La pluie tombe des nuits entières sur les tuiles, elle a le battement irrégulier de la douleur.
Ces larmes longtemps contenues vont dégager un ciel neuf – voilà l’espérance.
Et pourtant elle frappe les touches du piano, valse des souvenirs sur les quais humides – noirs et blancs – elle contourne les vents changeants, elle est l’orage du plaisir, elle étreint les mensonges du passé et fait son tempo de la joie.
Notre cœur s’y affole.
Le choix du mot « Battements » comme titre souligne l’importance du rythme et de la pulsation dans le poème. De fait, le texte s’apparente à une partition musicale qui s’écrirait en direct comme dans le film « Amadeus » de Milos Forman où l’on voit Mozart, trop faible et malade, dicter à Salieri les différentes parties et voix du Requiem. L’auteur commence par installer le décor (les basses, instruments et voix dans une œuvre musicale), le battement grave et sourd de la pluie sur les tuiles qui, par un procédé de synesthésie, se transforme en un rythme lancinant et obsédant qui installe dans une atmosphère de profonde mélancolie, propice à la remontée des souvenirs douloureux (Cf ; l’allitération en « t » de la première phrase). Le caractère erratique, « irrégulier » du rythme de la pluie traduit ce qui est brisé, endommagé créant presque une dissonance dans l’esprit. La pluie se transforme insensiblement en larmes, en même temps que l’auteur accepte de libérer les émotions retenues avec l’espérance que ces larmes (comme la pluie efface les traces de pas par exemple) balayeront la douleur et les souvenirs tristes. La phrase suivante commence par « Et pourtant » introduisant ainsi une contradiction, une voix qui vient en contrepoint de l’affirmation précédente. Le piano symbolise l’acte d’écrire. Le clavier d’ordinateur permet de raviver le passé et les touches frappées produisent une musique semblable à une valse nostalgique. Les touches noires et blanches sont une image qui traduit à la fois les bons et les mauvais souvenirs et la rétrospection. L’auteur réécrit son histoire, et cherche obstinément et fébrilement comme le suggère le rythme ternaire de la valse les fausses notes qui l’ont fait trébucher (« elle contourne les vents changeants », « elle étreint les mensonges du passé ».) Puis il perd le contrôle du rythme, emporté par « l’orage du plaisir ». Le tempo s’est brutalement accéléré pour atteindre une forme de transe symbolisée par « la joie » qui lui permet de revivre les moments heureux qu’il partageait à l’unisson avec l’être aimé ; il a atteint la lux aeterna, dernier mouvement du requiem de Mozart (« notre cœur s’y affole »). L’écriture est aussi présentée comme un pharmakôn. Dire le chagrin, la souffrance, le désespoir, le regret, la mort, la rupture, c’est revivre avec la même intensité des sentiments, mais aussi mettre à distance ce qui fait mal. L’écriture permet de se décharger du poids de l’absence ou de la souffrance tout en inscrivant l’être aimé, l’absent dans un présent perpétuel.
Ce poème est intrinsèquement lié aux textes « Personnes » et « Nervosité » et ensemble, ils constituent une exploration approfondie du rôle de l’écriture dans la production de la mémoire et des souvenirs. Écrire c’est comme re-créer l’histoire de son passé ou d’une relation amoureuse, faire vivre l’être aimé, avec la même force, la même intensité émotionnelle (performativité de l’écriture). L’acte d’écrire inscrit l’être aimé, le souvenir d’une relation amoureuse dans un présent perpétuellement renouvelé. « Ce qui est nommé reste en vie » (Claire Fercak). Écrire est une façon de tromper la réalité revivre éternellement quelque chose comme si c’était la première fois.
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Merci chère lectrice pour cette fine et précise analyse. « Ce qui est nommé reste en vie », voilà qui touche au cœur tant du poète que de l’historien
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