Adieu

mort-lattaignant

L’abbé de Latteignant et la mort, Journal Épicurien
Défendre le bien manger, le bien boire et le bien vivre 

 

Je ne suis pas la seule en ce moment à avoir le sentiment de l’imminence d’une catastrophe, ou plus simplement à lire souvent des menaces de mort. Pour faire un pied de nez et tenter de sourire, j’ai donc choisi un poème sur les adieux au monde de l’abbé Gabriel-Charles de Lattaignant, dont j’avais déjà publié un poème à propos du mot Chose.

Ces sept strophes de six vers (des sizains), composées de deux groupes de deux octosyllabes terminés par une rime (ans/temps et regret/paquet) interrompus et conclus par deux hexasyllabes qui riment entre eux (vie/compagnie) sont très rythmées.  Les vers plus courts créent un effet de surprise et sont mis en valeur, d’autant que le dernier, toujours identique, est terminé par un point d’exclamation qui est une apostrophe à tous (Bonsoir la compagnie !).

Très ironique, ce texte semble au départ un adieu assez classique, avec une confiance affirmée en Dieu (3e strophe), puis il devient beaucoup plus triste (Une profonde obscurité/Est le sort de l’humanité). Le seul vers terminé par un point d’exclamation au milieu d’une strophe (Que ce système est consolant !) exprime parfaitement le doute qui saisit l’abbé à l’heure d’envisager la mort avant de conclure sur les limites du savoir, l’ignorance finale de l’homme.

Adieux au monde

J’aurai bientôt quatre-vingts ans :
Je crois qu’à cet âge il est temps 
De dédaigner la vie. 
Aussi je la perds sans regret,
Et je fais gaîment mon paquet ;
Bonsoir la compagnie !

J’ai goûté de tous les plaisirs ; 
J’ai perdu jusques aux désirs ;
A présent je m’ennuie. 
Lorsque l’on n’est plus bon à rien, 
On se retire, et l’on fait bien ;
Bonsoir la compagnie !

Lorsque d’ici je partirai, 
Je ne sais pas trop où j’irai ;
Mais en Dieu je me fie : 
Il ne peut me mener que bien ; 
Aussi je n’appréhende rien :
Bonsoir la compagnie !

Dieu nous fit sans nous consulter
Rien ne saurait lui résister ;
Ma carrière est remplie. 
À force de devenir vieux,
Peut-on se flatter d’être mieux ?
Bonsoir la compagnie !

Nul mortel n’est ressuscité,
Pour nous dire la vérité
Des biens d’une autre vie.
Une profonde obscurité
Est le sort de l’humanité ;
Bonsoir la compagnie !

Rien ne périt entièrement,
Et la mort n’est qu’un changement,
Dit la philosophie. 
Que ce système est consolant ! 
Je chante, en adoptant ce plan ;
Bonsoir la compagnie !

Lorsque l’on prétend tout savoir,
Depuis le matin jusqu’au soir,
On lit, on étudie ;
On n’en devient pas plus savant ;
On n’en meurt pas moins ignorant ;
Bonsoir la compagnie !

3 réflexions sur “Adieu

  1. « Bonsoir la compagnie »…
    Je suppose qu’il y a une forme d’élégance ? formelle, sociale dans la formule qui s’impose pour refouler le côté sordide du dernier âge.
    Un côté débonnaire ? Pourquoi ironique ?
    L’ironie est grinçante. Ce qui est débonnaire n’est pas forcément grinçante.
    Un Ecclésiaste débonnaire. C’est peut-être mieux, même si je préfère Ecclésiaste sans le côté débonnaire. Les goûts et les couleurs ne se discutent pas.

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