La nuit perd ses ailes
sans toi
haridelle de grès
nues de poix.
Les épaules et la gorge
sous les draps
le jour coule doucement
sur toi.
La joie existe en soi
dis-tu
la joie n’existe pas
sans toi.
Sans toi
une pluie acide
tombe de la nuit
-Elle bat dans mon cœur.
Sous ta peau
une pointe de flèche
-l’ancienne joie,
inversée.
Les images du couchant
sont de cendres
– j’ai titubé
dans tes phrases.
Dense, riche d’images, amour profond.
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Merci chère Joëlle pour ce beau commentaire ! Très touchés
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magnifique je partage
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Merci !
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Quelle photo …
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Merci ! On ne pourrait pas faire la même aujourd’hui. Le bâtiment en ruine a disparu et le gave a changé…
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Ce poème à quatre mains d’une beauté saisissante parle de la perte irrémédiable de l’être aimé. La régularité et la similitude de la structure des deux parties du poème symbolisent le lien entre les deux amants malgré leur séparation. En outre, l’utilisation du motif « sans toi » qui conclut le premier texte et commence le second texte renforce la liaison entre les deux poèmes. Cet artifice crée l’apparence d’un dialogue continu entre les deux amants pourtant séparés par la distance ou la mort. L’alternance entre le « toi » et le « je » enrichit l’effet de dialogue entre les deux poètes en établissant une adresse directe à l’autre. Le motif « sans toi » présent dans les deux poèmes sous-entend un langage commun et une compréhension qui semble transcender la séparation physique.
Dans le premier poème, l’idée de la nuit perdant ses ailes pourrait représenter la chute d’un papillon ou la mort : l’amant ne peut plus s’élever et atteindre les étoiles. Le ciel, sombre et lourd, sans les étoiles cachées par les « nues de poix », suggère un horizon bas et fermé, où il n’y a plus rien à désirer. Dans le second poème, les éléments naturels expriment des émotions proches de celles du premier poème, la nuit est tout aussi sombre et la pluie acide qui tombe est celle des larmes d’amertume, les « cendres » traduit le sentiment de souffrance qui colore de désespoir la nature. Tout se réduit à la grisaille, à la tristesse et à l’uniformité. La réalité apparait comme brouillée par la perte, et il voit le monde comme à travers une vitre, distancié et détaché. Le manque (désir, joie) et sa souffrance sont au centre de ses préoccupations, ce qui explique cette perception altérée de la réalité (cf. « le monde sidéré » in Fragments d’un discours amoureux, dans lequel Barthes aborde les notions d’irréalité et de déréalité.)
Le poème peut également être vu comme une réflexion sur la nature de la joie. La joie y est synonyme de désir. Dans la dernière strophe du premier texte le narrateur aborde la question frontalement : « la joie existe en soi dis-tu/la joie n’existe pas sans toi ». Le moteur de sa vie, celui qui le faisait avancer, persévérer dans son être, c’était le désir de l’autre. L’amant disparu, le narrateur n’a plus la force de vivre et reste enlisé dans un présent qui dure. Dans le second texte, le désir est symbolisé par une flèche. Elle est censée provoquer l’amour entre deux personnes, mais dans ce poème elle est « inversée ». Cela suggère que l’amour s’est transformé en une force destructrice, cause de souffrance. Cette flèche n’est pas celle d’Éros, dieu de l’amour, mais celle de Pothos, qui représente le désir pour l’être absent. C’est comme si le narrateur était enfermé dans le passé, un passé indépassable comme le souligne le dernier vers : « j’ai titubé dans tes phrases. »
Ainsi, les deux amants se trouvent captifs de temps distincts. Le premier est coincé dans un présent immobile, tandis que le second est enchaîné à un passé dont il ne peut se libérer. Malgré tout, ils partagent une tristesse et une douleur immenses face à la perte de l’autre ; seule la poésie leur permet de s’affranchir de ces temporalités différentes et finalement de se retrouver.
André Comte-Sponville : « L’éternité, c’est quand tout s’arrête et que le présent continue »
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Merci chère lectrice pour votre commentaire et votre belle analyse de ce double texte que nous avons en effet construit comme un dialogue sur la perte de l’amour. Et merci pour cette belle citation d’André Comte-Sponville ! Et pour cette belle référence à Pothos…
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