Croire était une évidence quand j’étais petite fille. Croire en le père Noël qui volait avec ses rennes et dont on ne voyait pas encore de clones suspects dans les grands magasins. Croire en la petite souris qui était bien la seule à ne pas nous faire crier . Et surtout en Dieu. Dieu avait une maison dotée d’un clocher juste à côté de celle de mes grands-parents. Nous y passions les matinées du dimanche, avant d’aller acheter un bon gâteau. Sa cloche ponctuait et ponctue toujours les demi-heures. A l’intérieur cela sentait l’encens et le bois ciré. Dieu avait une grande barbe blanche et un fils, mort pour nous sur la croix, dont la mère était vierge.
Ce monde des mystères était paisible après quelques luttes épiques dont je suis, avec beaucoup d’autres, héritière. La génération de mes arrières grands parents était composée exclusivement d’une ligne de front d’instituteurs défenseurs de l’école publique qui accumulaient les coupures de presse sur les curés impliqués dans tous les scandales possibles. A cette époque, dans l’église, le curé disait : « les enfants de Dieu à droite, les enfants du diable à gauche » et mes ancêtres se rangeaient au côté des enfants du diable (qu’ils accompagnaient à l’église). La génération suivante choisit de revenir vers la religion, par opposition à l’excessive rigidité des hussards noirs de la République. Ma tante publia un roman féroce sur sa mère dont la phrase préférée était « nous avons laïcisé ». Mon père croyait sans trop y croire. Une sorte d’assurance, au cas où il y aurait un ailleurs. Ma mère avait un ressentiment personnel envers Dieu mais elle m’achetait des bibles illustrées, des médailles et des livres sur les madones.
J’ai cessé de croire en le père Noël et la petite souris d’abord, en Dieu ensuite, lors de notre séjour dans un pays lointain et musulman. Le dimanche n’existait plus, on se reposait le vendredi. Il n’y avait plus de Noël et le nouvel an était à Pâques. Dieu n’avait pas le même nom, ni la même descendance. La maison de Dieu était différente et nous en parvenaient Allahou akbar et plus « ding dong ». Bref. On était dans un autre monde dont je n’avais pas soupçonné l’existence auparavant (c’était avant internet, presque le monde d’avant JC). Mais c’était bien de l’explorer, d’apprendre à le respecter et j’allais rentrer un jour chez moi.
J’ai retrouvé ce monde d’églises, de saints, de fêtes religieuses, de dimanches, de vierge à l’enfant. Mais je ne croyais plus. Je n’étais pas la seule. Les églises se vidaient, il n’y avait plus messe tous les dimanches au village. Hare Krishna psalmodiait sur les boulevards et des individus tout aussi louches venaient proposer des retraites mystiques, des solutions à tout, des communautés scientifico-religieuses. Certains d’entre nous croyaient qu’ils allaient changer la vie, voire le monde. Mais personne ne savait en quel Dieu croyaient ses amis ni s’ils étaient tout bonnement athées ou agnostiques comme on aimait à le dire alors. Cela restait un sujet privé.
Au même moment, là-bas, la religion a pris toute la place. Finis les tchadors violets en dentelle et les mini jupes, finies les bouteilles de vin ou de bière consommées en plein ramadan, finies les comédies sentimentales américaines avec leurs histoire d’amour libre dans les drive in. Puis, j’ai vu arriver ici des voiles plus opaques encore que ceux de Téhéran. J’ai entendu discuter le bien fondé des leçons de sciences et vie, d’histoire, de littérature, j’ai vu Internet se peupler de prières. Aujourd’hui, partout dans le monde, des jeunes tuent et se tuent en pensant légitime de détruire les mécréants, les kuffars c’est-à-dire tous les non musulmans, ceux qui ne croient pas en Allah, voire les musulmans pas assez d’accord avec eux. Me voici donc non croyante et mécréante vis-à-vis d’un Dieu avec lequel je n’ai jamais discuté, que je n’ai jamais prié. Pire encore, je suis culturellement chrétienne, profondément laïque et je vois que ces deux revendications ne peuvent être formulées clairement sans se prendre les pieds dans le voile. Pouvez-vous le croire ? Moi non. Mais je crois en l’avenir, car comme le dit Woody Allen « c’est là que j’ai décidé de passer le restant de mes jours ».
Image: « Rêves de Dieu »
Pingback: Sexe | lesensdesmots