Hirondelle

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A propos de « L’hirondelle rouge » de Jean-Michel Maulpoix, Mercure de France, 2017.

« On la nomme à juste titre hirondelle rustique, hirondelle de cheminée ou hirondelle des granges. Elle aime les maisons des hommes dont elle surveille les travaux », écrit l’auteur. C’est un oiseau qu’il imagine joyeux, et dont « On dit que l’échancrure profonde de la queue … s’explique par la brûlure de ses plumes alors qu’elle était allée chercher le feu du Paradis ». Outre cette hirondelle rustique à la gorge et au front rouge-brique, le texte renvoie à l’Hirondelle amour de Joan Miró que l’on peut voir à Barcelone « Rouge sur fond de ciel excessivement bleu » et cette hirondelle traverse ce livre magnifique de part en part. L’auteur parvient y à dire toute la beauté et la joie d’une vie en même temps que l’insondable tristesse de sa fin, puisque ce livre porte sur la mort des parents du poète et la conscience de l’approche de la sienne.

Il y a des bleus dans la mémoire, des ecchymoses, des taches de suie, de sperme et de sang, et des trous de tristesse où tomber. Il y a  encore, sous ce manteau sombre, des robes à fleurs, de la chair tendre et des jardins rouges de cerises, de framboises et de groseilles, où s’attardent les rayons obliques du soleil. Puisque la beauté, nous le savons bien, et la douleur et son déclin ne font qu’un.

Le livre commence avec la mort du père.

J’ai été particulièrement touchée par l’ « inventaire des souvenirs » du poète et par cette évocation d’un milieu d’un homme et d’un milieu que l’on imagine assez populaire, et rural, un homme qui est le regard sur le souvenir puisque  « Dans l’album de photographies dont je tourne les pages, il est celui que l’on ne voit jamais, celui vers qui chacun regarde et par qui il existe : l’œil invisible du photographe ». De ce père qui peignait dans un coin du garage vient au fils « le gout du chevalet. Un désir d’hirondelles rouges, d’espace et de toile blanche. Surtout, ne pas remplir, ne pas saturer. Evider et tendre la phrase, y chercher des amorces et des points d’équilibre, des lignes d’envol dans le vide porteur ».

Avec cette mort, le fils mesure « qu’il me sera désormais impossible de lui faire plaisir, avec un nouveau livre, un article, une de ces gloires insignifiantes dont les pères se réjouissent pour leurs fils ». Et qu’il ressemble désormais à cette vieillesse du père : « Tissé par tant de mains invisibles, un rideau de rides est tombé sur mon visage : je ne suis plus de ce monde-ci ».

L’auteur revient ensuite sur la mort de sa mère, avec l’attente dans une maison de retraite et écrit avec autant de beauté que de réalisme cette déchéance.

Pâtes ou purée-poisson à tous les repas. La vie réduite à son os. La tête qui ne se tient plus droite. Les touffes de neige qui se clairsèment. Plus de dents. L’œil se vitre…C’est quoi cette vie sans dents ? De charrette et de lit de fer. Pas même un pied valide à poser dans la tombe. Quand plus rien ne vous appartient : maison vendue, bijoux volés, meubles dispersés. C’est quoi ce temps dans la gorge qui ne passe pas ? Ces jours dépourvus de gestes ? Occupés à scruter une tâche sur le mur. Vie de cendre où grésille à peine le vieux cœur qui rougeoie.

Quand elle n’arrive plus à trouver les mots, que le langage ne répond plus, on n’a plus d’histoire, plus de lendemain. « Au bord de la falaise, elle n’attend plus rien, sinon que l’on vienne la chercher. Le temps, privé de mots, ne passe plus. »

Qu’est-ce que la mort d’une mère ? Je ne résiste pas à cette citation qui l’exprime mieux que tout

Il n’y aura plus désormais cette sorte de souci diffus qu’elle maintenait en moi depuis la fin de mon enfance : à la pensée du poids de son attente, de son désir de me protéger, me nourrir, comme d’entendre ma voix au téléphone…Ce souci m’enfermait dans un temps dont elle comptait les heures. Le temps d’une sourde dépendance. Ma vie à présent n’a plus de commencement. Elle flotte, désamarrée, libre d’attaches. La voici devenue ce qu’elle était depuis toujours mais que je ne pouvais voir : une vie d’homme quelconque, issu de nulle part, procédant du rien et y retournant.

Dans le centre du livre reviennent le désir de vivre, le désir amoureux et sexuel puis, intimement mêlée revient la poésie qu’un instant il avait craint éteinte, épuisée elle aussi: « Cet objet, mes amis, qui fut cause de tant d’anxiété et de mécomptes, voilà que je remercie Dieu chaque fois qu’il s’enorgueillit. O c’est tout le cœur du vieux lyrisme qui palpite, en cet afflux de sang, depuis l’oreille jusqu’au sabot ! ».

Pareils à ces pas d’hirondelles, l’amour et la pensée ne laissent pas de traces, et pourtant ils vont selon la chair leur chemin, cherchant ce qui peut-être sauvé…

 

Jean-Michel Maulpoix, agrégé de lettres, enseigne la poésie moderne et contemporaine à l’université Sorbonne Nouvelle Paris III. Directeur de la revue Le Nouveau Recueil, il avait été accueilli par Maurice Nadeau à La Quinzaine littéraire et aux Lettres Nouvelles. Il est le porte-parole d’un renouveau lyrique et s’est retrouvé ainsi au cœur des affrontements théoriques des années 1980. Il est l’auteur de vingt-quatre ouvrages (poésie, critique littéraire, essais), parmi lesquels : Une histoire de bleu (1992), L’Instinct de ciel (2000), Chutes de pluie fine (2002), Pas sur la neige (2004) au Mercure de France.

Site internet de Jean-Michel Maulpoix

Parmi les sources: « En attendant la mort », par Gérard Noiret sur En attendant Nadeau, Journal de la littérature, des idées et des arts

7 réflexions sur “Hirondelle

  1. Bonjour,
    Je découvre votre excellent blog par cette proposition de lire L’hirondelle rouge. Vos mots sont très justes pour décrire ce bel ouvrage de Jean-Michel Maulpoix, auquel j’ai consacré ma thèse de doctorat. Peut-être serez-vous intéressée de découvrir mon blog qui accorde une large place à la poésie contemporaine : « Littérature Portes Ouvertes ». Je vous remercie pour votre attention, et encore bravo pour votre blog très instructif et agréable !
    Gabriel Grossi

    Aimé par 3 personnes

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