Dans ce poème épistolaire Guillaume Apollinaire évoque la Grande guerre en alexandrins. Le vers le plus connu « J’ai tant aimé les Arts que je suis artilleur », est souvent cité pour montrer le poète fidèle à son sens des calembours et des jeux de mots.
Mais, au-delà de l’humour, le poète est précis lorsqu’il écrit que «L’artillerie est l’art de mesurer les angles» et «L’art du canon est l’art de tout bien mesurer/Avec l’astronomie on le peut comparer» car il est vrai que l’artillerie est affaire d’angles et de mathématiques, au point que les officiers artilleurs sont traditionnellement des Polytechniciens.
Tous les textes d’Apollinaire sur la guerre traduisent avec force une double vision, à la fois guerrière et poétique, dans une unique formulation. L’artillerie qui fut au centre de cette guerre, et de son texte, est donc ici présente avec les nuits froides, l’immensité, la souffrance, la mort des hommes et surtout les liens entre eux, l’essentiel aux yeux du poète: « Le reste est dans la joie et la vertu des hommes ».
Entré dans la guerre avec conviction, décidé à bouter les «Boches» hors de France Apollinaire a combattu tout en aimant la verve antimilitariste et versifiant sur les mœurs des bidasses en singeant le comique troupier. Il écrivait sans cesse, des poèmes mais aussi des acrostiches pour les bonnes amies des jeunes soldats qui apprécient la gouaille de Kostro l’exquis ou Cointreau-Whisky, deux de ses surnoms.
Mon cher André Dupont merci de votre carte
Votre douce tartine est mère de ma tarte¹
J’ai tant aimé les Arts que je suis artilleur
Il a bien fait mauvais aujourd’hui c’est meilleur
J’ai sur un grand cheval fait six heures de route
Genoux en sang mais que voulez-vous que ça foute
Tant d’hommes sur le front meurent en ce moment
Que c’est un vrai plaisir de saigner seulement
L’artillerie est l’art de mesurer les angles
Et l’équitation de bien serrer les sangles
L’art du canon est l’art de tout bien mesurer
Avec l’astronomie on le peut comparer
Voilà tout le secret de la guerre où nous sommes
Le reste est dans la joie et la vertu des hommes
Je pense à tout cela sur la route en mon fort
Mon cher André Dupont je vous embrasse fort
Il vente il fait un froid de loup la nuit est claire
Écrivez-moi souvent Guillaume Apollinaire
Guillaume Apollinaire, Poèmes épistolaires (1915)
ed. Gallimard
Le 5 août 1914, deux jours après la déclaration de guerre de l’Allemagne à la France, Apollinaire est enthousiaste. Il dépose au bureau de la revue Les Marches de l’Est une demande de recrutement et un dossier de naturalisation, alors que ses origines russes et polonaises ne le destinaient pas à combattre. Avec Cendrars le Suisse et Canido l’Italien, il a lancé, le 2 août 1914, un « appel aux étrangers vivant en France » commençant par ces mots : « L’heure est grave. Tout homme digne de ce nom doit aujourd’hui agir […]. Toute hésitation serait un crime. »
Fin novembre, il est affecté comme canonnier-conducteur au 38e Régiment d’artillerie de campagne de Nîmes. Le 9 mars 1916, Apollinaire est naturalisé par décret. Le 17, il est blessé. Ainsi que l’écrit Colette Becker : «L’homme sans père et sans nationalité, Apollinaire, ne quittera plus jamais la guerre et l’uniforme français». Après sa convalescence, le poète n’est pas démobilisé et conserve son habit militaire, orné des galons de sous-lieutenant et de la Croix de guerre. Il meurt en novembre de la grippe Espagnole. Il est inscrit au Panthéon sous l’appellation «Poète mort pour la France».
Sources :
Annette Becker, Guillaume Apollinaire. Une biographie de guerre 1914-1918, Paris, Tallandier, 2009. 262, La Grande Guerre d’Apollinaire. Un poète combattant, 2014. Tallandier, Texto, 2014, 272 p.
Laurence Campa Guillaume Apollinaire, édition illustrée de photographies, Gallimard, juin 2013
Photographie: Le 2 août 1914, Apollinaire et son ami André Rouveyre se dirigent ensemble vers les bureaux du journal Comoedia lorsqu’ils aperçoivent la cabane d’un photographe. Pénétrant “dans une sorte de guérite en planches recouvertes moitié cartonnage argenté, moitié zinc” avec un fond “en tôle ondulée où nous avions à peine la place de bouger” ils font exécuter cette série de photographies improvisées. http://www.librairiedescarres.com/fr/livre/37174/apollinaire-filme-en-1914-reproduction-des-50-images-en-reconstitution-de-la-petite-machine-animee?PHPSESSID=ffcec8ab7550bef51fd45ea88ca067ed
¹La tarte est un béret militaire
poème prégnant nous donnant l’impression d’être en tête à tête avec Apollinaire , de l’écouter « en direct » ..des vers ciselés traduisant une vision réaliste de sa situation dans un contexte d’horreur
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