Notes sur les spectacles Divan Double

L’ensemble Les Sauvages lors de la représentation du Divan Double en janvier 2025. De gauche à droite Jean-Luc Bresson, Jérôme Joubert, Bénédicte Bezault, Michel Viktorovitch, Pierre Sliosberg. Photographie de Patrick Hadjadj

Le recueil Le Divan Double, publié par les éditions Unicité en juin 2024 dans la collection Chantelangue & Compagnie dirigée par Laurent Desvoux-Dyrek, est devenu un spectacle musical. Après une première représentation en janvier 2025 à Paris, il va être renouvelé et joué à Belle-Île-en-Mer pour le festival Les moments musicaux. Les répétitions ont recommencé. L’occasion de s’interroger…

A quoi servent les auteurs des poèmes lors d’une répétition ? C’est la question que nous nous posons à chacune d’elle, devant les musiciens, l’interprète, la récitante, et surtout « aux côtés » du « directeur musical », c’est-à-dire la personne à l’origine du projet musical, et qui, par le choix des partitions, des affects qui colorent (il est plus juste de dire recolorent) les vers tirés du recueil, régit et compose le spectacle. Cette question n’est pas rhétorique. Elle reflète une véritable interrogation. Quelle est notre place ? Quel est notre rôle ? Au-delà, quels sont les rôles de chacun dans la conception du spectacle ?

D’abord, de notre strapontin (métaphoriquement l’endroit que nous aurions choisi pour écouter chacun), en retrait du « directeur », nous attendons le moment de notre intervention.

Lorsque la récitante parle sur la musique, le directeur vérifie que phrasé et rythme soient calés sur les notes : c’est sa prérogative, il a arrangé leur rencontre, là où musique et voix (hors chant) pouvaient se combiner. Il a compris et interprété l’intention des auteurs, il a une idée précise de l’intonation qui en renforcera l’émotion.

Parfois, d’un regard en biais, vaguement inquiet, il interroge l’un des auteurs. L’intention du texte lui échappe. L’un de nous (selon le texte) sort de l’ombre, improvise une réponse en mobilisant l’émotion qui présidât à la rédaction d’un vers, tente avec quelques images d’affermir l’interprétation. Rôle ingrat mais nécessaire, où il faut colmater une brèche avant que le doute ne s’infiltre comme un filet d’eau dans les yeux de la récitante. Plus tard, cet instant reviendra en mémoire. Que ne pouvons-nous, nous-aussi, d’un regard ou d’un filet de voix, transmettre le sentiment juste à celle qui prête ses lèvres au poème ?

Aline Angoustures, photographie de Patrick Hadjadj

Parfois l’un des auteurs, Aline, rêve d’une conversation hors répétition avec la récitante, de lui conter ce très long voyage ponctué des premiers textes, le chemin de sa voix qui lui a été ainsi offert. Parfois, l’un des auteurs, Philippe, rêve d’un dédoublement, d’une récitante qui serait chanteuse, d’une chanteuse qui serait interprète, deux personnes sur scène, se regardant jouer l’une et l’autre, vivre l’émotion, le dédoublement (puisqu’il s’agit du thème du divan double), de celle qui aime et a aimé. Ainsi, la répétition devient retour, souvenir du moment de l’écriture, don d’une émotion.

Informations pratiques : festival Les Moments musicaux de Belle-Île-en-Mer, avec Stefan Cassar, Le Palais, Chapelle Saint Sébastien 45 avenue Carnot, 19 aout 2025 puis au Patronage laïque Jules Vallès, Paris XVe, 16 janvier 2026.

Nuit

Saul Leiter, Le sommeil, vers 1955.

Quand le jour se fait nuit, buisson pourpre des veines
Le cœur déborde les alexandrins
L’ictus bat la mesure, efface la mémoire
Et l’horloge qui toujours écrit le même mot
S’arrête à ce point
Après la turgescence
La ligne d’étoiles, ponctuation du silence

Bientôt la nuit, bientôt la nuit et ton odeur
Notre dernière lueur

Ce que les lecteurs nous disent: échos, impressions et confidences autour du Divan double

Mai 2025

« Le divan double » m’accompagne partout. Il est devenu, depuis sa découverte récente, mon livre de larmes et de joies. Aussi voulais je simplement vous remercier de m’avoir précédé sur mon chemin amoureux et poétique, et, par vos mots, d’être une source où me rafraîchir et me régénérer dans ma marche. Merci. Christian

Novembre 2024

Cette envie d’écriture à quatre mains est toujours présente et a été récemment ravivée par la lecture d’un superbe recueil de poésie paru aux Editions Unicité de François Mocaer dans la collection Chantelangue & Compagnie dirigée par Laurent Desvoux-D’Yrek. Il s’agit d’un échange de suc érotique entre Aline Angoustures et Philippe Moron, intitulé Le divan double. En introduction de leur ouvrage commun on peut lire cette citation de Roland Barthes :  » Le langage est une peau : je frotte mon langage contre l’autre. C’est comme si j’avais des mots en guise de doigts, ou des doigts au bout de mes mots « . Anne Vassivière. It takes two to tango

Septembre 2024

Ce recueil érotique à quatre mains est si beau qu’il est difficile de commenter et même de sélectionner des textes. Chaque vers est à peser. Tout est chaleur et sensualité. Nous sommes en pleine passion amoureuse. C’est la danse du désir mais aussi la passion de l’écriture. Citons, comme dans la préface, Roberto Juarroz : tout amour est le premier », et nous serons dans la vérité de cet ouvrage. France Burghelle Rey

A découvrir ! L’intensité mise en mots par Aline Angoustures et Philippe Moron. Delphine Burnod.

Vous aimez la poésie érotique, courtoise, écrite à quatre mains ? Lisez Le divan double d’Aline Angoustures et Philippe Moron…Les deux premiers poèmes (reproduits) sont écrits par Aline Angoustures. Le deuxième (Blanche) qui évoque l’absence et l’attente a la forme d’un sablier ! Les suivants sont des poèmes en miroir: dans le premier extrait la réponse est différée (poème de 1998, réponse en 2023), dans le deuxième extrait, les poèmes sont écrits dans la même temporalité. Laurence Fritsch

Juillet 2024

Respectivement historienne de formation et ingénieur électro-acoustique, Aline Angoustures et Philippe Moron ont croisé la plume à travers un volume sensible et sensuel, sans vulgarité aucune. Étienne Ruhaud pour Actualitté.

Poussière

Photo : Mehmet Turgut publiée sur Deviantart et https://danselabstractiondelavie.blogspot.com/

Le doigt de ma mère sur la table vernie dessine une traînée brillante dans la poussière. Elle va bientôt la faire disparaitre ; la poussière l’effare, elle révèle ses défaillances, cette incompétence qui la poursuit sans pitié. 

Je la regarde travailler, je l’aide un peu, puis je m’arrête ; je regarde les rayons du soleil où la poussière demeure en suspens, scintillante, tournoyante. La poussière révèle le soleil, elle est la dernière lueur du jour, elle est la lumière chaude des lampes la nuit, quand ses paillettes d’or montent et descendent sous les abat-jours. Je la recueille entre les pages d’un grand livre, là où vivent les fées, celles qui gardent la poussière des lutins. Les fées sont des mères, elles incarnent la destinée dont elles empruntent le nom, elles seules peuvent la changer. J’attends longtemps leur venue.

Sur cette vieille photographie, un peu orangée désormais, je me tiens droite devant l’objectif, vêtue d’une longue robe bleu pâle, bordée de fourrure blanche. J’ai sur la tête un bonnet pointu et à la main une baguette magique que couronne une étoile, tous dorés. D’un grand mouvement de main je m’essaie à nous faire entrer dans un conte qui finirait bien.

Cette étoile, je la cherche toujours dans le firmament, perdue entre voie lactée, constellations et comètes. La ligne droite d’un avion traverse le silence et me rappelle cette trace de doigt, cette trace de notre passage sur la poussière du temps.

Ma mère a lutté toute sa vie contre la moindre trace de poussière. Lorsque ce combat lui a paru inégal, elle est morte. Elle voulait être réduite en cendres et dispersée. Voulait elle être, enfin, la poussière féérique qui danse dans l’univers et non la femme qui, entre quatre murs, la traque ?

Nos pas

Nos pas disparaissent à l’aplomb de notre ombre, ils se prolongent sous les feuilles dans un espace de mots en partance

Sous mes doigts, l’écorce de tes errances; elle écorche ma main qui s’abandonne, j’ai la peau douce comme l’eau

Travelling, la marche n’accompagne plus les mots d’amour, une mélodie prend leur place, pulsation d’un cœur à la recherche de ce qu’était le cœur, métronome de tes pas en moi

Marcher

Je sens le tourbillon du vide se reformer dans les creux de mon corps. J’évacue les vibrations molles des paroles des rues. Mes pas sont des pensées usées – les noms propres sont tenus à la distance d’une langue inconnue. Maladie ou repos, je ne décide pas le terme de la vacance. Je subis le jeûne de mon esprit avec angoisse.

Jeûner sous le regard étrange de l’instant – herse froide qui rappelle les heures fermées, l’attente d’un geste, d’une pensée, d’une éclosion intime, d’un mot d’amour.
Jeuner pour se rappeler les émotions nues, abandonner les masses fauves : le délire quotidien n’est pas incolore, il palpite de milles vies perdues.

Et marcher jusqu’à la dispersion (de soi).

À chaque pas son parfum, sa mélodie : les bruits sont des conversations entre fantômes, les sons des mensonges habillés de raison.

Feu

Là-haut, près de la fenêtre, les branches du faux-acacia tordues comme des torches dans l’air du soir. Une ombre s’élève en torsades laineuses vers les oiseaux qu’elle affole. Des images se dédoublent, aplaties dans l’âme du temps en feu. Ce n’est pas la fumée qui fait pleurer les yeux, mais la chaleur qui monte par bouffées incohérentes.

Flamber, encore, sans détruire le visage, se consumer à l’intérieur en laissant son cœur froid comme la cendre. Bientôt l’arbre roux retrouvera la tourbe du jardin : si le ciel devient bleu, je regarderai le monde chuter ; je foulerai la terre de mes pieds nus si la forêt, en moi, pousse.

Nos corps, eux, se passent de mémoire. Ils savent, dans le noir, marcher dans le présent.

Jaune

Cobalt le pas et l’instant, la distance entre nous abolie, l’arborescence du ciel que j’embrasse quand je m’adosse à toi

Jaune d’or l’odeur qui ressuscite, étamine de joie entre mes mains, feuilles de pluie sur mes seins

Indigo le timbre qui vibre entre nous, réfraction de l’ivresse, écho des nuits que nous avons vaincues

Blonde la lumière salée couchée sur la peau des amants endormis l’un à l’autre

Pas de porte

Dans l’arbre se mesure la maison, j’y cueille le silence, mots absents, feuilles noircies avant tout printemps

Le pas de la morte est resté devant, figé dans une ancienne boue, trace décomposée d’une violence

J’ai conservé des chapelets de perles bleues, ils psalmodient le ciel de l’espérance

Un souvenir est perché sur le toit, le hululement de la nuit nous attend.