1991
Je me suis laissée dériver sur ton souffle – tu exhales l’odeur des fleurs qui s’épanouissent – ton souffle retenu fait vibrer mon ventre.
J’ai déambulé dans ton attente infinie, me suis apaisée dans ton immobilité – tu te recueillais, rêveur, dans ces fossiles, pelotonné au cœur d’intimes spirales, enroulement toujours ouvert sur toi-même, conque immobile qui palpite et vibre, patience inconcevable, attente bord à bord.
2022
Je déambule dans le souvenir de mon attente intime, apaisée par la chaleur de ton regard posé sur ma joue – tu recueillais dans ma voix les fossiles tapis au cœur d’infinies spirales, l’enroulement ouvert pour toi de ma chair, la conque patiente, désireuse de l’inconcevable baiser.
Je laisse pénétrer en moi ton souffle léger, légère comme une respiration retenue ; les rues exhalent une odeur de fleurs flétries.
Etonnant, ce dialogue à travers plusieurs années ! C’est aussi le propre et l’intérêt d’écrire.
Le temps lisse tout et on perd les nuances d’alors.
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Merci pour votre commentaire ! En effet, le projet de ce dialogue poétique peut tout à fait être lu comme une tentative de retrouver et même de faire naître de nouvelles nuances, trente ans plus tard, à une passion amoureuse vécue dans le fantasme.
Nous le concevons comme un dialogue différé entre une jeune femme brûlant d’être désirée et aimée autant qu’elle désire et aime, et celui ou celle vers qui ses paroles se tournent en un jeu de miroir. Il s’agit avant tout d’une écriture de la chair, c’est-à-dire instinctive, qui tente de trouver les mots que le désir physique fait naître et qui le prolonge dans le temps.
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Tellement humain ce fil fantasmé à plusieurs années d’intervalle. J’y relève de belles images, « la conque patiente, désireuse de l’inconcevable baiser. » « les rues exhalent une odeur de fleurs flétries. » L’attente exacerbée, le rêve en exorcisme.
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Merci Joëlle pour votre commentaire ! Il est toujours précieux d’engager un dialogue avec le lecteur ou la lectrice, et de découvrir le sentiment qu’un texte a suscité.
Dans ces poèmes en miroir, nous (re)tissons le fil (comme vous le soulignez) d’un récit intime qui exacerbe le besoin de se dévoiler à soi-même et se donner à l’autre (la conque patiente désireuse de l’inconcevable baiser). Ce récit, au sens d’intrigue, n’est pas tout à fait le même pour nous deux, mais chacun imagine l’autre se débattre avec la passion, pour soustraire à sa propre expérience de l’amour fou des images sensuelles, et peut-être érotiques (le corps du texte). Ces images se combinent, lecteur l’un de l’autre, avec cette conscience que nous avons de l’irréversibilité du temps – l’odeur de fleur flétrie, comme la chair prise par les mains de l’amant réel et fantasmé – mais aussi de la présence irrévocable du désir.
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Je trouve magnifique la sensibilité avec laquelle vous avez su traduire en mots et en images un moment douloureux de la vie et tout aussi remarquable le poème en miroir de 2022 (il faut posséder un immense talent et beaucoup de délicatesse pour « jouer, broder » exécuter des variations sur une matière chargée d’émotions sans la dénaturer ni la trahir. Je prends ici une métaphore musicale à dessein, car définir votre projet poétique comme une « Œuvre à quatre mains » ne pouvait pas être mieux choisi).
Le poème Souffle se démarque fortement de Fleur: les sentiments et les images exprimés sont beaucoup moins violents. Il y a une forme de lâcher-prise, voire même de douceur. Le calme après la tempête et le tumulte des sentiments du précédent poème. Dans la version de 1991, la métaphore de la conque renvoie à la fois à l’image sensuelle de la femme qui s’enroule autour du corps de l’être aimé, mais aussi à l’image d’Elle prenant appui sur Lui, s’accrochant à ce rocher de peur de se noyer ou de se laisser dériver. Il ne s’agit pas d’une ouverture au monde, mais d’une ouverture sur l’univers rassurant, réconfortant qu’Il représente. J’adore le vers: « Je déambule dans ton attente infinie. » Dans la version de 2022, on retrouve la technique de réécriture utilisée pour les précédents poèmes. (une reprise de tous les éléments présents dans la première version du poème.) On sait qu’Il a disparu par l’emploi de l’imparfait, temps du récit et de l’inachevé. Il s’agit d’une adresse, d’un dialogue entre elle et Lui, disparu. « Les rues exhalent une odeur de fleurs flétries » : très belle phrase, très émouvante pour dire que les traces de son amour passé perdurent dans le présent. Magnifique hommage.
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Merci pour ce commentaire si attentif et encourageant !
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