1993
Je demande au soleil de brûler ma peau
Comme je brûle de toi
Cris du plaisir – sonorité du spasme
Mémoire de la chair dans la chair
Rencontre sans parole et sans mot –
Je charge chaque ombre de nos corps
Comme la gravure de nos caresses sur l’azur
Ma peau diffracte la lumière des jours heureux
Là où se trouve mon cœur
Mon sexe est l’horizon du monde
2023
Je garde en moi les mots que perd ma mémoire
Ma voix brûlée d’azur consume les images
De ses vies discordantes à l’heure finale
Où des larmes de feu lèchent les chairs fragiles
De mes souvenirs – cris des suppliciés tournés
Vers le ciel – réclamant la dispersion de leurs
Cendres dans notre sang.
J’ai demandé au passé rongeant les jours
D’éteindre son baiser sur mes perceptions
Et de lever la peine de mon cœur
Jusqu’au nœud maternel du silence
Dans l’espace-temps de deux décennies, on aura creusé la fragilité jusqu’au rétrécissement de l’absence… tout nous y ramène, et on voudra s’y [ré]unifier. Merci, Aline, pour la matière à réflexions de cette mise en écho. Le poème de 2023 est magnifique.
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Merci beaucoup Vève ! La façon dont le temps est travaillé par la mémoire de l’amour est bien au centre de nos deux textes. L’absence peut rétrécir ou disparaître dans l’évocation de la mémoire de la chair, c’est l’espérance du poème de 1993, mais cette mémoire de la chair qui livre à la passion tourmente et rétrécit l’horizon, et le narrateur de 2023 aspire à la paix pour se libérer d’un manque destructeur. Aline et Philippe.
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Le mot « Azur » qui donne son titre au poème représente me semble-t-il le trait d’union qui le relie étroitement à « Insomnie », poème précédemment publié dans le recueil « Miroirs ». Ce poème explore et approfondit, dans une tonalité moins sombre, les thèmes du désir et de la souffrance, de la mémoire et du temps, du corps et du langage.
J’ vois la reprise en filigrane le mythe d’Icare, fils de Dédale, qui a trop vouloir côtoyer le soleil (premier texte) s’y brûla les ailes (deuxième texte) et chuta dans la mer qui aujourd’hui porte son nom.
Le premier texte est une adresse destinée à l’être aimé. Il exprime dans une tonalité flamboyante (« je demande »), le désir charnel, l’amour ardent. La narratrice utilise des images fortes en piochant dans un champ lexical de la chaleur, de l’intensité et des éléments naturels. Dans cette première partie, nous est décrit le désir d’ascension vers des sphères qui s’affranchissent des limites du corps et du langage. La mort qui définit l’horizon de l’homme est remplacée par le désir charnel : « mon sexe est l’horizon du monde ». La poétesse souhaite ni plus ni moins se libérer de sa temporalité bornée (finitude) grâce au désir charnel afin d’atteindre l’éternité. Les corps n’ont plus de matérialité et ne sont plus que « des ombres qui sont gravées dans l’azur ». Elle ira jusqu’à s’identifier à l’astre solaire (« ma peau diffracte la lumière des jours heureux »).
Cette passion brûlante, cette recherche de l’extase et même cette volonté de fusion avec les éléments ne sont en définitive qu’une quête de l’amour idéal chère aux troubadours, mais sans en épouser les codes.
Mais cet élan vers un amour idéalisé et par là universel va être suivi d’une chute (métaphorique) brutale dans la deuxième partie du poème.
Le texte de 2023 explore la perte, la mémoire et la douleur qui en découle. Les mots inutiles dans la première partie du poème ne sont d’aucun secours pour ranimer les souvenirs brûlés de la mémoire du corps.
On peut interpréter le poème comme exprimant une double souffrance: la douleur de la perte des désirs charnels passés et la souffrance causée par le souvenir de cette perte. Cette interprétation met en évidence la complexité émotionnelle du poème. En demandant au passé « d’éteindre son baiser sur (m) es perceptions et de lever la peine de mon cœur jusqu’au nœud maternel du silence », l’auteur souhaite se libérer de son emprise et retrouver un état de calme et de sérénité. Il est également possible d’interpréter « le nœud maternel du silence » comme un désir de retourner dans la matrice originelle et ainsi retrouver une forme de virginité pour écrire son histoire sur une page blanche du passé. (J’imagine que les psychanalystes ne seront pas d’accord sur ce dernier point).
Ainsi, les deux parties s’opposent et se complètent créant un contraste entre l’intensité de l’amour vécu et la douleur de la perte des souvenirs gravés dans la mémoire du corps. Bien que le poème ne fasse pas explicitement référence au mythe d’Icare, il présente des éléments symboliques et thématiques qui peuvent être reliés au mythe. Icare incarne en quelque sorte le désir de s’affranchir du corps source de plaisir et de jouissance et d’atteindre l’amour idéal.
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Merci chère lectrice de votre présence à nos côtés depuis le début de ces publications. Certains aspects de vos analyses sont toujours une surprise qui démontrent, une fois de plus, que le poème échappe à son auteur (encore plus à ses auteurs quand ils sont deux ?) pour appartenir à chaque lecteur, qui y lit ce que peut-être les auteurs n’ont pas cru y mettre. Azur s’inscrit bien dans une tonalité plus sombre que la plupart des textes, et moins que le précédent. Nous avons travaillé le thème différemment, afin que le ciel de la narratrice de 1993 soit solaire, et celui du narrateur de 2023 crépusculaire. Alors oui, il y a sans doute Icare en 1993, et Dédale en 2023, un Icare heureux de sa future chute, et un Dédale qui en réclame le terme. Azur serait un appel à la disparition? Aline et Philippe.
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