
Photographie publiée dans Le salon littéraire-L’internaute
Une épigramme (du grec ancien ἐπίγραμμα) est une inscription, d’abord en prose, puis en vers, qu’on gravait sur les monuments, les statues, les tombeaux et les trophées, pour perpétuer le souvenir d’un héros ou d’un événement. Au sens propre, le mot désigne tout type d’inscription sur un objet qui n’est pas spécifiquement destiné à servir de support à l’écriture.
Dans l’antiquité, une inscription un peu soignée était toujours rédigée en vers, comme en témoignent certains graffitis de Pompéi. Le mot « épigramme » a donc fini par désigner une pièce de vers assez brève pour être inscrite sur une stèle ou tout autre objet. C’est à partir de Martial que le mot prendra le sens de « court poème satirique terminé par une pointe ». En voici un exemple :
Contre Paula
Tu veux, Paula, te marier avec Priscus. Tu ne m’étonnes pas : tu as du goût.
Priscus ne veut pas se marier avec toi : lui aussi a du goût. (IX, 10)[1]
À partir du IVe siècle av. J.-C., l’épigramme devient une petite pièce de poésie sur un sujet quelconque, imitant les inscriptions par sa brièveté, offrant une pensée ingénieuse ou délicate exprimée avec grâce et précision. Enfin, à partir du XVIe siècle, le genre se spécialise dans le mot d’esprit : l’épigramme renferme généralement une pointe grivoise ou assassine.
C’est le mot qui m’est venu à l’esprit en lisant le recueil de poèmes de Sébastien (ou Seb) Doubinsky, Mountains (Montagnes) publié chez Leaky Boot Press en 2017. Les textes très courts de ce recueil, non numérotés, sont consacrés aux poètes et à a poésie. Il instaure ainsi, tout le long du livre un dialogue avec le lecteur, qui réussit la prouesse, à mes yeux, d’être ironique et lyrique. Les textes que j’ai choisi font partie de la série finale dans laquelle le poète discute avec la poésie, figure féminine qui pourrait rappeler la muse. Les répliques de la poésie, presque sarcastiques, ramènent le poète sur le sol de la réalité. La poésie pourrait dès lors être absente, ou impuissante, mais elle est bien présente, avec la beauté, voire avec sa grandeur. Comme celles des montagnes. Ironie, sourire et beauté. Cela me rappelle un billet de l’auteur sur ce que peut l’art dont voici un extrait :
Que peut la fiction contre la mort? Rien. Il est impossible de nier la matérialité du monde. Les murs existent, et l’on se fait mal si l’on se cogne contre eux. Il en est de même pour la violence politique. Elle est indéniable et aussi puissante que la mort qui l’accompagne. Que peuvent les mots contre les balles? A priori, rien. Comme disait mon prof de philo en khâgne: « La violence est un problème pour la philosophie, mais la philosophie n’est pas un problème pour la violence ». A chaque guerre, à chaque attentat, l’impuissance des intellectuels et des artistes est relevée et moquée. Et c’est vrai, nous sommes faibles. Mais il y a un proverbe taoïste qui dit : « Le faible gagne toujours. » C’est une métaphore de l’eau qui apparemment sans rien faire peut creuser le lit des rivières et faire tomber des montagnes. L’écriture, les arts sont comme cette eau. Ils ne travaillent pas, comme le feu, dans l’instant, mais sur la durée. [2]
Comme j’ai la chance d’être une amie du poète, il m’a très gentiment traduit lui-même ces textes qui sont publiés en anglais.
“do you think I am a master?” the poet asks
“a master of what?” poetry says
“Tu ne trouves pas que je suis vraiment un maître?” demande le poète
“un maître de quoi?” demande la poésie
No one is innocent the poet said
“I don’t know what you are talking about” poetry retorted
Filing her nails and looking glamorous
« personne n’est innocent » dit le poète
« je ne comprends rien à ce que tu racontes » rétorque la poésie
tout en se limant les ongles et paraissant plus belle que jamais
“Poetry can change the world !” the poet says
“What’s for dinner ?” poetry asks
« la poésie peut changer le monde! » s’exclame le poète
« qu’est-ce qu’on mange ce soir? » demande la poésie
“what is love?” the poet ask
“no idea”, poetry says
they both laugh
“c’est quoi, l’amour?” demande le poète
“aucune idée” dit la poésie
ils se marrent tous les deux
Sébastien Doubinsky est un écrivain, traducteur, poète et éditeur français né en 1963 à Paris. Il a passé une partie de son enfance aux Etats-Unis et est resté très marqué par la culture et la contre-culture américaines. Il a enseigné l’anglais dans un lycée parisien de 2006 à 2007 avant de s’installer au Danemark, où il vit avec sa femme et ses enfants. Il a fondé en 2008 les éditions du Zaporogue et a publié plus d’une douzaine de romans, des nouvelles et de la poésie.
Pour aller plus loin
Sur Sebastien Doubinsky
a view from Babylon, Sébastien Doubinsky’s official page
Sur Charybde 27 : le Blog un bel article sur une autre œuvre de Sébastien
Sur les épigrammes
Noctes Gallicanae Ἐπιγράμματα Épigrammes grecques
Un blog sur le sujet avec des épigrammes d’auteurs classiques
[1] MARTIAL, Épigrammes, Ier siècle ap. J.-C.,traduction d’Yves Ouvrard, site de l’académie de Poitiers, 2001.
[2] Le faible gagne toujours – Vu de Viborg City #11, par Sébastien Doubinsky
Question : (pour une fois que je pose une question, lol…)
Les épigrammes de Martial sont-ils en grec, ou en latin ?
Si je vous pose la question, c’est parce que je ne sais pas.
Si l’épigramme ci dessus est en latin, pourriez-vous mettre le texte latin, ici, svp, si ce n’est pas trop de travail ?
Je sais que je suis une vraie Cassandra, condamnée à pisser dans un violon jusqu’à la fin de mes jours, mais pour moi il n’y a aucune séparation entre les mots et la réalité, parce que les mots FONT.
(Les mots peuvent même faire… mourir. Mais « prouver » que les mots font vivre, ça c’est plus difficile. Je crains qu’il ne faille déjà pouvoir avoir la foi pour comprendre comment les mots font vivre…)
Je crois que c’est le sens même de « poein », si je ne me trompe pas.
Pour… illustrer cette… réalité, j’aime bien citer un incident raconté dans un livre qui est à mille lieux de la poésie, le livre de Dale Carnegie sur le management qui était une bible sur le management américain dans les années 50, je crois. Carnegie raconte ce qui s’est passé quand un employé des chemins de fer aux U.S. s’est trouvé enfermé par mégarde dans un wagon réfrigérant. Il a eu le temps d’écrire ce message, dans son sang : « Je meurs de froid »…avant de mourir. Le seul problème était que le wagon réfrigérant n’était pas branché…
Cet incident n’est pas lyrique du tout. Est-il… poétique ?
Il y a une semaine, dans le tramway, j’ai raconté à un homme médusé que pendant les guerres napoléoniennes, et même pendant la grande guerre, il était interdit de faire sonner le Ranz des vaches (un air de montagne) devant les troupes suisses, car ils pouvaient se mettre à tomber comme des mouches sous l’effet du.. mal de pays…Oui, ils mourraient s’ils n’étaient pas rapatriés d’urgence. Après, on pouvait les faire revenir la guerre, mais il fallait qu’ils retournent dans leur pays. (Heidi aussi, dans le livre de Spyri souffre de nostalgie.)
Ce qui me semble à interroger n’est pas tant le fait que les hommes se mettAIENT à languir de nostalgie, jusqu’à la mort, mais… notre incroyance devant ce fait…
Et notre incroyance ne nous agrandit pas du tout, loin de là. Pas plus qu’elle n’agrandit le monde dans lequel nous vivons.
Ce qui me plaît particulièrement dans votre poste c’est la manière dont vous ressuscitez le MOT d’ESPRIT. Il me semble qu’il y a une réelle connivence entre le mot d’esprit et la poésie, et que cette connivence NOUS agrandit, et grandit notre monde. Et c’est du jeu, du bon jeu qui nous donne du plaisir, en sachant que ce n’est pas parce que nous vivons dans une civilisation qui ordonne que nous jouissions que nous sommes autorisés à PRENDRE DU PLAISIR (ou à le recevoir, pendant qu’on y est).
Et puisque j’aime classer et comparer, je donne 5 sur 5 à l’épigramme sur l’amour… le plus spirituel de tous, de mon point de vue.
Allons, un soupir de nostalgie pour l’époque où nous (certains d’entre nous, du moins…) nous disciplinions pour être spirituels…
Merci.
J’aimeAimé par 1 personne
J’ai cherché sur Internet sans trouver le tete en latin mais c’est certainement possible en livre. Désolée et merci !
J’aimeJ’aime