Rose

 

 

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avec une petite erreur de date de naissance…

Invitée à la présentation par Alain Rey du Robert historique cette semaine, je l’ai entendu évoquer l’étymologie persane, au-delà du latin, du mot rose. La rose elle-même nous vient d’Iran, née dans les jardins de Perse et transplantée en Occident. C’est ce qui m’a donné envie de partager avec vous Les Roses de Saadi, un très beau texte d’une poétesse chère à mon cœur, Marceline Desbordes-Valmore.(1786-1859).

Ce poème est inspiré, comme son nom l’indique, d’un texte du poète persan Saadi, considéré comme l’un des plus grands poètes persans médiévaux et grand maître respecté du soufisme. Son recueil Golestân ou Jardin des roses est connu en France dès le XVIIe siècle par la traduction réalisée par André Du Ryer. C’est un recueil de poèmes et d’histoires, présenté comme une collection de roses dans un jardin. Il comprend huit chapitres – comme les huit portes du Paradis.

Le texte du Jardin des roses  dont s’est inspirée Marceline Desbordes-Valmore est le suivant

Un Soufi était plongé dans une profonde méditation sur l’être divin ; au sortir de sa rêverie ses compagnons lui demandèrent quels dons miraculeux il avait rapportés du jardin de la contemplation où il s’était transporté : j’avais l’intention de cueillir pour vous des roses plein ma robe, mais quand je me suis trouvé devant le rosier, le parfum des fleurs m’a enivré à tel point que je n’ai pu faire un geste.
Plus tard, après que nous nous fûmes promenés dans les jardins, il cueillit des fleurs et
je lui dis: “Il n’y a pas de permanence dans les fleurs, ce qui ne dure pas ne mérite pas
la dévotion.” Il demanda: “Que dois-je faire ?” et je répondis: “je vais composer un livre, le jardin des Roses, qui, lui, ne périra pas.
Emporte une rose du jardin
Elle durera quelques jours,
Emporte un pétale de mon jardin de Roses.
Il durera l’Eternité.

Marceline Desbordes-Valmore écrit un texte qui me semble moins mystique, plus sensuel et très féminin, même si les lectures divergent sur ce point. Dans ce poème en alexandrins aux rimes embrassées la rose figure plus l’offrande amoureuse (le texte s’adresse à un unique interlocuteur), et si elle ne peut transmettre ces fleurs car les nœuds trop serrés n’ont pu les contenir, ces nœuds rappellent un accessoire féminin que Marceline utilise dans d’autres poèmes ( tu seras nonchalante à nouer ta ceinture ; les pigeons sans liens sous leur robe de soie). Le texte enfin se termine par une strophe d’une extrême sensualité : le rouge de l’eau, la robe embaumée sur laquelle l’autre (l’homme aimé ?) respire l’odorant souvenir de la rose. L’amour mystique, si lié au symbole de la rose, que ce soit en Perse ou en Occident (rappelons que la rose symbolise Marie pour les catholiques) devient ici amour physique, même si encore une fois d’autres lectures sont possibles (Yves Bonnefoy, dans la préface des éditions Gallimard des poésies de Marceline estime que les nœuds représent le langage qui s’interpose entre le monde, que l’eau rappelle un épisode dramatique de la vie de Marceline et enfin que la rose est ici l’incarnation de la vérité du monde tel que nous le vivons dans l’enfance).

Les roses de Saadi

J’ai voulu ce matin te rapporter des roses ;
Mais j’en avais tant pris dans mes ceintures closes
Que les noeuds trop serrés n’ont pu les contenir.

Les noeuds ont éclaté. Les roses envolées
Dans le vent, à la mer s’en sont toutes allées.
Elles ont suivi l’eau pour ne plus revenir ;

La vague en a paru rouge et comme enflammée.
Ce soir, ma robe encore en est tout embaumée…
Respires-en sur moi l’odorant souvenir

Le texte a été publié dans poésies inédites en 1860, après la mort de l’auteur.

Pour aller plus loin

Saadi (Abou Mohammad Mosleheddin Ibn Abdollâh), est né et mort à Chiraz (Iran, 1213-1292). Vous trouverez ici un article d’Arefeh Hedjazi, Saadi, le poète humaniste du XIIIe siècle,  publié dans la Revue de Téhéran N° 30, mai 2008.

Quelques vers de lui sont inscrits à l’entrée du siège de l’Organisation des Nations unies à New York.
« بنی آدم اعضای یک پیکرند
که در آفرينش ز یک گوهرند
چو عضوى به درد آورد روزگار
دگر عضوها را نماند قرار
تو کز محنت دیگران بی غمی
نشاید که نامت نهند آدمی
Les hommes sont membres les uns des autres,
et créés tous de même matière,
si un membre s’est affligé les autres s’en ressentent :
Celui qui n’est touché du mal d’autrui
ne mérite d’être appelé homme.

Marceline Desbordes-Valmore est née à Douai en 1786. Son père Félix Desbordes, peintre en armoiries fut ruiné par la période révolutionnaire. En 1801 elle part en Guadeloupe avec sa mère  rejoindre un parent plus fortuné. A leur arrivée elles trouvent le parent décédé et une île en proie à la révolte. Sa mère y meurt en 1802. Marceline, âgée de 15 ans, rentre alors en métropole. Elle devient comédienne et cantatrice.

Elle a connu une vie difficile, tout en puisant toujours de la force dans la certitude de l’amour de son père. En 1808, elle rencontre Henri de Latouche, journaliste, poète et écrivain. Elle entretiendra avec lui une liaison intermittente, tumultueuse et secrète de trente années. Il naîtra en 1809, de cette liaison, un enfant qui mourra à l’âge de 5 ans. En 1847, elle épouse Prosper Lanchantin, comédien connu sous le nom de Valmore et mène avec lui une vie difficile et itinérante. Ils auront 3 enfants, dont deux mourrons en bas âge.
Sa production littéraire commencée en 1819 par un recueil « Elégies et romances » aide à subvenir, sans y parvenir vraiment, aux besoins du ménage. Elle meurt d’un cancer en 1859, seule, à Paris.

Elle a été la première en date des poètes du romantisme, et un précurseur des maîtres de la poésie française moderne : Rimbaud et Verlaine. Elle était admirée de Charles Baudelaire et ses textes ont inspiré certains textes du poète. On lui doit des inventions de rythmes. Elle a influencé les poétesses de la fin du siècle dont Anna de Noailles, Gérard d’Houville, Renée Vivien, Cécile Sauvage, Marie Noël. Louis Aragon, qui l’admirait, a fait référence à elle à plusieurs reprises. Marcel Proust l’admirait aussi et lui emprunte le prénom d’Albertine.

On peut lire des éléments supplémentaires notamment sur le site de l’association Marceline Desbordes-Valmore.

Marceline Desbordes-Valmore a mis en musique elle-même L’Alouette et la musicalité de ses vers a attiré de nombreux compositeurs

Catherine MAISSE interprète « Les Roses de Saadi »

Plus contemporain, mis en musique par Poé’Zic

Un autre texte de Marceline, N’écris pas, mis en musique et chanté par Julien Clerc et par Benjamin Biolay.

 

10 réflexions sur “Rose

  1. Ils sont intéressant ces liens entre le fameux poète persan et Marceline D-V dont nous gardons le souvenir dans notre ville puisqu’elle a habité Lyon.
    A Shiraz, je me suis recueillie sur le mausolée de Saadi dans le parfum des roses.
    Merci de nous faire écouter encore la belle version chantée par Julien Clerc qui donne en vie de mieux connaître la poésie de Marceline.

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  2. Pingback: Iris | lesensdesmots

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