1992
Chaque jour accordé fait écho
À la nuit, passe l’ange
Voluptueux entre nous, la gorge
Serrée, j’étouffe chez vous mes cris
Fous, nous entretenons le silence
Rassurant, ma bouche à votre voix
La nuit drapée s’accorde à la voix
Lente, dont j’emprisonne l’écho
Dans mon corps, vous soufflez au silence
Le plaisir, les caresses de l’ange
Vaincu, assurance d’un cri
Sourd, vos mains nues sur ma gorge
Le temps file sur le pli de la gorge
Le désir mordant sans appel la voix
Assourdie, restent le cri
Intérieur, et en mémoire l’écho
Sensuel au lieu clos du silence
Suspendu à l’étreinte des anges
Je te rejoins là-bas, mon ange
à l’heure dite, le couteau sous la gorge
Envieuse encore de ton silence
Anxieuse toujours du son de ta voix
Libérant dans mon sexe la femme en écho
Maternel, avant mon premier cri
Je réclame ton sexe dans ce cri
Et ton corps dans d’autres bras d’anges
Violents, coups de boutoir en écho
À ta douceur, dans ma bouche, ma gorge
Mouillée de fièvre jusqu’à ma voix
Déchue, abandonnée au silence
Appels, appels, miroir au silence
De Dieu, liturgie intime du cri
Vers l’azur, je retrouve ma voix
De plaisir, et la joie des louanges
Aux courbes caressées de ma gorge
Chants d’amour, sous les voûtes, en écho
Nos deux voix accordées font écho
Dans la nuit silencieuse, passe l’ange
Nu, j’étouffe son cri dans ma gorge
2023
Longtemps j’ai laissé le flux de mes
Paroles dériver dans les pages de
Journaux intermittents, captant la
Voix familière de celui qui
Murmure en moi comme un prisonnier
Murmures et faux-fuyants sont depuis
Longtemps les métaphores de ces
Voyages solitaires où la
Parole redoutée d’une femme
Joue sur mon silence contre mon cœur
Joues roses, visage de lune, tu
Murmures à mes lèvres la
Parole douce du premier baiser
Long, bien avant d’oser lever le
Voile sur tes hanches arrondies
Voix-off, la vie émergée de mes
Journaux allume dans le regard
Longtemps soutenu comme l’aveu
Murmuré, la foi aveugle d’une
Parole d’amour unie au silence
Paroles des corps impudiques
Voies qu’inventent nos mains quand tu
Murmures en moi pour éteindre le
Jour jusqu’à demain, la nuit pour jouir
Longuement malgré le temps des peurs
Longtemps après que la parole s’est tue
Les pages du journal secret gardent
La voix murmurée
Il y a une forme d’enchantement, car on se prend au plaisir de vous lire, remonter avec vous le temps, sentir les cris du corps à travers les vers. On se surprend en relisant chaque texte, à s’interroger, à contester les mots comme s’ils nous appartenaient, à vibrer avec ces sensations, à chercher à travers soi, les moments où nous les avons ressenties. Et puis soudainement, on revient vers le réel, comme sidéré de découvrir que ces vies partagées, ces vies offertes en écho, ces vies qui nous semblaient si tangibles, si inscrites en nous, n’étaient pas les nôtres.
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Merci Laurent pour ce commentaire qui nous fait très plaisir en dépassant notre espérance ! L’appropriation est un don que nous recevons en retour. Dans ces textes, par le rythme très régulier et la répétition des mots nous avons voulu entraîner le lecteur dans l’âme des narrateurs, dans la genèse de leurs expériences de l’amour, inaccompli sans doute, mais toujours présent en eux.
Il semble aussi que vous ressentiez que le lecteur est renvoyé à lui même, peut-être à la fin de la lecture. Est ce ce que vous avez voulu dire ?
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Sans évoquer le trouble psychiatrique que constitue le syndrome de Stendhal, vos textes ont su m’absorber, ou peut-être me suis-je laissé absorber par eux ? Cela fonctionne dans les deux sens à travers l’art.
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Je voudrais d’abord vous témoigner mon admiration devant le travail d’écriture que vous avez effectué sur les deux derniers poèmes (Voix et Goût). Le rendu est magnifique malgré la difficulté technique. Un véritable travail de virtuose !
« Voix » nous offre un bel hommage à Arnaud Daniel, troubadour du XIIe siècle et inventeur d’une forme de canso, qui plus tard prendra le nom sextine,. Cette forme poétique complexe est composée de six sizains (coblas) et d’un envoi, tornada de trois vers. La première strophe se termine par des mots-rimes qui sont repris dans les autres sizains dans un ordre différent, mais codifié (construction spiralée). Enfin, la tornada reprend dans l’ordre de la première strophe deux mots-rimes dans chaque vers. Cette forme sera reprise par les poètes de la Renaissance italienne comme Pétrarque ou Dante. Après une longue éclipse, cette forme sera redécouverte par des auteurs du 19e siècle (le Parnasse). Enfin, et ce n’est absolument pas une surprise, les membres de l’Oulipo s’y intéresseront de très près. Ils ne manqueront pas au passage de corser le jeu créatif en y ajoutant quelques contraintes supplémentaires de leur cru.
« Voix » s’inscrit dans la lignée directe du trobar par sa thématique, celle du désir charnel inassouvi et par sa forme poétique virtuose, expression idéalisée de ce désir.
Le rythme du premier poème est très singulier : il utilise des vers libres et une ponctuation peu conventionnelle, ce qui peut rendre la lecture difficile au premier abord, mais la forme
de la sextine donne une amplitude mélodique très sensuelle et on observe un mouvement ascendant en forme de spirale qui épouse la lente montée de la tension érotique jusqu’à atteindre un point culminant symbolisant une forme d’extase spirituelle, mystique dans l’avant-dernière strophe. Le poème exprime la tension entre le désir violent dirigé vers l’être aimé et la contrainte de garder le secret, car ce désir est interdit dans la réalité, au grand jour. Le désir, cette distance impossible à combler faisant de l’autre un être inaccessible s’exacerbe au fil des strophes comme l’illustre le passage du vouvoiement au tutoiement (tentative de réduire l’espace entre les deux amants), mais aussi dans l’expression de sa violence (« le désir mordant », coups de butoir ») et cette tension douloureuse vers l’être désiré (« je réclame ton sexe dans ce cri »). Ainsi, ce qui ne peut s’accomplir dans la réalité, les mots le disent, le crient (le joï de la fin du poème) et permettent la sublimation du désir charnel. L’image de l’ange peut se lire comme un moyen de sublimer l’amour qui prend alors une dimension presque mystique, voire religieuse (ainsi, on relève un champ lexical du religieux dans l’avant-dernière strophe). Le désir, voué au secret et au silence (« le désir mordant sans appel la voix assourdie, restent le cri intérieur ») retrouve sa voix grâce à la parole poétique (écho). Pour le désir demeure et qu’il ne meure pas une fois assouvi, il faut qu’il reste au seuil de la jouissance. Dans l’envoi, nous nous retrouvons dans la même situation qu’on début du poème :
« Nos deux voix accordées font écho
Dans la nuit silencieuse, passe l’ange
Nu, j’étouffe son cri dans ma gorge »
Ainsi le poème forme une boucle.
Le second poème est une variante de la sextine. Il se compose de cinq strophes de cinq vers libres et d’un envoi de trois vers. L’auteur utilise un système qui associe mot-rime et paronomase ( une figure de style qui consiste à employer dans une même phrase des mots dont le son est à peu près semblable, mais le sens différent ) en début de vers.
Ce second poème est chanté par une voix masculine et est une réponse en miroir au premier poème. Le rythme lent et régulier donne une tonalité nostalgique au poème. La langue est retenue, mesurée. Le poète laisse s’exprimer sa voix intérieure, mais à la violence du désir et des sentiments du premier poème, la parole s’écoule librement, doucement. Ici, le désir est porté par la voix intérieure du poète, « voix familière de celui qui murmure en moi comme un prisonnier ». Le désir se matérialise, s’incarne par la parole du poète. Le désir du poète pour la femme aimée, mais inaccessible ne peut se clamer à haute voix, ni se montrer au grand jour. On retrouve l’idée de respect et de soumission du poète envers sa dame qui est la tradition du trobar dans le vers « bien avant d’avoir osé lever le voile sur tes hanches arrondies ». Le poème célèbre le corps de la dame, sa beauté, mais avec l’approbation de cette dernière (« tu murmures à mes lèvres la parole douce du premier baiser… »). Cette idée de soumission à la dame, on la relève également dans la strophe suivante : « La foi aveugle d’une parole unie au silence ». C’est donc tout naturellement dans le secret de la nuit que les deux amants s’unissent et atteignent la jouissance grâce à la parole du poète guidé, inspiré par sa dame : « …quand tu murmures en moi pour éteindre le jour jusqu’à demain, la nuit pour jouir »
La dernière strophe est intéressante, car elle introduit la notion d’un idéal du désir coupé de toute relation avec la réalité. Le poète chanterait le désir pour le désir lui-même. Comme pour le premier poème, une boucle se forme. La dernière strophe se rattache à la première strophe.
« Longtemps après que la parole s’est tue
Les pages du journal secret gardent
La voix murmurée »
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Merci beaucoup pour votre analyse et vos compliments. Vous avez, comme à chaque lecture, une interprétation à la fois précise, historique et personnelle de nos textes. Cette interprétation est toujours juste, et pourtant parfois très éloignée du sens que nous avions placé initialement dans le poème – n’est-ce pas tout l’intérêt de la poésie? – et fait partie du plaisir immense que nous avons de vous lire.
Pour en revenir à Voix, nous avons, avec la sextine voulu opérer une synthèse des sentiments de la « narratrice » de 92, comme si celle-ci faisait le bilan de sa propre passion. Cette forme permettait la scansion recherchée et elle s’est imposée très naturellement.
Pour ce qui concerne le second texte, il s’agissait de faire entrer pleinement la voix masculine dans le recueil, de lui donner de la chair. Le procédé choisi en écho à la sextine (en forme inversée) permet cette « confession » et une part importante de biographie : le second possible narrateur se dévoile enfin (partiellement), et dessine à sa manière la peur, le trouble du regard féminin sur lui, trouble et peur partagés par l’adolescente que fut la narratrice – miroir toujours et une sorte de nœud inconscient entre eux.
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