vagin) écrit en réponse à un Ode du pénis écrit par Dafydd ap Gwilym. Par ailleurs un des premiers poèmes erotiques connus, datant du XIIIe siècle, l’utilise aussi. Il s’agit de Der Rosendorn, dans lequel une vierge (junkfrouwe) se dispute avec sa vulve (fud), qui est anthropomorphisée, pour savoir si les hommes les aiment pour leur beauté ou leur sexualité. La femme est convaincue d’être aimée pour son apparence, sa vulve la contredit, affirmant que c’est l’organe sexuel qui est le plus désiré, car il procure le « vrai plaisir » aux hommes.
Elles décident de se séparer et de prouver une fois pour toutes laquelle d’entre elles a raison, mais elles se retrouvent finalement profondément malheureuses. La vierge et le vagin décident donc de ne redevenir qu’un, suggérant ainsi que la femme et son organe sexuel ne peuvent être heureux qu’en étant réunis. Jolie conclusion, non ?
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Ce poème emprunte à la composition musicale l’écriture contrapuntique, une technique qui consiste à faire jouer plusieurs voies distinctes en même temps, qui trouve son apothéose dans la musique baroque et de la Renaissance. Chaque voie (poème) jouée seule est belle, mais lorsque les deux voies sont interprétées (dans les deux acceptions du terme) ensemble, elles acquièrent une musicalité et une profondeur de sens supplémentaires.
Ici, le poème juxtapose deux belles mélodies érotiques (les deux versions du poème) qui se mêlent et se démêlent comme deux lianes autour d’une troisième voie jouée en creux, celle faisant référence à l’être désiré (cf. « de toi ») pour finalement revenir à leur état initial.
À la construction fuguée de poème de 1992 avec les anaphores « Vulve » et « De toi » qui impulse un rythme musical sensuel, lent et répétitif répond dans le deuxième poème un ostinato rythmique (allitération en « t ») et mélodique (assonance en « an »). L‘assonance et l’allitération aboutissant à un crescendo à partir de « pincement » jusqu’au « cri » final. Le « i », voyelle brève symbolisant la jouissance jubilatoire, une jouissance courte, puissante qui arrive presque par surprise (brièveté de la voyelle), mais qui reste suspendue (demi-cadence) symbolisant l’attente.
Le premier poème s’apparente à une antienne (dans le sens d’éloge) de la vulve qui transforme l’acte masturbatoire et le plaisir charnel décrits dans le second poème en une offrande à l’être désiré absent. Ainsi, la vulve sera successivement « maternelle », « amante », « femme » et pour finir « patiente ». C’est une façon de rendre présent l’être désiré (« vide l’absence », « retient tout entier », « vole la douceur ») en s’appropriant ce qui le définit.
En écho à « patiente » qui conclut le premier poème, on relève « grain de l’attente » dans le dernier vers du second poème. Contrairement aux précédents poèmes où elle était vécue douloureusement, ici, l’attente est indolente, participant à la suavité érotique du poème.
Dans le second poème, l’écriture synesthésique reliant le sens du toucher, du visuel et du goût contribue à rendre l’érotisme presque palpable. Cette sensorialité associée à une écriture cinématographique (effet de loupe et plans resserrés) concourt à réduire la distance avec le lecteur qui devient témoin/voyeur. Ce dernier suit la scène de l’exploration du corps de si près qu’il peut sentir la texture du grain de peau sous ses doigts. Le champ lexical du toucher donne à l’acte un caractère gourmand « joie onctueuse » « chuchotement de peau ».
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Merci chère et fidèle lectrice ! Ce regard sur notre travail et ces analyses sont très précieuses pour nous. Et nous redécouvrons ces textes avec vous, nous les découvrons presque !
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