Éboulement

A propos de « L’éboulement du temps » de Matthieu Lorin, éditions Aux cailloux des chemins.

Ce très beau recueil se lit d’une traite, comme un récit (on notera d’ailleurs qu’il a un peu souffert dans le sac et le RER). Il parcourt la naissance et la jeunesse de l’auteur, alternant les textes en « je » où Matthieu écrit, et semble nous écrire, tant ce livre est un dialogue avec le lecteur, et des textes en « tu » , en italiques, où un autre observe l’auteur, souvent, croit-on deviner, une mère, un frère. De la naissance au jeune adulte, nous parcourons une vie.


Matthieu Lorin écrit des poèmes en prose, courts, de deux à trois paragraphes (rarement quatre). Il met « sur la même ligne de mire corps, souvenirs et monde concret » comme il le dit dans l’entretien mis en ligne sur le site de son éditeur. Il y a en effet une ligne tendue, permanente dans chaque texte et d’un texte à l’autre. L’auteur nous entraîne dans sa vision d’une enfance et d’une adolescence, intime, douloureuse, parsemée des « éboulements » du titre, jusqu’à la naissance de son propre fils, et un peu au delà. La ligne est aussi tendue d’un mot à l’autre, d’une image à l’autre, créant un effet de surprise et transmettant au lecteur toute la violence mêlée à la douceur et au mystère de l’enfance.


Quelques extraits:


« J’apprends en percutant le monde. Je le jetterais volontiers au feu mais je n’ai déjà plus le droit de m’en approcher.
Il n’est qu’éboulement : seules les pies et les mères connaissent le prix de l’or de toute façon.
Et puis les odeurs, celle des herbes sèches ou du bain, celle de la défaite parfois aussi… »

« Bientôt, l’enfance ne sera plus qu’un estran où gisent des objets abandonné. La suite exige des espaces plus grands et des livres en feu.
C’est pourquoi mes mains restent dans les poches lorsque les souvenirs s’éboulent les uns après les autres.

Je n’ai pas le dixième d’un siècle et il faut déjà me comporter comme une croix de granit.»


Un dernier extrait pour le dialogue (ou les deux monologues) de l’enfant et de la mère :


« Je retrouve dans les plis de ma mémoire des ballons passant par-dessus des clôtures, un lycée aux allures de divagation, mon courage en fer blanc, des verres sur une table en formica, le sourire espiègle d’un grand-père et le visage encore sans rides de ma mère.
Plus tard, tout explosera et rien ou presque ne sera sauvé, comme lors des grandes gelées : table au sous-sol, bercé par le bruit des xylophages et des souvenirs accumulés, verres brisés, ballon arraché par le chien.


Et le visage de maman, replié dans une constellation de doutes. »

« Tu n’étais peut-être pas mon préféré mais tu avais avec toi cette volonté de n’être rien, de ne pas vouloir faire plier le regard des autres.
Je me souviens de cette table et des coups de crayon que nous y portions. On inscrivait dessus le résultat de parties de cartes. Parfois, tu te laissais aller à quelques arabesques sans signification. Et puis, tu effaçais tout, toi compris.
Tu habitais une armée qui repoussait les malheurs, les poux, les batailles, l’avenir joué aux dés.
Mais cela, tu l’as également gommé.
»

Matthieu Lorin dirige la revue et les éditions La page blanche.

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