Tous les matins j’hésite entre le longo et le ristreto, entre le Colombie doux et suave et l’Éthiopie aromatique, entre l’équitable et les hauts plateaux, entre le boisé, le fumé, le
corsé, le citronné. Je cherche parfois en vain si c’est du pur arabica ou s’il y a du robusta. Cette mention est en tout petit dans un coin. On a perdu le code couleur rouge-noir. Il y a du noir partout (le café c’est chic) et des couleurs raffinées en volutes.
Quand j’étais une petite fille avec des couettes, ce n’était pas si difficile de choisir. Ma grand-mère, par exemple, me trouvait très sure de mes choix ( elle se souvenait du jour où elle m’avait demandé si je voulais des bonbons ou des chocolats, et de ma réponse pleine d’aplomb « moi je n’aime que le chocolat ! »). Il était presque aussi simple de choisir ce qu’on écrirait sur la liste du père Noel, ou ce qu’on voudrait faire plus tard (danseuse étoile, garde forestier, écrivain, archéologue successivement voire en même temps).
Les adultes me semblaient confrontés à des choix difficiles. C’était ça, être grand. Mon père se demandait s’il devait accepter ce nouveau job ou réclamer une augmentation à son chef. Dans ces cas-là, il tournait dans sa tête pendant des heures. Ma mère hésitait mille fois sur le plat qu’elle allait faire pour un diner important et peinait à choisir les menus quotidiens. Manger tous les jours impose des choix permanents. Mes grands-parents semblaient ne plus choisir. Je les entendais formuler des regrets (« j’aurais dû être bibliothécaire » ; « j’aurais dû épouser un homme plus beau »). Ils regardaient en arrière, pensais-je alors, car devant eux la route était désormais toute droite et tracée, tandis que mes parents avaient encore tous les croisements, les branchements, les flèches. Moi, j’étais avant la route. Je la regardais de loin.
Ce qui est bizarre avec les choix c’est que l’on en a trop sur les petites choses et pas assez sur les grandes. Pour les petites, on est même obligé de recourir à des guides de choix. Comment choisir sa voiture, son portable, ses lessives ? Aider à choisir est devenu un métier. Les rayonnages de supermarché sont immenses et on ne sait plus où donner de la tête ni combien on paye au gramme ou au kilo. On cherche les repères (mais ils changent sans cesse, par exemple je ne retrouve jamais le nom du rouge à lèvres qui m’allait si bien, ils ont changé la gamme), les vins primés à Mâcon (à scruter, car ils rajoutent des petites pastilles juste pour dire « vendangé à la main » ou « mis en bouteille au château »), les promos (plus faciles à trouver), les actualités (ça c’est la flemme, plus besoin de chercher, tout ce qui est vieux cesse d’exister). Bref. Tout plutôt que devoir choisir dans tout ce magma.
Pour les grandes c’est plus restreint. Si, jeune fille, on s’imagine choisir entre plein de prétendants, ce n’est pas exactement comme ça que ça se passe. C’est d’ailleurs quand on est seule qu’on n’en trouve pas et quand on ne l’est plus qu’on en croise plein. Pareil quand se dit qu’on choisira de faire l’amour quand on en aura envie. On ne choisit pas de désirer. Le moment est souvent inadéquat puisque nos vies sont pleines comme des œufs. Et on est deux. Ça fait deux désirs et deux choix à combiner, ce qui nous apprend beaucoup finalement.
Ma génération a pu choisir sa maternité et c’est un sacré changement. Si j’écris « choisir » aujourd’hui sur google il me propose d’abord « sa contraception ». La grande crainte dont nous avons hérité était que les hommes nous abandonnent enceintes. Maintenant on peut se faire faire un enfant par un homme sans le lui dire et l’obliger à assumer grâce à l’ADN. Bientôt on n’aura plus besoin de la femme non plus parait-il. On n’arrête pas le progrès.
Quand il s’agit de choisir son métier le goulot d’étranglement est bien serré et on prend ce qu’on trouve. Même avec APB, qui, comme toutes les applis monstrueuses avec ses cases obligatoires et ses ordres à pondérer, vous donne envie de tout envoyer balader et vous oblige à ouvrir plusieurs onglets de forum en même temps. Après, on passe toute sa carrière à tenter de revenir à ce qu’on avait rêvé enfant. Par exemple, avec ce blog je me retrouve un peu écrivain. Quarante ans plus tard.
Dilemme quand tu nous tiens …choisissons nous vraiment où sommes nous choisis.?.bien aimé cette différence entre le ressenti de l’enfant et des adultes qui ne savent plus choisir… peut-être parce qu’ils savent que ce n’est pas facile et réfléchissent trop ..et puis quand le désir et l’amour entrent en jeu , tout se complique
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