1991
Sa demeure, mon voyage
Désert en ce verger
Mes mots et son mutisme
Ma faim de loup qui rêve
S’enfuir et puis se rendre
Retenir son parfum
Me pleurer dans ses bras.
2022
Patiemment te pleurer
Redouter ton odeur
Me rendre à ton absence
Ton goût inattendu
Ma parole éclipsée
Me perdre dans ta main
Voyager à demeure.
Sa demeure, mon voyage..; ferait un joli titre. Mais tout le reste se laisse lire et c’est plein de grâce.
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Merci Joëlle ! Le titre a varié en effet. La contrainte que je me suis fixée pour le blog est que les titres comptent un seul mot…voyage était déjà utilisé, il nous restait à choisir entre Demeure et Chanson, à cause de la forme très simple avec sa relative régularité.
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Chaque poème publié est une surprise et une petite pépite. J’ai pris beaucoup de plaisir à lire et relire ce bijou où la forme exprime le fond. Les deux poèmes sont construits en miroir inversé. Ainsi, au premier vers de la version de 1991 « Sa demeure, mon voyage » répond le dernier vers de la version de 2022 « “Voyager à demeure”.
La première chose qui frappe est la forme du poème. Celle-ci tranche par rapport aux précédentes publications issues de “Miroirs”. Chacune des versions de “chanson” se compose de sept vers de six syllabes, à l’exception du premier vers de la version de 1991 qui compte une syllabe de plus. Cette forme régulière pourrait expliquer le titre du poème. Cependant, le lien de votre projet avec le pays d’Oc, berceau de l’amor de lonh, “amour de loin” pourrait justifier le choix de ce titre et donner un éclairage singulier au poème. Ainsi “Chanson” (canso en langue d’oc) se lirait comme un écho ou un hommage au chantre de la fin’amor que fut Jaufre de Rudel. Je cite Katy Bernard, maître de conférences d’occitan : “le vrai amour c’est celui qu’il (Jaufre de Rudel) n’a pas encore vu, celui qui n’est pas encore fixé dans une image, qui échappe à la connaissance pour s’inscrire dans l’éternité d’un désir, dans l’excellence d’un chant”. L’emploi de l’infinitif a pour effet de renforcer la musicalité des vers par sa répétition (“s’enfuir”, “retenir”, “me pleurer”, “me rendre”, “me perdre”, etc. Sur le fond, l’infinitif est un temps “in posse”, un temps en puissance [Gustave Guillaume]. Cela donne au poème une dimension universelle, atemporelle et sans ancrage dans le réel, renforcée par l’absence de marqueur temporel et de lieu. La narratrice est-elle dans le rêve, dans l’imaginaire, le voyage immobile [le “madame rêve” de Bashung]. À l’inverse, dans la version de 2022, on trouve des traces d’un dialogue imaginaire puisqu’on relève des références à la première et deuxième personne du singulier : “me”, “te”, “ton”, “ta”…
Ce voyage imaginaire est sensuel : “ma faim de loup”, retenir ton parfum », “goût inattendu”. Mais c’est surtout à travers l’audace des images et de l’association de mots [oxymore] que s’expriment cette sensualité. Citons “Désert en ce verger”, “Me perdre dans ta main”.
Ce voyage charnel est aussi malheureux, car il ne peut se réaliser que dans l’imaginaire. Cependant, le mouvement des deux poèmes diffère [construction en miroir inversé], ce qui implique une tonalité propre à chacun.
Le premier poème commence avec le voyage imaginaire [“Sa demeure, mon voyage”] qui se déroule, passe par une tentative désespérée de “retenir son parfum” de l’être aimé puis s’achève par le désespoir [“me pleurer dans ses bras”]. Le second poème part du désespoir [“patiemment te pleurer”], passe par la surprise de la découverte sensuelle [“goût inattendu”] et la fusion charnelle [“me perdre dans ta main”] pour finir dans le voyage imaginaire éternel [“Voyage à demeure”].
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Merci chère et fidèle lectrice. Vos appréciations nous font un grand plaisir et nous encouragent ! L’analyse du texte (exercice que j’adore depuis l’adolescence ou le lycée plutôt) me touche beaucoup ainsi que les références à la poésie courtoise qui a inspiré le projet. Sans oublier celle de Bashung !
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