Téléphoner

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J’ai un souvenir mitigé du téléphone familial, un modèle crapaud, orange (c’était les années 70), stratégiquement placé près de l’entrée. Mes parents me tendaient parfois l’écouteur pour que je confirme à la famille que nous étions tous vivants. Rien ne paraissait moins évident, puisque nous étions à l’autre bout du monde.

Le moindre mot échangé coutait un bras et on l’entendait crépiter tout du long. Lorsque, dans le cadre de ma crise d’adolescence, j’ai tenté de l’utiliser, ma mère me faisait signe d’abréger mes conversations avec des copines, (que pouvais-je bien leur dire encore puisque nous venions de nous quitter au lycée ?), et mon père menait d’interminables et capitales négociations en anglais juste quand j’attendais l’appel d’un garçon qui allait sans doute changer ma vie. Puis il raccrochait et le téléphone restait silencieux, posé là comme un presse papier sur un coin de table, pendant des heures.

Maintenant, comme tout le monde, j’ai plusieurs téléphones, dont un qui ne me quitte jamais, un smartphone. Je peux donc être jointe partout, téléphoner partout et recevoir plusieurs appels en même temps. Au cinéma, ils gèrent ça très bien mais pas moi. Il s’ensuit un moment d’hésitation dans lequel il peut m’arriver de raccrocher brusquement en croyant décrocher ou de produire des explications alambiquées, c’est mon chef, je vais devoir raccrocher,  c’est une collègue, je la rappellerais ou je ne sais pas qui c’est, je décroche et je te reprends.

Lorsque l’interlocuteur commence par Je suis chez madame Angouisturi ?, c’est du phoning. Puisqu’il écorche mon nom, il m’a trouvée dans un annuaire, c’est même du phoning dans le dur. Je me sens un peu comme une falaise attaquée marteau-piqueur. Le but du phoning n’est pas d’engager une discussion, personne n’a pas le temps, mais d’obtenir un rendez-vous rapidement pour me vendre un truc auquel je ne pensais pas ou me faire venir à une réunion politique sur un sujet auquel je ne connais rien. Il y a tout un savoir du phoning et je me demande si je ne devrais pas m’inspirer de leurs techniques pour mes propres conversations, après tout être sûr de soi, avoir l’attention de son interlocuteur, personnaliser l’argumentaire, être dynamique et positif, écouter l’interlocuteur, combler les blancs, c’est pas mal. Même les pirates connaissent la technique. Un dimanche matin Microsoft m’a appelée avec un fort accent indien, pour m’informer qu’il avait identifié un virus sur mon PC et me proposer d’en venir à bout en commun. Je devais allumer tout de suite l’ordinateur et télécharger un fichier. Malgré sa connaissance des techniques, je ne l’ai pas fait.

J’aurais pu rappeler Microsoft pour vérifier. Mais Microsoft n’a pas le téléphone. Plus aucune entreprise ni aucune administration n’a le téléphone. On trouve sur leur site des questions/réponses, des formulaires de contact mais pas de numéro. Ils ne sont pas dans les pages jaunes. Parfois les succursales provinciales y sont, mais l’entreprise n’a pas d’annuaire interne. C’est juste pas de chance. On finit par fonder trop d’espoir lorsqu’on a enfin un numéro à appeler. Il sonne en général dans le vide. Un lundi, une société de livraison a tenté de me joindre pendant une réunion (les moments où on ne décroche pas) et le livreur m’a laissé un message avec un numéro d’appel en 08 à un euros cinquante l’appel plus 0,50 la minute, plus un cout suivant l’opérateur. Forcément cher avec les touches interactives étoile et dièse puis les touches numériques le 1 pour une livraison en cours, le 2 pour une nouvelle livraison et le dernier pour toute autre demande. Lorsque j’ai enfin entendu BA livraisons à votre service, la musique s’est enclenchée et on m’a annoncé que mon temps d’attente était estimé à trois minutes pendant une bonne dizaine de minutes, c’est-à-dire le temps que je raccroche. Tous les conseillers étaient en ligne. J’ai recommencé en tentant un autre chiffre. Demander les informations commerciales au lieu du suivi, ça peut marcher. Mais non. Finalement, le colis est reparti. J’ai pu suivre son départ en direct sur le site.

En réalité, je téléphone de moins en moins avec mon smartphone. Je prends des photos, j’écoute de la musique, je regarde la météo, le plan, les alertes RATP, l’application Reste Assis T’es Prévenu, plus réactive. J’alimente mon planning. Je facebooke. Je twitte à Microsoft France dont j’ai trouvé le compte, et là ils répondent tout de suite. Plus la peine de chercher le numéro. Le téléphone est devenu machine à écrire et stylo. Un outil épistolaire. J’écris donc des lettres, heu, des textos. Par exemple à mon fils. Pour ne pas le déranger par une sonnerie. Mais s’il ne répond pas, je m’inquiète. Et je pense à l’appeler. J’hésite. Je pousse le volume de la sonnerie au cas où il m’appellerait. Allo ?

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