Tweeter

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Nous sommes 326 millions à tweeter dans le monde dont 10,3 millions en France. Ça commence à compter, bien que nous soyons loin derrière Facebook, You Tube, WhatsApp, Instagram et Snapchat.

J’ai commencé par Facebook. Tout ça parce que l’une des expériences majeures de ma vie a été de partir vivre en Iran quand la crise pétrolière, Internet et les réseaux sociaux n’existaient pas. Tout le monde nous a regardé partir d’un air anxieux (la famille avait totalement oublié son unique aventurier). C’est tout juste si on ne nous a pas préparé une place dans le caveau familial. Les déménageurs ont voulu être payés d’avance, ce qui est relativement moins grave, mais significatif. Les liaisons aériennes et les appels téléphoniques étant chers et rares, les lettres mettant 3 mois à arriver, la seule télévision étant l’American Forces radio and television service (je ne vous la conseille pas) et les chaines locales (idem), j’ai vécu isolée avec comme seul lien la librairie Larousse (incomplètement achalandée). Le cinéma français était alimenté étrangement et je dois être la seule d’entre vous à avoir vu un film réalisé par Brigitte Bardot et avoir vu la fin de L’Année dernière à Marienbad avant le début (erreur de bobines). J’ai eu le bac et puis je suis rentrée.  J’avais des amis un peu partout sur la planète mais j’ignorais tout de ce pays étrange qu’est la France quand on l’a quittée quelques temps. J’étais une curiosité décalée qui ne suscitait guère d’intérêt. Du coup, j’ai choisi un métier où l’on a besoin de savoir tout ce qui se passe dans le monde. Mais on ne savait pas grand-chose. Et c’est là que j’ai eu mon premier contact avec Internet. Si ce monstre avait existé avant, je me serais sans doute sentie moins perdue. Puis j’ai tenté Facebook pour retrouver des amis. Comme une façon de parler à distance. Et , cette fois, ne pas être laissée derrière. Puis, j’ai décidé d’y faire connaitre mon blog. Et de parler politique ou société. Une amie m’a déclaré que je donnais trop mon avis et que ce réseau était destiné à publier des photos de petits chats. C’est un point de vue. En fait, il y a beaucoup de choses toute mignonnes (comme des petits chats) et de propos très horribles (comme des appels au meurtre) sur Facebook depuis que j’y suis. Bref, c’est à cause d’elle que je tweete, activité qu’elle jugeait plus sérieuse et légitime.

Twitter m’a d’abord fait peur. Quand j’ai créé le compte, assise (pour une fois) dans le wagon du RER A, j’ai tout de suite eu un follower. Et quelqu’un de ma famille en plus, alors que mon compte ne portait pas mon nom. J’ai flippé un bon coup. Un pas de plus dans la découverte de l’espionnage de nos contacts téléphoniques par les réseaux. Terreur aussi la première fois que j’ai tweeté. Quelle bêtise allais-je donc balancer à la face du monde (car on prend le melon sur twitter) ? Tout n’a-t-il pas déjà été tweeté mille fois, comme aurait dit grand père à propos d’écrire ? N’allais-je pas devenir ridicule et être connue partout comme l’idiote qui a tweeté une grossière erreur (on devient parano, aussi, car comment discerner votre tweet dans les 500 millions envoyés chaque jour ?). Tout le monde connait maintenant le diagnostic d’Umberto Eco : « Les réseaux sociaux ont généré une invasion d’imbéciles qui donnent le droit de parler à des légions d’idiots qui auparavant ne parlaient qu’au bar après un verre de vin, sans nuire à la communauté et ont maintenant le même droit de parler qu’un Prix ​​Nobel: C’est l’invasion des imbéciles ». J’ai donc appuyé sur « Tweeter » en prenant une grande inspiration et en fermant les yeux. A dieu vat ! Et vogue la galère. J’ai surmonté quelques erreurs. Passe la caravane tandis que les chiens aboient (à éviter sur twitter personne n’aime être comparé à un chien malgré le nombre de défenseurs des animaux).

Mon premier émerveillement a été mon premier tweet poétique. Moi qui m’étais attachée à écrire des pages société en anticipant un bide total pour la poésie, je m’étais lourdement trompée. Entre défis et publications commémoratives, j’ai croisé sur twitter bien des poètes et beaucoup de lecteurs non poètes eux-mêmes, soit une espèce merveilleuse et généreuse que je pensais disparue.

Rodée désormais, je tweete en espérant ne pas crier, bien que le mot tweeter désigne un haut-parleur destiné à reproduire les hautes fréquences (généralement entre 2000 et 20000 Hz), soit les sons aigus. J’évite donc les majuscules et les injures ou mots blessants.

Tweeter on s’y fait. On rencontre des amis, on bloque des ennemis (quelques personnes qui m’ont harcelée parce que je n’étais pas assez favorables au vélo ou que je ne souhaitais pas apprendre le catalan, un compte porno). On y consulte l’actualité (j’entends des sirènes, voyons s’il y a un attentat…). On clique sur des hashtags de sigles mystérieux (c‘est toujours du sport). On s’inquiète un peu de voir que des gens qui se fréquentent et se parlent souvent s’interpellent sur twitter et beaucoup de suivre les tweets de Donald Trump.

Twitter semble faire l’apologie de la vérité et de la parole « libérée ». Pour la vérité, on repassera, quant à la parole libérée il me semble au contraire que twitter est le fameux « couilles croisées de Playtex »[1]. On ne peut rien y dire qui ne soit pas « correct » ou dans l’air du temps et la nuance entre une confidence personnelle et l’attaque raciste/sexiste/spéciste etc n’existe plus. Yann Moix en a fait récemment l’expérience en « avouant » une faiblesse masculine (quoique souvenez-vous qu’il venait d’avoir 18 ans) assez répandue dans la vie et dans la littérature (et je le regrette, ayant 60 ans cette semaine). J’ai toujours détesté cet homme mais je ne comprends absolument pas le délire que lui a valu cette confidence.

Quand on milite hors de twitter, on hésite longtemps à utiliser le réseau pour faire avancer son parti. Reproduire tels quels les tweets politiques, ce n’est pas tweeter. On s’exhorte à rester calme. A s’en tenir à une ligne éditoriale (les mots). Mais ça ne dure guère. On voit passer des tweets de plus en plus agressifs qui s’alimentent les uns les autres. Même vos amis publient en continu leur position. Et vous répondent sans vous citer. On finit par s’y mettre. Et c’est perdu. Celle qui m’avait conseillé twitter a cessé de me suivre parce que je parlais trop de Macron (trop en bien, voulait-elle dire). Dire que je prenais soin de ne pas lui répondre (car elle en disait beaucoup de mal). Du coup j’ai cessé de la suivre.

Ainsi va twitter. Une guerre y sera peut-être un jour déclarée.

 

[1] Coluche « J’ai tout lu Freud », 1980.

2 réflexions sur “Tweeter

  1. Vous vous en doutez, je ne fréquente ni Twitter/Tweeter, ni Facebook.
    Je n’ai toujours pas de téléphone portable.
    Il y a quelques mois, alors que j’attendais en bas de l’immeuble de quelqu’un qui m’attendait pour un cours, et que je ne pouvais pas, pour une raison mystérieuse, déclencher le mécanisme pour ouvrir la porte, il m’a dit de manière lapidaire d’en haut, en m’entendant lever la voix, « achète un portable ». Le piquant, c’est que… si j’avais eu un portable, le sien aurait été en mode messagerie, et je n’aurais pas pu le joindre, de toute façon. C’est pour ça que je n’ai toujours pas de portable. C’est… ma liberté, mon petit acte de résistance, et je me débrouille sans. Oui, c’est égoïste, mais j’en paie le prix. Mais… en face, celui qui a un portable est égoïste aussi, si on doit penser ainsi… et il en paie SON prix aussi. Je préfère mon égoïsme/prix à celui de celui qui tient un portable.

    Je trouve la formulation d’Umberto Eco assez.. problématique, mais je suis d’accord que l’incitation 24h/24h à s’exprimer finit par nous submerger, et rendre quasi impossible notre capacité d’assigner une.. hiérarchie d’importance pour déterminer ce qui compte pour nous, et ce qui ne compte pas.
    Le problème, ce n’est pas que c’est l’invasion des imbéciles, c’est plutôt que ça finit par rendre imbéciles les meilleurs d’entre nous. Manque d’exigence. Comble de la facilité, le confort, l’inconséquence, même. Que VAUT la parole, et la liberté de la parole dans un tel déluge de paroles/écrits ?? Pas grand chose, il me semble. Et nous n’en sommes pas dupes. Surtout, ce qui est lassant, et quasi désespérant, c’est de remarquer comment/combien toute cette parole publique, soi disant.. libre NOUS rend vulgaires, et je ne suis pas une exception. Quelle est la différence entre la franchise et la vulgarité ? Difficile, non ?

    Pendant mon adolescence, on m’a appelé « visage de chien » à l’école pendant 6 ans. Je n’en suis pas morte. A l’époque, ça me semblait le comble de l’injustice, mais avec l’âge, j’ai fini par comprendre ce que les ados me reprochaient, et même.. qu’ils avaient un peu raison en m’appelant ainsi. C’est le moment de se demander… si on vous appelait « visage de CHAT », est-ce que ça ferait le même effet ?? Non, n’est-ce pas ? Le chat a la cote parmi les modernes de mon milieu, en tout cas…De toute façon, ça ne me gène pas d’être assimilée à.. un animal… j’aime bien les animaux. Même ceux que je mange, je les remercie de leur sacrifice pour mon bien être, et mon plaisir.

    C’est intéressant, votre expérience en Iran. Une richesse. Moi, mon aventure fut mon départ en France, et c’est une aventure qui continue. Je constate que, dans l’ensemble, quand les Français quittent la France, ils y reviennent. Souvent. C’est ça, la différence entre un aventurier et.. un colon. Un aventurier revient au bercail, à la source.

    Pour l’agressivité : il y a un livre que je trouve capital de Konrad Lorenz sur « L’agressivité ». Nous, les modernes, avons déclaré la guerre à l’agressivité sous toutes ses formes. Mais nous oublions que le vivant a besoin de pouvoir se défendre dans la vie, et se défendre, ça mobilise l’agressivité, qui est inséparable de l’agression. On ne peut pas avoir le meilleur/le stricte minimum ? sans le pire qui vient avec. Prétendre le contraire, c’est être inconséquent. Pour moi, c’est le péché capital en ce moment, l’inconséquence.

    Fin : ne manquez pas « Edmond » au cinéma, si vous ne l’avez pas encore vu. C’est une bulle, un moment de pur bonheur, et un hymne généreux et tendre au théâtre, et aux théâtreux.

    P.S….ceci n’est pas une tweet. 😉

    Cordialement.

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