Pénétration

hélène picard1

Pénétration est le titre choisi pour son poème par Hélène Picard (1873-1945). J’ai hésité à préférer le mot désir pour parler de ce texte en alexandrins que j’aime beaucoup, mais il me semble moins adapté que celui choisi par l’auteur. Le texte évoque beaucoup plus l’amour réalisé, tant sentimental que physique. On y trouve à plusieurs reprises des images qui justifient le titre, même si le mot lui-même est absent dans le corps du texte.

Ainsi dans les vers En moi vous affluiez avec le bruit des mers/ Avec les cris humains et le souffle du rêve/Vous étiez doux en moi de même qu’une grève/ Sonore comme un bois quand les vents sont épars. La chute : Vous fûtes ma maison et je vous ai planté/A jamais, comme un arbre au milieu de ma vie…utilise la métaphore fréquente de l’arbre chez d’autres poétesses: tu deviens sève dans mes veines, arbre dans mon corps, arbre qui germe en mon ventre, tu es en moi comme un arbre vivant…

Ce poème fait partie du recueil L’instant éternel, publié en 1906, un volume primé et très bien accueilli pour son lyrisme, célébrant l’union de la femme et de l’homme, dans lequel on a vu comme un moderne Cantique des cantiques (1). Cela rappelle que la poésie amoureuse et sensuelle, est, et a été, aussi féminine, un rappel qui me semble nécessaire en ce moment. Même le Cantique des cantiques a pu être considéré ( par André Lacocque) comme un point de vue féminin sur l’amour qui aurait été écrit par une femme.

J’aurai goûté vos yeux, votre front, votre main
Plus que je n’ai goûté l’eau limpide et le pain,
Votre bouche m’aura pour toujours abreuvée,
Votre âme je l’aurai tout entière rêvée,
Je vous ai convoité comme on convoite l’or,
Je vous ai possédé comme on étreint la mort,
Je vous ai parcouru comme une route neuve,
Vous avez ondoyé dans mes bras comme un fleuve,
J’ai chargé votre front de toute la beauté,
Je n’ai plus su qu’en vous recueillir la clarté.

Toutes mes nuits n’étaient faites que de votre ombre,
Et vous m’avez semblé sans limite et sans nombre,
Et vous m’avez paru grand de tout l’univers.
En moi vous affluiez avec le bruit des mers,
Avec les cris humains et le souffle du rêve,
Vous étiez doux en moi de même qu’une grève,
Sonore comme un bois quand les vents sont épars,
Vous avez à jamais habité mes regards,
Vous m’avez faite triste et splendide sans trêve
Comme, sur une tour, une reine qui rêve…
Et quand mes pleurs la nuit, étaient si soucieux,
Je vous sentais couler lentement de mes yeux.

J’aurai bu votre vie à la source d’eau vive,
Vous fûtes l’éternel dans l’heure fugitive,
Je vous dois l’infini, le songe, la douleur,
Et vous avez changé le rythme de mon coeur.

Je vous dois la vertu, la colère sacrée,
Ce livre tout ouvert par sa porte dorée,
Et cet ange surgi de mon âme et du soir,
Plus grand que le génie, encor: le désespoir…
Je vous ai fait ma couche et ma table servie,
En tous lieux, je vous ai, dans mon ombre, emporté,
Vous fûtes ma maison et je vous ai planté,
A jamais, comme un arbre au milieu de ma vie…

Sur Hélène Picard

Lu dans https://desmotsdeuxfemmes.wordpress.com/2015/12/12/helene-picard/

Hélène Dumarc est née à Toulouse en 1873, elle est l’exacte contemporaine de Colette. Elle épouse le sous-préfet Picard en 1898, lui-même lettré.
La carrière d’Hélène, tout comme celle de Renée Vivien, débute avec une reconnaissance de son talent par les milieux littéraires: des publications, des prix importants ( ceux des Jeux Floraux par exemple ).
Sensuelle, érotique même sans s’en rendre compte, Hélène Picard laisse une œuvre plus puissante et libérée qu’il n’y paraît. En tout cas elle ne cache pas la quête incessante et lancinante d’un amour charnel, l’expression des désirs, de l’élan vital, le désir viscéral de vivre, qui n’est pas seulement le désir sexuel.
Elle aurait pu poursuivre à la fois sa vie d’épouse de sous-préfet et de femme de lettre. Mais en 1920, après avoir quitté son mari elle devient la secrétaire de Colette à Paris, puis son amie. De sa passion sans retour pour Francis Carco naîtra son œuvre la plus connue « Pour un mauvais garçon ». Puis la maladie, la réclusion dans son appartement parisien, la solitude et la pauvreté transforment Hélène en petit fantôme que Colette semble tenir à bout de bras, sollicitant les uns et les autres. Hélène meurt en 1945, les privations de la guerre ne sont sûrement pas à négliger dans son décès.

Il faut ajouter qu’elle fut vite oubliée en dépit du grand succès de son premier recueil poétique, et fait partie d’une génération de femmes d’une grande activité littéraire après 1900, à tel point qu’on a pu parler de « fait social »  Gérard d’Houville (nom de plume de Marie de Herédia), Renée Vivien (pseudonyme de Pauline Tarn), Lucie Delarue-Mardrus et, bien sûr, Anna de Noailles. Pauvert dans L’érotisme dans la poésie féminine des origines à nos jours (Au terrain vague, 1993) écrit qu’Hélène Picard s’impose par sa vitalité sa virulence, ses excès de langage sa vulgarité fulgurante.

(1)Le Cantique des Cantiques, dit aussi Cantique de Salomon ou Chant de Salomon, est un livre de la Bible. Son titre en hébreu est שיר השירים, Chir ha-chirim. Il revêt la forme d’une suite de poèmes, de chants d’amour alternés entre une femme et un homme (ou même où plusieurs couples s’expriment), qui prennent à témoin d’autres personnes et des éléments de la nature. C’est l’un des livres de la Bible les plus poétiques. On retrouve des parallèles à de nombreuses expressions du Cantique dans la littérature du Proche-Orient ancien, notamment dans les poèmes d’amour égyptiens.

Quelques liens

Manuscrit de l’Instant éternel
https://archive.org/details/linstantternel00pica

Anthologies
http://www.archive.org/stream/anthologiedespo00davruoft#page/230/mode/2up
http://archive.org/stream/musesdaujourdhui00gouruoft#page/152/mode/2up

Thèse
http://www.diffusiontheses.fr/32309-these-de-laval-turpin-nicole.html

Image: Dans Alphonse Séché, Archive.org

Une réflexion sur “Pénétration

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