
Douanier Rousseau, La muse inspirant le poète, 1909 (portrait de Marie Laurencin et Guillaume Apollinaire
Dans le village où je passe l’essentiel de mes vacances, les nuits sont très silencieuses. Mais, parfois, on entend quelqu’un jouer du cor de chasse. Ce son très poignant me rappelle le poème d’Apollinaire qui porte le nom de cet instrument. Le cor est souvent évoqué en poésie : chez Baudelaire (Le Cygne II), chez Victor Hugo (Le Rhin), à qui Baudelaire dédie son poème, chez Alfred de Vigny (J’aime le son du cor le soir au fond des bois) chez Paul Verlaine (Le son du cor s’afflige vers les bois/ D’une douleur on veut croire orpheline), chez Jules Laforgue ( Les Complaintes, Complainte des printemps, Complainte du soir des comices agricoles, Derniers vers, L’hiver qui vient).
Apollinaire a associé le cor au souvenir de la femme aimée et absente dans les Poèmes à Lou et dans ce texte publié dans Alcools : le son de l’instrument est alors associé au timbre de la voix. Avec Marie, Zone et Le Pont Mirabeau, Cors de chasse évoque la rupture d’Apollinaire avec Marie Laurencin.
Dans ce poème en octosyllabes, la première strophe condense l’histoire des deux amants, placée sous le signe de la tragédie antique (le masque d’un tyran, référence au théâtre grec dont le roi est le personnage principal) et du destin (puisqu’il n’y existe Aucun détail indifférent). La deuxième strophe commence à la troisième personne du singulier, avec le personnage de Thomas de Quincey, poète anglais (1785-1859), dont le nom est associé à la destruction par l’opium. Apollinaire fait référence à la recherche désespérée menée par le poète pour retrouver Ann, une petite prostituée de quinze ans dont il était amoureux. Apollinaire passe ensuite à la première personne du pluriel lorsque, pour lier l’amour perdu avec le temps qui passe, il emploie trois fois le verbe passer (Passons passons puisque tout passe) puis revient à la première personne pour, en utilisant toujours un verbe de mobilité, affirmer un regret, ou une résistance (Je me retournerai souvent). La troisième strophe créé un effet de surprise tout d’abord parce qu’elle ne comprend que deux vers, là où on en attend cinq, ensuite parce que c’est dans cette dernière strophe que le titre est expliqué. Mais il existe une forte liaison entre les deux strophes par les rimes masculines (souvent, vent), féminines (chaste, passe, chasse), et une rime enchaînée (qui reprend la base lexicale du mot de rime ou d’un mot voisin pour l’enchaîner à la suite) lorsque le mot souvent, à la fin de vers 10, enchaine sur Les souvenirs. Enfin, l’attribut (cor de chasse) n’est pas précédé d’un déterminant comme il le devrait, ce qui créé une pause en fin de vers : le son du cor se prolonge, le souvenir est lent à mourir.
Cors de chasse
Notre histoire est noble et tragique
Comme le masque d’un tyran
Nul drame hasardeux ou magique
Aucun détail indifférent
Ne rend notre amour pathétique
Et Thomas de Quincey buvant
L’opium poison doux et chaste
À sa pauvre Anne allait rêvant
Passons passons puisque tout passe
Je me retournerai souvent
Les souvenirs sont cors de chasse
Dont meurt le bruit parmi le vent.
J’ai déjà écrit un article sur un texte de Guillaume Apollinaire avec quelques notes biographiques.
Pour l’analyse de ce texte j’ai utilisé notamment l’article d’Alexandre Didier, « Explication de texte » Cors de chasse » », Apollinaire : « Alcools », Paris, Presses Universitaires de France, « Études littéraires », 1997, p. 116-120.
J’adore !
Et pourtant, lorsque j’ai lu « Alcools » il y a quelques années, ce recueil ne m’avait pas « enivré »…
Vous m’avez vraiment donné envie de le relire. Merci !
J’aimeAimé par 1 personne
Le son du cors de chasse va avec un paysage brouillardeux, mystérieux et fait frissonner… brrrr! Belle soirée
J’aimeJ’aime
le cor manquait un peu de corps
heureusement il y eut G Brassens
Le roi boiteux (Poème de G.Nadaud)
Un roi d’Espagne, ou bien de France,
Avait un cor, un cor au pied;
C’était au pied gauche, je pense;
Il boitait à faire pitié.
Les courtisans, espace adroite,
S’appliquèrent à limiter,
Et qui de gauche, qui de droite,
Il apprirent tous à boiter.
On vit bientôt le bénéfice
Que cette mode rapportait;
Et de l’antichambre à l’office,
Tout le monde boitait, boitait.
Un jour, un seigneur de province,
Oubliant son nouveau métier,
Vint aù passer devant le prince,
Ferme et droit comme un peuplier.
Tout le monde se mit à rire,
Excepté le roi qui, tout bas,
Murmura: »Monsieur, qu’est-ce à dire ?
Je crois que vous ne boitez pas. »
« Sire, quelle erreur est la votre!
Je suis crible de cors; voyez:
Si je marche plus droit qu’un autre,
C’est que je boite des deux pieds. »
J’aimeAimé par 2 personnes
J’aime Apollinaire. Je sens que je vais remettre le nez dedans, vous m’en avez donné envie. merci !
J’aimeAimé par 1 personne