Fleuve

1991

Efflorescence pourpre, brusque résurgence de l’idéale caresse

Retour de joies anciennes, ferveur rendue à l’océan de chairs

Fleuve détourné sans relâche, aux matins inaccessibles

Corps mariés sous le sable, sexes résignés à jouir violemment

2022

Attente résignée, chaque soir, après le matin ténu

Impatience d’un partage des peaux, au cœur du bocage cerné de futaies hautes

Violence silencieuse d’une volupté, dispersée sur les eaux indifférentes

Langueur au seuil du ravissement, vain espoir d’une floraison tardive

6 réflexions sur “Fleuve

  1. La lecture des poèmes de « Miroirs » est toujours stimulante, car le thème est abordé et traité différemment dans chaque poème. Un peu à la manière de Raymond Queneau avec son « exercices de style ».
    Dans ce texte La quasi-absence de traces d’énonciation ressort fortement. Ce procédé d’écriture déjà utilisé dans « Chanson » est ici complètement assumé et poussé à l’extrême. On cherche en vain un locuteur à la première, deuxième ou même troisième personne. Absence de pronoms personnels, de verbes conjugués. Les verbes sont présents sous forme de participe passé et ont une fonction d’adjectif. Ces procédés d’écriture sont à l’œuvre de la même manière et avec la même intensité dans chacune des versions du poème, et ce pour la première fois depuis le début de la publication des textes du recueil « Miroirs ». Comme si les auteurs avaient fusionné leur écriture poétique pour n’en former qu’une seule. Cette porosité stylistique et de forme donne une couleur singulière et une puissance évocatrice au poème « Fleuve ». Les deux poètes s’effacent pour mieux laisser s’exprimer l’intensité et la violence du discours. On a ainsi l’impression que l’écriture poétique devient sujet d’énonciation, s’autoproduit.
    L’absence de marque d’énonciation a également pour objectif de montrer la soumission du « je » aux désirs charnels. Le « moi » se dissout dans le corps à l’appétit insatiable (« ferveur rendue à l’océan de chairs »), prisonnier d’une jouissance vaine et toujours renouvelée. Ce mécanisme est renforcé par le champ lexical de l’élément liquide. La puissance du désir du corps submerge et annihile la volonté du « je » pensant. On relève significativement des marques de personnification du corps : « sexes résignés à jouir violemment », « les corps mariés »…Le corps devient sujet. L’absence d’ancrage temporel et de lieu souligne la dictature du désir charnel qui efface tous les repères temporels et de lieu. On relève bien « matin » et « soir », mais de quel matin et de quel soir s’agit-il ? Le soir et le matin se succèdent indifférents au temps historique, social et personnel. On est dans un jour sans commencement ni fin. Le corps vit au rythme de l’« attente résignée, chaque soir, après le matin ténu ». Le corps vit dans l’attente du soir pour assouvir son désir charnel dans le secret « du bocage cerné de futaies hautes » ou « sous “le sable” (draps ?) quand la maison est endormie.
    Dans le poème de 1991, le corps se souvient, il s’agit d’une réminiscence. Au détour d’une caresse, le corps réactive une passion charnelle ancienne enfouie dans sa mémoire de chair. L’utilisation du pluriel dans le dernier vers interroge. (“corps mariés” et sexes résignés.). Le corps revit-il une relation charnelle fantasmée ? Dans le second poème, on peut se demander si la réminiscence n’a pas replongé le corps dans cet ancien fantasme inscrit dans la mémoire de la chair. Un désir dans une attente éternelle, jamais comblé. “Impatience d’un partage des peaux”. La relation charnelle est condamnée à se réaliser dans le secret d’un songe d’une nuit. “Violence silencieuse d’une volupté, dispersée sur les eaux indifférentes”. Je pense aux paroles de Osez Joséphine de Bashung (encore lui) “Rien ne s’oppose à la nuit”. La concrétisation du désir “jouir” est à jamais inaccessible, avortée avant même d’être née. “Vain espoir d’une floraison tardive”

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